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LAUSANNE
24/10/04

Delphine Gillot
Francis Poulenc (1899-1963)

La Voix Humaine

Tragédie lyrique en un acte
Texte de Jean Cocteau

Version concertante

Delphine Gillot, soprano

Nicola Chalvin, direction musicale
Orchestre Sinfonietta

Lausanne
24/10/2004


La voix humaine révélée

Un collègue critique dramatique vient de prendre sa retraite. A 45 ans. Il ditavoir atteint l'âge où les pièces qu'on revoit n'auront plus jamais la grandeur ni l'éclat des pièces qu'on a vues, où l'on traque en vain ses émotions." Que devrait-on penser de l'opéra ? A l'heure où la musique lyrique semble déranger les mises en scène, beaucoup se détournent des théâtres lyriques parce qu'ils estiment que Domingo, Callas, Pavarotti, Strehler sont irremplaçables ? Qui pense ainsi a évidemment tort parce qu'il existe toujours une étincelle de génie cachée quelque part. Encore faut-il les dénicher. C'est le talent (et le travail) des directeurs d'opéras. Qui était à l'Opéra de Lausanne dans cette fin d'après-midi de dimanche ensoleillée en a reçu la preuve éclatante.

Si la rareté de l'oeuvre, La Voix humaine de Francis Poulenc, pouvait motiver le chaland d'assister à ce concert, ces quarante-cinq minutes de tragédie amoureuse d'une intelligence d'écriture musicale et littéraire hors du commun, auront révélé le talent d'une (presque) inconnue des scènes lyriques, Delphine Gillot. La soprano lausannoise donne une lecture si émouvante de ce long monologue, qu'on en vient à regretter que l'Opéra de Lausanne se soit contenté d'une mise en espace, alors que cette prestation (comme cette oeuvre) aurait mérité de figurer au centre de la saison régulière d'opéra.

Malgré l'inadéquation scénique d'une mise en espace trop léchée, malgré son chignon trop bien coiffé, son maquillage trop fade, sa robe trop bien coupée, Delphine Gillot, en tragédienne accomplie, emporte le public au centre du drame. Devant l'orchestre, un fauteuil rouge, un téléphone posé sur un guéridon, un lampadaire, une petite table basse, une femme parle au téléphone avec l'amant qui l'a quitté quelques jours auparavant. 

Magnifique actrice, Delphine Gillot se met en scène. Elle dose ses mouvements de tête pour ne pas être constamment face public. Le geste est rare mais toujours parfaitement mesuré. Habitée, la jeune soprano délivre un personnage d'une rare authenticité. Tour à tour heureuse d'entendre la voix de son amant, affolée par la coupure soudaine de la communication, fâchée de la présence d'une correspondante sur la ligne, sombrant dans le désespoir quand, rappelant son amant chez lui, elle découvre qu'il ne téléphonait pas depuis son domicile, anéantie par son amour qui se meurt, elle est pathétique quand elle avoue, dans un souffle, son "je t'aime" final.

Dès lors, comment déceler si les yeux baignés de larmes de la chanteuse sont ceux de la comédienne, de l'interprète ou de l'artiste ? Il me plaît à penser qu'elles sont réelles, tant la jeune femme semble vivre le drame. Comme si à l'autre bout du fil, c'était son homme, son amant à elle qui l'abandonnait alors que ce ne sont que les accents d'un Sinfonietta de Lausanne sublimé qui suggèrent les réponses de l'invisible amant.

On finit presque par oublier le chant tant chaque mot est "dit". Pourtant, la comédienne Delphine Gillot n'oublie jamais de chanter. La voix est belle, le ton est juste, la prononciation parfaite. Les couleurs chaleureuses et bleues du discours amoureux alternent avec celles, sombres et rouges, du désespoir. Rêvant en chantant "Je te vois, tu sais", ses yeux s'élèvent vers les cintres suivant la voix, légère et aérienne. Puis quelques instants plus tard, le regard s'exorbite pendant que ses aigus clairs et sans stridence aucune sont lancés comme des couteaux tranchants en proférant "Je deviens folle !".

Discret, effacé, au service de l'oeuvre, l'apport du chef d'orchestre Nicolas Chalvin dans la parfaite préparation musicale comme dans la sensibilité de sa direction d'orchestre n'est pas étranger au triomphe remporté par la jeune et prometteuse soprano.
 
 
 

Jacques SCHMITT
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