C O N C E R T S
 
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TORONTO
23/04/2004

© DR
Richard WAGNER

DIE WALKÜRE

Brünnhilde : Frances Ginzer
Wotan : Peteris Eglitis
Sieglinde : Adrianne Pieczonka
Siegmund : Clifton Forbis
Fricka : Judit Németh
Hunding : Pavlo Hunka

Les Walkyries :
Liesel Fedkenheuer, Irmgard Vilsmaier, Elizabeth Stannard, Stacey Rishoi, Laura Tucker, Krisztina Szabó, Buffy Baggott, Allyson McHardy

Direction : Richard Bradshaw
Mise en scène : Atom Egoyan
Production Designer : Michael Levine
Lumières : David Finn

Commanditaire de la production : Dr. David Stanley-Porter

Canadian Opera Company 
Toronto - Hummingbird Center

23 avril 2004



En ce début de millénaire, les productions du Ring tendent à pousser comme des champignons : en Amérique du Nord, après la reprise de la production au Met ce printemps, c'était au tour du Canada de se lancer dans une aventure originale et audacieuse. En effet, la spécificité de cette Tétralogie "made in Canada" tient en trois aspects : la première réside dans l'échelonnement temporel des productions, à savoir La Walkyrie cette année, Siegfried l'année prochaine et la série complète en septembre 2006. Deuxième trait, remarquable s'il en est, la mise en scène sera confiée à Michael Levine pour L'Or du Rhin, Atom Egoyan pour La Walkyrie, Siegfried allant à François Girard et Le Crépuscule des Dieux à Tim Albery. Enfin, le cycle en entier sera représenté dans une nouvelle salle actuellement en cours de construction dont on nous promet déjà monts et merveilles. Ainsi, selon le site officiel, le Four Seasons Centre for the Performing Arts sera adapté acoustiquement aussi bien aux opéras de Haendel qu'à ceux de Wagner (1) ! N'étant pas un habitué de la salle, je me contenterai toutefois de pointer deux choses très factuelles : la nouvelle salle sera nettement moins grande que l'actuelle (2000 places contre 3167) dont l'acoustique m'a semblé excellente vendredi soir (2), et ce, alors que j'étais en fond de parterre ! Sans entrer dans de vaines polémiques, on ose espérer que l'intérêt stratégique de cette nouvelle salle a été mûrement réfléchi le management du COC.

Bien décidé à convaincre les sceptiques du bien-fondé du projet, le COC a donc décidé de taper fort dès cette année avec La Walkyrie, dépassant largement nos attentes. Le pari semble en passe de réussir.


© DR

Pour le spectateur européen, la mise en scène d'Atom Egoyan se présente comme un couper/coller de productions déjà vues et entrecoupées de bonnes idées plus personnelles : ainsi, le décor unique fait irrésistiblement penser à la centrale nucléaire imaginée par Harry Kupfer dans Siegfried ou la Lucia de Larmermoor de Serban à Bastille. En réalité, Atom Egoyan semble vouloir nous montrer que cette histoire nous parle avant tout de nous : le décor représente un échafaudage de studio de cinéma / télévision (lieu de la mise en abîme contemporaine par excellence), prêt à s'effondrer, mais sur lequel Wotan (et lui seul) évolue pour arriver sur scène à l'acte II. La lumière de scène braquée sur le public pendant le prélude - outre le fait qu'elle nous permet de bien voir les visages honteux des retardataires - nous interroge sur le statut narratif de l'opéra : les interprètes sont-ils vraiment ceux qu'on croit ? Dans cet espace apocalyptique et dévasté, les personnages se battent pour construire un monde et des valeurs nouvelles, mais la malédiction de l'anneau et l'absence de liberté qui caractérise tous les personnages vont conduire cette entreprise à l'échec. En cela, le feu dont Wotan entoure Brünnhilde à la fin de l'acte III préfigure celui qui va embraser le Walhalla à la fin de Götterdämmerung.

