OPERAS - RECITALS - CONCERTS LYRIQUES
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PARIS
11/11/2007
 
Matthais Goerne
© DR


Franz Schubert (1797-1828)

Winterreise D. 911
Cycle de 24 lieder
sur des poèmes de Wilhelm Müller (1794-1827)

Matthias Goerne, baryton
Helmut Deutsch, piano

Paris, Théâtre des Champs-Elysées, le 10 novembre 2007

Un voyage qui fait le tour de Franz


Matthias Goerne occupe depuis plusieurs années une place privilégiée dans le domaine du lied. Privilégiée, et à part. Goerne se permet ce que beaucoup de ses collègues Liedersängers ne s’autoriseraient pas : quelques pas sur la scène, des gestes du bras, des soupirs, et des fulgurances que l’on croyait réservées à l’opéra. Rien, pourtant, ne manque d’introspection. Et rien n’est jamais vulgaire. Au-delà des luttes monotones entre « ceux qui analysent » et « ceux qui vivent » la musique, Goerne propose un cycle où se mêlent constamment l’intériorité et le drame, qui se nourrissent, s’attendent, se créent et se recréent sans cesse l’un l’autre. Dans ce Winterreise sans appel et sans espoir, on voit comme s’il était mis en scène le Voyageur qui erre sans but dans des villages grisâtres et des campagnes boueuses balayées par le vent. Ce décor étouffant atteint des paroxysmes de désolation dans « Erstarrung » (qu’un spectateur sous le choc tentera même d’applaudir !), « Auf dem Flusse », « Einsamkeit », « die Krähe » et surtout dans l’ultime et saisissant « Leiermann », qui laissera plusieurs secondes la salle dans un silence abasourdi. Dénuements misérables, métaphores entêtantes, désespoir assumé, silences assourdissants et crescendo terribles, tout Schubert et tout Müller sont là.

Dans cette interprétation où tout se brouille, se modifie et se bouleverse, où tout évolue en d’implacables pulsions, rien pourtant, ne semble disparate ! Les innombrables éléments que donnent à entendre le baryton et son pianiste sont unis par une seule et même tension, d’une intensité crue et renversante, qui nous étreint dès les premières mesures de « Gute Nacht » pour ne plus nous lâcher. Cette pierre angulaire essentielle est vaillamment défendue par Helmut Deutsch, artisan inestimable, sans qui le cycle se déliterait. C’est aussi à ce genre de relation qu’ont sur scène les deux solistes que se reconnaissent les grands Liederabend.

Bien sûr, Goerne ne pourra pas faire l’unanimité : son vibrato très serré, son timbre si volontiers rugueux, trouveront toujours leur détracteurs. Mais incarner, incarner vraiment, et de manière si brillante, l’une des œuvres les plus ambiguës de l’Histoire du Lied, voilà qui méritait bien un concert de louange, et une salle debout !


Clément TAILLIA

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