C O N C E R T S
 
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PARIS
09/10/2004

© DR
Kurt WEILL (1900 - 1950)

Der Silbersee... ein Wintermärchen
extraits

Symphonie n°2
Sostenuto - Allegro molto
Largo
Allegro vivace - Alla Marcia - Presto

Die sieben Todsünden
(Les Sept Péchés capitaux)
Ballet avec chant
Livret de Bertolt Brecht sur une idée de Boris Kochno

Prologue
La Paresse
L'Orgueil 
La Colère
La Gourmandise
La Luxure
L'Avarice
l'Envie
Epilogue

Nancy Gustafson, soprano 
Douglas Nasrawi, ténor
Donald George, ténor
Henk Neven, baryton
Matthias Hoelle, basse

Orchestre Philharmonique de Radio-France
Kirill Karabits, direction



PEUR ET MISERE DU IIIème REICH...

Pour ce concert inaugural du cycle "Le IIIème Reich et la musique, Compositeurs officiels et diffamés", la Cité de la Musique avait mis à l'honneur l'un des représentants les plus emblématiques de cette "liste noire" établie par les nazis, à savoir Kurt Weill, juif, militant d'extrême-gauche et ami et coéquipier de Bertolt Brecht, un autre banni.

C'est sans doute l'Opéra de Quat' sous, son premier grand succès en 1928 sous la République de Weimar, qui fit vraiment connaître Kurt Weill du grand public. Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que cette oeuvre soit l'une des premières à être interdites lors de la prise de pouvoir par les nazis en 1933.

Der Silbersee (Le Lac d'Argent), un "Conte d'hiver", qui comporte aussi des parties chantées, et fut écrit en collaboration avec le dramaturge expressionniste Georg Kaiser, fut accueilli avec enthousiasme lors de sa création simultanée à Leipzig, Magdebourg et Frankfurt en 1933. Mais hélas, le lendemain de l'incendie du Reichstag, Kurt Weill dut fuir l'Allemagne pour s'installer à Paris, où il était déjà connu et apprécié en raison du succès du film L'Opéra de Quat'sous (1931). Soutenu et protégé par des mécènes et deux grandes familles d'aristocrates : La Princesse de Polignac, ainsi que Charles et Marie-Laure de Noailles, il y écrira la Symphonie n° 2 et un de ses autres chefs-d'oeuvres, Les Sept Péchés Capitaux, pour lequel il fera la connaissance du célèbre Boris Kochno, auquel l'Opéra de Paris avait rendu hommage en 2001.

A l'écoute de cette musique dite "dégénérée" - "entartete", on peut imaginer quel scandale elle dut provoquer à l'époque parmi les idéologues fascistes. En effet, aussi bien dans les extraits du Lac d'argent, que dans la Symphonie n° 2, sans oublier l'apothéose des Sept péchés capitaux, alors, qu'apparemment, l'effectif réduit de l'orchestre et l' écriture générale semblent plutôt "classiques", le jazz et le cabaret s'insinuent de manière progressive, mais irrémédiable : beaucoup de cuivres et de percussions, une place importante accordée aux contrebasses, et du "swing"...

A la tête du Philharmonique de Radio France en petit effectif, le jeune chef russe Kirill Karabits, nommé jeune chef associé à l'Orchestre en 2002, a incontestablement de la ferveur et du punch.

Les choses se gâtent un peu en deuxième partie, à l'écoute de ce "ballet chanté" écrit en collaboration avec Boris Kochno sur un texte de Bertolt Brecht, brûlot marxiste, s'il en est, et non pour l'orchestre, toujours aussi tonique, mais pour les chanteurs.

Nancy Gustafson, superbe créature blonde et "sexy glamour" vêtue ce soir-là d'une robe noire moulante, très décolletée et très fendue, fut au Châtelet une touchante Jenufa dans une mise en scène mémorable de Stéphane Braunschweig. Le rôle d'Anna I, doublé à la scène par une danseuse, Anna II, demande un engagement, une incandescence et une hargne révolutionnaire qu'incontestablement, cette ravissante chanteuse ne possède pas. La voix est jolie, bien menée, mais peu puissante, souvent engorgée dans le bas médium et le grave, et manque globalement de projection. De plus, la diction allemande a peu de relief, ce qui est plutôt gênant dans cette oeuvre où le texte - et pour cause - est fondamental. Ses partenaires, un peu plus hauts en couleurs en raison du caractère caricatural des personnages, la "Famille" étant interprétée par un quatuor vocal masculin, possèdent malgré tout le défaut de chanter encore un peu trop "opéra" cette oeuvre complexe où les mots et la musique sont étroitement imbriqués. Le texte décapant de Brecht ne "s'entend" guère dans cette lecture proprette, ce qui est d'autant plus frustrant que la version de concert prive le spectateur de l'impact que pourraient avoir sur scène le travail des acteurs-chanteurs et des danseurs.

En conclusion, cette prestation, qui nous laisse plutôt sur notre faim, ne nous fera pas oublier Lotte Lenya, ni Anja Silja, ni Anne-Sofie von Otter qui, en 2001 à Garnier, porta bien haut le flambeau brechtien en livrant une lecture rageuse et fascinante de cette oeuvre sarcastique dont le pouvoir dévastateur et libérateur ne s'est pas émoussé avec le temps.

Il convient de toute façon de saluer la Cité de la Musique pour avoir, par cette programmation courageuse et inventive, soulevé un peu plus le pan du voile qui recouvre encore quelque peu cette période troublée. Le cycle continue à travers une exposition qui vient tout juste de commencer et se poursuit jusqu'au 9 janvier 2005, des conférences, des débats et d'autres séries de concerts à venir : Le Camp de Terezin (octobre), Richard Strauss/L'Ecole de Vienne et le Cabaret (novembre).
 
 
 

Juliette BUCH
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