A côté d'un décor impressionnant, on a malgré tout l'impression que toutes les idées n'ont pas été forcément exploitées jusqu'au bout : les mouvements de scène des personnages, en particulier ceux Siegmund), sont la plupart du temps limités à un espace restreint (trois mètres sur trois) au milieu de la scène et près de la fosse. La minimalisation de la mise en scène, réduite à une simple "mise en espace" au sein d'un décor gigantesque qui écrase, physiquement et psychologiquement, les humains manipulés par les dieux est séduisante, mais il ne semble pas qu'Egoyan en ait tiré toutes les potentialités : ainsi, quel est le sens de cette petite "marche de santé" qui amène Hunding à faire un tour de scène pendant l'acte I ? Une division géographique plus rigoureuse de la scène selon le pouvoir réel ou fantasmé de chaque personnage eût paru en ce sens plus cohérente. Les bonnes idées ne rattrapent pas forcément certains détails qui tombent un peu à plat : le "Heilig sei dir mein Haus" de Hunding fait sourire quand on le voit représenté comme un Sans Domicile Fixe ! De même, les héros dont les Walkyries sont censées s'occuper descendent ici des cintres comme des paquets de linge sale (3). On avait cru comprendre, jusqu'à récemment, et à la faveur d'une question du Wanderer, que le Walhalla, c'était en haut et le Nibelheim, en bas ; visiblement, il faut remettre nos pendules à l'heure... Enfin, pour le reste, que les puristes se rassurent : Wotan est toujours borgne, a toujours une lance, et Siegmund sort son épée de l'arbre !

Fort heureusement, la distribution et la direction orchestrale suffisent à gommer ces quelques imperfections scéniques. Dans le rôle titre, Frances Ginzer s'impose assez facilement : le timbre est parfois un peu "vert" dans certains passages de l'acte II et les "Hojo to ho" sont livrés à l'arrachée, mais l'interprétation poignante et tout en retenue qu'elle livre à l'acte III, donnent envie de la retrouver dans Siegfried et Götterdämmerung. Peteris Eglitis, qui n'est pas non plus à proprement parler une star du chant wagnérien actuel, force lui aussi l'admiration : l'interprétation est certes parfois un peu monolithique, mais ce n'est pas nécessairement en contradiction avec les exigences du rôle. Son Wotan est sonore, impressionnant d'autorité et le fortissimo de l'orchestre pendant ses adieux à la Walkyrie ne semble guère gêner le heldenbariton. Après des débuts remarqués dans Parsifal à Bastille la saison dernière, Clifton Forbis confirme tout le bien qu'on pense de lui dans le répertoire wagnérien : la paire de "Wäääääälse" est tenue à souhait, les aigus sont obtenus sans difficulté apparente et ses graves paraissent abyssaux (on croirait même entendre Hunding à certains moments !). Néanmoins, une certaine grisaille affecte le bas médium le ténor a toutes les peines à s'en défaire. Les seconds rôles sont eux aussi parfaitement en place : Judit Németh en Fricka, passive et agressive, est très convaincante de même que Pavlo Hunka en gros bougre qu'on aime détester.

Passons enfin à la révélation de la soirée : Adrianne Pieczonka, soprano canadienne dont on a du mal à se convaincre qu'il s'agit pour elle d'une prise de rôle. Dès les premières notes, la suavité de la voix et les inflexions dans le phrasé font penser ni plus ni moins à... Régine Crespin. Tour à tour maternelle, protectrice et amante, puis révoltée et déchaînée, sa prestation scénique est également d'une très grande classe. Le choix de Bayreuth de la sélectionner pour son cru 2006 de la Walkyrie semble dans ces conditions très judicieux.

Le wagnérien pur et dur, amateur de décibels, et pour qui l'orchestre doit primer avant tout sera sans doute ressorti très frustré de cette représentation. En effet, la direction de Richard Bradshaw sonne très néo-boulézienne et chambriste pendant tout l'opéra (y compris pendant le fameux prélude de l'acte III). Pour ma part, je retiendrai surtout une lecture très fine, attentive aux moindres nuances de la musique et soucieuse de ne pas couvrir les chanteurs. On se plait à découvrir des tempi différents (notamment à l'acte II) et des scènes ainsi éclairées d'un romantisme diffus. Seul petit défaut : le manque de tension dramatique dans certaines passages : la fin de l'acte I, par exemple, qui aurait bien supporté une accélération des tempi à partir de "Siegmund bin ich".

En conclusion, voilà donc, malgré quelques faiblesses mineures, un Ring qui s'annonce bien : l'essai marqué lors de cette Walkyrie gagnera à être transformé par la production de Siegfried l'année prochaine. En tout cas, une chose de sûre : ne fût-ce que pour réentendre Adrianne Pieczonka en Sieglinde, "I'll be there in 2006 !".
 
 
 

Rémi BOURDOT

Notes

(1) Toute ressemblance avec des promesses acoustiques déjà faites et non tenues serait, bien entendu, purement fortuite...).

(2) Bien meilleure en tout cas que l'atroce salle Wilfrid-Pelletier de Montréal - et dire que pendant ce temps là, Montréal attend toujours une salle digne de ce nom pour l'OSM, mais c'est une autre questionÖ

(3) Journée lessive chez Fricka ?
 
 

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