C O N C E R T S
 
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PARIS
22/11/2004

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Récital Anne-Sofie von Otter
 

Anne-Sofie von Otter, mezzo-soprano
Bengt Forsberg, piano

Wilhelm STENHAMMAR (1871 - 1927)
Melodi - Mélodie - 1917 (Bo Bergman)
I lönnens skymming - A l'ombre de l'érable - op. 37 n°2 - 1918 (Verner von Heidenstam)
Gammal nederländare - Le vieil Hollandais - op. 20 n°3 - 1903 - 1904 (Bo Bergman)

Türe RANGSTRöM (1884 - 1947)
En gammal dansrytm - Un vieux rythme de danse - 1917 (Bo Bergman)
Den enda stunden - L'unique moment - 1912 (Johann Ludwig Reneberg)
Vingar i natten - Ailes dans la nuit - 1917 (Bo Bergman)

Gabriel FAURÉ (1845 - 1924)
Barcarolle n°9 pour piano en la mineur, op. 101 (1909)

Hector BERLIOZ (1803 - 1869)
La mort d'Ophélie, op. 18 n°2
(Ernest-Wilfrid Legouvé, d'après Shakespeare, 1842)

Cécile CHAMINADE (1857 - 1944)
Ronde d'amour (Charles Fuster)
Ma première lettre (Rosemonde Gérard)
Attente (Au pays de Provence) (Philippe d'Ohsson)
La lune paresseuse (Charles de Bussy)

Franz SCHUBERT (1797 - 1828)
An mein Herz - A mon coeur - D 860 (1825) (Ernst Schulze)
Abenstern - L'Etoile du Berger - D 806 (1824) (Johann Baptist Mayrhofer)
Erntelied - Chant de récolte - D 434 (1816) (Ludwig Heinrich Christoph Hölty)
Ellens Gesang I - Chant d'Ellen I - op. 52 n°1 - D 837 (1825)
(Adam Storck, d'après sir Walter Scott)

Gustav MAHLER (1860 - 1911)
Blicke mir nicht in die Lieder - Ne regarde pas mes chants
(extrait des Rückert Lieder n°3 - 1901) (Friedrich Rückert)
Ich ging mit lust - J'allais avec joie - extrait de Des Knaben Wunderhorn
Aus, Aus - Partons, partons !

Erwin SCHULHOFF (1894 - 1942)
Deux pièces pour piano, extraites de Hot Music (1928)

KURT WEILL (1900 - 1950)
Nanas Lied - La Chanson de Nanna (1939) (Bertolt Brecht)
Die Seeraüber-Jenny - Jenny-des-Pirates
extrait de Die Dreigroschenoper (1928) (Bertolt Brecht)
Speak Low - Parle doucement
extrait de One Touch of Venus (1943) (Ogden Nash)
Foolish Heart - Coeur insensé

Paris, Théâtre du Châtelet,
22 Novembre 2004


UN FEU D'ARTIFICE ROMANTIQUE ET RAVAGEUR...

Après une superbe Ottavia au Théâtre des Champs-Élysées, il y a un peu plus d'un mois et un dernier disque, Music for a While on ne peut plus décoiffant, Anne-Sofie von Otter allait nous offrir avec son récital au Châtelet une de ces soirées mémorables comme il y en a désormais bien peu dans ce domaine si particulier du liederabend.

Au premier abord, le choix du programme, extrêmement bien composé, force l'admiration. Von Otter semble avoir convié tous les répertoires qui, ces dernières années surtout, ont fait partie de son univers et contribué à sa notoriété : les compositeurs suédois (Stenhammar et Rangström) la mélodie française (Berlioz, Chaminade) qu'elle a tellement bien servie, le lied à travers Schubert et Mahler, qu'elle affectionne tout particulièrement, mais aussi Kurt Weill dont elle est une des rares interprètes aujourd'hui à savoir rendre la charge révolutionnaire et gouailleuse.

Très en forme, aussi bien vocalement que scéniquement, accompagnée de son fidèle Bengt Forsberg, elle nous invite à partager ces moments de pur bonheur, si délicats, si raffinés, que sont les rencontres avec des compositeurs et des poètes choisis avec tant de soin et d'intelligence. L'auditeur se sent comme admis dans un cercle très intime, singulier, où ces deux musiciens virtuoses baignent dans une manière de monde liquide et un peu mystérieux.

Fait tout à fait remarquable aussi, le passage entre les différents cercles est "préparé" par le piano : Fauré "introduit" Berlioz et Chaminade, dont il est très proche, tout comme Schulhoff, avec ses rythmes cadencés, très "jazzy", sert de prélude à Kurt Weill.

A cet art consommé de la composition du programme, répond un art non moins consommé de l'interprétation. Les pages suédoises sont un mélange savant de mélancolie : Melodi, Vingar i natten, de joie de vivre : En gammal dansrytm et d'humour : Gammal nederländare. La Mort d'Ophélie, très intériorisée, diaphane et comme hallucinée, est un moment d'anthologie. Les Chaminade participent de la même veine, avec un savant dosage de légèreté : Ronde d'amour, de gravité : Ma première lettre, Attente et, enfin, de bonheur hédoniste et sensuel : La lune paresseuse, avec cette élégance un peu sophistiquée, ce charme suranné et, surtout, cette diction confondante qui font le prix de tout ce que von Otter chante en français.

On retrouve ce même équilibre dans les Schubert et les Mahler, avec la volonté délibérée de ne pas exagérer dans le pathos et la désolation : très lyrique Ellens Gesang de Schubert, élégiaque Ich ging mit lust de Mahler précédant le très militaire Aus ! Aus !, chanté avec beaucoup d'humour : la manière dont von Otter interprète le dialogue entre le militaire partant pour la guerre et sa bien-aimée éplorée et prête à entrer au couvent - en changeant de voix et d'intonation - est divertissante à souhait, pleine d'ironie et de malice...

Last but not least : les Kurt Weill, où une fois de plus les qualités "diaboliques" de cette musicienne accomplie font merveille : un Nannas Lied vertigineux, où le texte de Brecht prend tout son poids de révolte et de hargne douloureuse. Die Seeräuber-Jenny sera à l'avenant : hallucinant de sarcasme, de violence contenue et d'un je ne sais quoi d'un peu pervers... Avec Speak low et Foolish Heart, von Otter aborde un nouveau registre, celui de la comédie musicale, et prend une voix de crooner particulièrement réussie qui rappelle les chansons de son disque For the Stars.

Devant une salle très enthousiaste, cette artiste inestimable offrira trois bis : une chanson du groupe "Abba" : Money, money, complètement délirante et déjantée (un disque de "tubes" de ce groupe très prisé dans les années 70 est en préparation), un Plaisir d'Amour de Martini bien chantant, et enfin, une mélodie composée par Billy Joël en 1989, And so it goes, nostalgique et charmeuse, une fort jolie manière de conclure une si belle soirée.

Que ceux qui ont raté ce splendide récital se rassurent, France Musiques le diffusera le 30 novembre à 15 heures.
 
 
 

Juliette BUCH
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