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LYON
21/04/07

Marina de Liso © DR
VIVALDI & L'AMORE

Sinfonie, concerti & arie (
Bajazet, L'Atenaide)

Marina de Liso, mezzo-soprano
Europa Galante
Fabio Biondi

Lyon, Auditorium, le 23 avril 2007


Comme un parfum de lagune


"Au moins, ça, c'est de la musique facile" ! Dixit ma voisine de gauche. Une charmante vieille dame dans un ensemble (mal assorti, pour le coup) à la Simone Weil. La classe intemporelle ; le chic parisien ! "Facile" ? En êtes-vous bien sûre, madame ? En apparence, peut-être ; en apparence, seulement. Elle est tellement exigeante, en fait. Et tellement plus encore. Surtout quand le programme, comme ce soir, est intégralement dédié à l'amour.

Ah ! L'amour ! Sincèrement, l'idée est alléchante. Mais Biondi… Biondi, ma foi, peut faire un peu peur dans ce contexte précis. Biondi, dont on sait que le violon précis, avec sa virtuosité diabolique, furieuse, s'assèche parfois et le discours avec. Son dernier Stabat Mater, par exemple, ni doloriste, ni vraiment humain, ne fait ainsi pas franchement l'unanimité.

Alors l'amour ? Eh bien l'amour chante ici comme rarement. Emporté et jeune ; tendre et presque bonhomme aussi (le concerto RV271 "L'amoroso"). Il chante aussi avec un voile nostalgique soudain jeté, inattendu presque qui dit ce que tous les amoureux savent : que l'amour est souvent, aussi, un affect nocturne, douloureux, presque mortifère (le largo bouleversant du concerto pour viole d'amour et luth RV540 qui vaut toutes les Madones de Bellini de la terre). Voilà pour rassurer les inquiétudes à l'endroit de la "voix" de Biondi. Voilà, surtout, pour la partie non (strictement) théâtrale – comme si, d'ailleurs, tout Vivaldi n'était pas du théâtre.

Le théâtre, ici, fait irruption à travers la figure d'Anna Giraud ; la Giro qui fut la compagne du "prêtre roux" (il faut le faire !). Anna Giraud qui devait jouir d'un ambitus vocal et dramatique d'une belle étendue si l'on en juge par les pages retenues. Un théâtre de passions bouillonnantes ; un tourbillon ébouriffant ; un art de la touche, aussi, pudique, empreint d'une délicatesse nimbée ("La cervetta timidetta" de Bajazet et, surtout, le bis extrait de l'Atenaide avec son chant moelleux soutenu par l'ostinato palpitant des cordes seules).

Marina de Liso reprend, ici, pour partie des pages illustrées par Mijanovic dans le Bajazet enregistré par Biondi. Elle les reprend sans que la comparaison ne s'impose. Ni par le timbre ; ni par la conduite. De Liso est, pour se faire une idée, la fille illégitime de Jennifer Larmore (sans les sons tubés) et d'une Kozena génétiquement modifiée (c'est-à-dire avec pas mal de choses en plus). Rien d'objectivement parfait ici, que ce soit dans la cantilène ou dans les feulements de "Sorge l'irato nembo" de l'Atenaide. Des graves parfois presque outrageusement poitrinés ; un aigu qui passe comme arraché. Mais un monde intérieur en parfaite adéquation avec le jeu du chef. Une matière pulvérulente, fiévreuse comme seuls les grands vénitiens ont su la jeter sur la toile : Titien, Tintoret, Bassano. Un éclairage cru parfois ; la vie toujours (le récitatif abyssal du "Svena, uccidi, abbatti" de Bajazet).

Une étoile s'est perdue en route, tombée de ce firmament presque impeccable. Peut-être parce que le programme paraît un peu court en ne confiant que cinq morceaux à une voix que l'on aurait aimé entendre encore et encore… Une étoile volée à l'excellence, malgré deux extraits des Quatre saisons comme seul le live peut en offrir. Une étoile pour les quelques imperfections (une justesse un peu faillible, parfois, chez Biondi et surtout à la viole d'amour) que l'oreille vétilleuse (cela fait partie aussi, hélas, de l'exercice) aura relevé. Quand je vous disais, madame, que Vivaldi n'était pas si facile !


Benoît BERGER
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