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NANCY
22/06/06

© Opéra de Nancy
Alban BERG (1885-1935)

Wozzeck

Opéra en trois actes et quinze scènes
Livret de du compositeur d’après le drame Woyzeck de Georg Büchner
Créé le 14 décembre 1925 au Staatstheater Unter den Linden de Berlin
Direction musicale : Sebastian Lang-Lessing
Mise en scène –Michel Deutsch
Décors – Jean-Marc Stehlé
Costumes – Arielle Chanty
Lumières – Hervé Audibert
Etudes musicales – Daniel Sarge
Assistant mise en scène – Elidan Arzoni
Assistantes décors – Catherine Rankl, Audrey Vuong
Assistant costumes – Bruno Jouvet

Wozzeck – Thomas Tómasson
Le Tambour-Major – Louis Gentile
Andrès – John Bellemer
Le Capitaine – Wolfgang Ablinger-Sperrhacke
Le Docteur – Andrew Greenan
Marie – Marjorie Elinor Dix
Margret – Marie-Thérèse Keller
Premier compagnon – Jean Teitgen
Second compagnon – Christophe Gay
L’Idiot – Christophe Berry
Un Soldat – Xia Lun Chen
Un Gars – Tadeusz Szczeblewski
L’enfant de Marie – Aïtana Artzer

Chœurs de l'Opéra de Nancy et de Lorraine
(direction Merion Powell, Frank Markowitsch)
Orchestre Symphonique et Lyrique de Nancy

Nouvelle production

Nancy, 22 juin 2006

Cauchemar en apothéose

Comme Stephan Braunschweig à Lyon, Michel Deutsch choisit de ne pas faire d’entracte, et accentue la tension, l’inexorable enfermement de Wozzeck mais aussi du public dans cette paranoïa de persécution : aucune possibilité de retrouver son souffle avec une coupe au foyer, et c’est bien ainsi. La rapidité époustouflante des changements de décors aux précipités (la scène de bal populaire se met en place à une vitesse ahurissante), à peine plus ralentis aux changements d’actes, compense les césures permanentes, agaçantes pour certains, mais qui à notre sens rend encore plus lisible le séquençage voulu par le compositeur.

Cela renforce en tout cas le parti-pris cinématographique de Michel Deutsch, qui donne pour résonance à l’emmurement progressif de Wozzeck dans sa folie l’enfermement d’un appartement au décor peint, et d’une ville de studio, cauchemardesque, allant jusqu’à utiliser certaines ficelles du cinéma muet : arrêts dans un rayon de lumière, marche sur place face à la caméra-spectateur… Les décors magnifiques de Jean-Marc Stehlé jouent les toiles peintes, à la fois réalistes et théâtrales, fortement expressionnistes, dressant un cadre étouffant et progressivement teinté de sang.

© Opéra de Nancy

A tel parti pris, à la nécessité d’installer une tension progressive, un piège inéluctable, il faut des acteurs autant que des chanteurs : on a les deux, que l’on sent fermement dirigés, jusqu’à l’enfant même, confondant de naturel. Le trio masculin pervers et destructeur incarné par Wolfgang Ablinger-Sperrhacke, Andrew Greenan, et Louis Gentile, est remarquable d’efficacité scénique et offrent un support musical et dramatique convaincant à l’incarnation marquante de Thomas Tómasson : Wozzeck d’une stature impressionnante, investi par son rôle, sa sûreté vocale lui permet toutes les nuances de caractérisation, entre naïveté, blessure, colère et naufrage. A ses côtés, Marjorie Elinor Dix met plus de temps à habiter Marie mais offre d’émouvants instants dans sa détresse révoltée. Le choeur allie qualité vocale et ductilité scénique.

© Opéra de Nancy

Le dernier, mais pas le moindre, héros de la soirée est Sebastian Lang-Lessing, qui laisse la place de directeur musical de l’Orchestre Symphonique et Lyrique de Nancy à Paolo Olmi pour la prochaine saison. Avec Wozzeck, Laurent Spielmann lui a offert l’occasion d’adieux de rêve à “son” orchestre, qu’il aura mené à un niveau remarquable en quelques années. La précision et la tension constante de sa direction répond idéalement à l’acuité de la mise en scène. L’orchestre se transcende, rend lisible et compréhensible tout le travail de Berg. Malgré les coupures des séquences, ce n’est qu’un long arc qui se tend, sans répit, et sans failles.

Ovation largement méritée pour tous les acteurs d’un feu d’artifice final en forme de réponse aux ultimes récalcitrants : un label national, ça se travaille, et ça se mérite, tout simplement.

 
Sophie Roughol
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