C O N C E R T S
 
...
[ Sommaire de la rubrique ] [ Index par genre ]
 
......
TOURS
09/11/2001
 
WERTHER

Jules Massenet

Version pour baryton

Direction musicale : Jean-Yves Ossonce
Mises en scène : Mireille Larroche
Décors : Guy-Claude François
Costumes : Anne Bothuon
Lumières : Philippe Quillet
Orchestre Symphonique de Tours

Werther : Jean-Sébastien Bou
Charlotte : Nora Gubisch
Sophie : Sophie Graf
Albert : Laurent Alvaro
Le Bailli : Jacques Bona
Schmidt : Franck Cassard
Johann : Ronan Nédélec
Brühlmann : Jean-François Laroussarie
Kätchen : Géraldine Chauvet
Les enfants: Maîtrise du Conservatoire National de Région de Tours

 


Werther, opéra pour ténor, cela va sans dire. Pourtant, lorsque Massenet auditionna la dizaine de chanteurs pour la création du rôle à l'Opéra-Comique, l'affaire ne semblait pas en bonne voie.

Lors de la dernière répétition avant la générale, le ténor choisi par Massenet, le moins mauvais à ses yeux, fit une interprétation tellement peu convaincante que le compositeur, hors de lui, n'hésita pas à lui lancer dans la figure : "Je vous retire le rôle ; la répétition est terminée. Werther ne sera pas donné avec vous. Puisqu'il n'y a pas de ténor pour Werther, je vais le transposer pour baryton, pour Victor Maurel."

Ainsi l'idée de la transposition trottinait déjà dans la tête de Massenet bien avant sa rencontre avec le grand baryton Mattia Battistini et si le ténor Guillaume Ibos, de passage à Paris, n'avait pas, in extremis, sauvé la situation, il est clair que c'est Victor Maurel qui aurait repris le rôle.

La rencontre de Massenet avec Battistini donna le prétexte au compositeur de mener à bien cette transposition et l'oeuvre, version baryton, fut créée à Saint-Petersbourg en 1900.

Massenet a relativement peu modifié la version d'origine, pour ténor, et s'est contenté d'adapter certains passages de la ligne vocale de Werther à une tessiture plus grave, les autres éléments de la partition (tonalités, orchestration) restant identiques.

Cette adaptation se ressent dans certains airs et plus particulièrement dans le Chant d'Ossian qui, transposé, sonne peut-être moins brillant, moins percutant à l'oreille de l'auditeur (évidemment nous n'avons plus le "la dièse" sur la dernière syllabe de "réveiller ").

Le rôle nécessite un baryton avec facilité dans l'aigu ce qui était le cas de Battistini.

La présentation à Tours de ce Werther baryton constitue une création puisque l'oeuvre n'a jamais été représentée en France. La dernière production remonte à 1999, au Metropolitan Opera, avec Thomas Hampson dans le rôle titre.

L'équipe réunie par le Grand Théâtre est assez exceptionnelle, les chanteurs ont un atout majeur : ils ont l'âge de leur personnage, ce qui confère une grande crédibilité à leur interprétation.

Jean-Sébastien Bou entre avec bonheur dans la peau du poète torturé. Il ne présente aucune difficulté à chanter les notes de la partition, le timbre est agréable, le médium et l'aigu bien nourris, le phrasé est admirable. Il est un Werther stylé, sobre, introverti à souhait et répond parfaitement aux exigences du rôle : son invocation à la nature, son duo du clair de lune sont émouvants.

Nora Gubisch présente l'avantage de ne pas camper une Charlotte trop mûre, trop femme comme c'est parfois le cas ( après tout elle n'a que vingt ans, c'est une jeune fille même si elle a la lourde tâche de l'éducation de ses frères et soeurs), elle garde encore une certaine innocence dans les deux premiers actes et traduit bien sa prise de conscience progressive de l'amour qu'elle porte à Werther. La voix est chaude, ronde, à l'aise dans les différentes parties de sa tessiture, si on peut lui reprocher un manque de dramatisation dans l'air des lettres, elle est bouleversante dans celui des larmes, de la prière et dans sa confrontation avec Werther à la fin de l'acte III.

Laurent Alvaro a un petit peu déçu dans son air du premier acte (elle m'aime...elle pense à moi...), accusant un léger vibrato et l'aigu un peu tendu, puis les choses s'arrangent par la suite, le duo avec Werther de l'acte II, curieux duo pour barytons, nous permettant d'entendre deux belles voix au timbre différent.

Sophie Graf, soprano lyrique, nous évite l'image d'une Sophie un peu niaise tout en gardant la fraîcheur, la spontanéité et le naturel de la soeur de Charlotte. Vocalement, elle maîtrise bien son rôle et cela se ressent dans son "air du rire", mené tambour battant et avec rythme.

Les autres chanteurs Jacques Bona (Le Bailli), Franck Cassard (Schmidt), Ronan Nédélec (Johann) complètent efficacement la distribution et nous proposent des personnages de bons vivants fidèles à la tradition.

La mise en scène de Mireille Larroche est plutôt traditionnelle et respectueuse du livret, elle encadre bien les chanteurs exigeant d'eux une certaine sobriété dans l'attitude et le langage gestuel (par contre on se serait bien passé du geste du lever de rideau lorsque Werther chante son "On lève le rideau" ! ! !).

L'idée du double de Werther, symbolisé par un enfant et représentant peut-être ici la conscience du poète, est à nouveau utilisée (cette idée n'est pas nouvelle car déjà vue dans la mise en scène du festival d'Aix en 1979 avec Neil Shicoff dans le rôle titre).

Le décor unique utilise la totalité du plateau avec au fond une projection d'un paysage mélancolique et serein (peut-être la campagne autour de Wetzlar bien que l'on imagine plutôt une lande Ecossaise), symbolisant l'espoir car, ce même paysage, au fur et à mesure de l'avancée du drame et de son impasse, sera éclipsé par des panneaux noirs.

Quelques accessoires (un pont, des tables et chaises, un clavecin, des livres) positionnés au milieu de la scène suggèrent les différents lieux de l'opéra.

Une fois de plus, Jean-Yves Ossonce confirme ses qualités de chef lyrique, un oeil sur l'orchestre, l'autre sur les chanteurs et toujours soucieux de soutenir le chant sans le couvrir. Il sort de merveilleuses sonorités dans le passage élégiaque du clair de lune, suspendant momentanément le temps, et traduit bien les angoisses renfermées dans les interludes et le tableau de la nuit de Noël.

Werther baryton est à mon avis plus qu'une curiosité, cette version donne un nouveau visage au poète, plus sombre, plus sobre, moins brillant par la voix mais tellement plus touchant (une sorte de jumeau du Werther ténor) et je me demande si, à bien des égards, je ne préfère pas le baryton au ténor.

Plutôt que de présenter systématiquement la version ténor avec des prestations plus ou moins réussies, les théâtres francophones devraient donner une nouvelle chance à la version Battistini, les quelques barytons s'y étant illustrés (Thomas Hampson, Jean-Sébastien Bou ici à Tours) ayant fait leurs preuves.
 
 
 

Alain Colloc
[ Sommaire de la Revue ] [ haut de page ]