C O N C E R T S
 
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PARIS
15/01/2006

Oswald Sallaberger
Wolfgang Amadeus MOZART

-Symphonie no 31 en ré majeur K. 297 « Paris »
Premier mouvement, allegro assai

Zaïde
(Livret de Johann Andreas Schachtner d’après 
Das Serail de F. J. Sebastiani)

Maurerische Trauermusik 
(Musique funèbre maçonnique) en ut mineur K. 477

Shigeko Hata : Zaïde
Eric Laporte : Gomatz (ténor)
Vincent Deliau : Allazim (basse)
Jérôme Billy: Le sultan Soliman (ténor)
Alain Herriau: Osmin (basse)

Orchestre de l’Opéra de Rouen/Haute-Normandie
Direction : Oswald Sallaberger
Dramaturgie et mise en espace : Emmanuelle Cordoliani

Cité de la Musique
Salle des concerts
Dimanche 15 janvier 16h30

La Cité de la Musique inaugure l’année Mozart en nous offrant un concert tout à fait original autour de Zaïde, œuvre injustement méconnue et sous-estimée. Considérée à tort comme un partition mineure, au prétexte sans doute qu’elle est restée inachevée, Zaïde est très rare à la scène comme au disque (1). Seul en subsiste l’air « Ruhe sanft mein holdes Leben » que la plupart des sopranos mozartiennes mettent volontiers à leur répertoire.

Mozart avait 24 ans lorsqu’il s’attelle à la composition d’un ouvrage lyrique en allemand destiné à l’opéra de Vienne. Pour l’occasion, son librettiste Andreas Schachtner s’est inspiré d’un Singspiel de Sebastiani, Das Serail, mis en musique par Joseph Friebert. Si le premier acte suit pas à pas le modèle, le second s’en éloigne sensiblement.

Gomatz, esclave du sultan Soliman, se lamente sur son sort avant de s’endormir. Zaïde, esclave elle aussi, aperçoit le jeune homme et, séduite, dépose à son chevet son portrait que Gomatz découvre avec émerveillement à son réveil. Tous deux s’éprennent l’un de l’autre et décident de s’enfuir, ils seront aidés par Allazim, un autre esclave. Au second, acte les fuyards seront rattrapés et conduits au sultan qui leur promet une mort affreuse. Ici s’arrête la partition à laquelle il manque l’ouverture et le finale. Dans une lettre à son père Mozart explique que son ouvrage « ne convient pas à Vienne où l’on voit plutôt des pièces comiques. »  Il laissera ainsi l’œuvre inachevée et composera pour Vienne L’Enlèvement au sérail sur un sujet assez proche.

C’est Constance qui découvrira la partition de Zaïde, huit ans après la mort de son mari. Celle-ci sera publiée en 1838 et représentée pour la première fois à Francfort le 27 janvier 1876 à l’occasion du cent-vingtième anniversaire de la naissance du compositeur, complétée par une fin heureuse, inspirée du livret original de Das Serail : un coup de théâtre révèle que Gomatz et Zaïde sont en fait frère et sœur et qu’Allazim n’est autre que leur père. Touché, Soliman leur accorde son pardon et leur laisse la vie sauve. Mais est-ce vraiment cette fin-là qu’envisageaient Mozart et son librettiste ? Nul ne peut le savoir, le livret de Schachtner ayant disparu, seule subsiste la partition manuscrite.

En accord avec Oswald Sallaberger, Emmanuelle Cordoliani réfute cette solution et opte pour une fin tragique : la mise à mort de Gomatz ponctuée par la Musique funèbre maçonnique.  Dans leur version, où le premier mouvement de la Symphonie n°31 sert d’ouverture, toute l’histoire est rêvée par Gomatz, qui, rappelons-le, s’endort au début de l’ouvrage, d’où le sous-titre du concert : Le dernier rêve d’un condamné.

Si elle peut paraître discutable, cette conception se justifie cependant par le climat globalement sérieux de la partition qui ne comporte qu’un seul air comique, celui d’Osmin « Wer hungrig bei der Tafel sitzt » au deuxième acte. Elle justifierait également les propos de Mozart à son père, cités plus haut et contredirait l’idée généralement admise que Zaïde ne serait qu’un brouillon de L’Enlèvement. Bien au contraire, comme le souligne Oswald Sallaberger dans le programme du concert : « Zaïde se présente comme un creuset où bouillonne la matière première des grands ouvrages lyriques que Mozart composera en cette fin agitée du XVIIIe siècle. »

La musique, en effet, est d’une très haute inspiration, chaque air se révélant un véritable bijou et les deux ensembles qu’elle comporte - le trio qui conclut l’acte I et le quatuor sur lequel la partition reste en suspens - sont du meilleur Mozart. Qui plus est, l’ouvrage comporte deux mélodrames (2), technique à laquelle le musicien n’aura plus recours par la suite. Sans doute lui ont-ils été inspirés par l’œuvre de Franz Benda, Medea, qu’il avait applaudie à Mannheim en 1778.

Les dialogues parlés ont été entièrement réécrits par Emmanuelle Cordoliani dans un français moderne, probablement pour permettre une meilleure compréhension de l’action par le jeune public auquel le concert était présenté la veille.

En revanche, sa mise en espace, agrémentée par quelques accessoires hétéroclites et des projections, n’a guère convaincu l’auditoire.

Le plateau est constitué par une équipe de jeunes chanteurs enthousiastes et aussi à l’aise dans les parties chantées que les scènes parlées. De l’ensemble se détachent les trois protagonistes, au premier rang desquels Vincent Deliau, comédien subtil doté en outre d’un beau timbre de basse cuivré, qui incarne un Allazim profondément humain, à la fois tendre et facétieux. Une voix à suivre assurément.

Eric Laporte est un Gomatz très crédible  à la voix claire et finement nuancée qui semble cependant plafonner quelque peu dans l’aigu, heureusement fort peu sollicité ici.

Enfin la jeune soprano japonaise Shigeko Hata campe une Zaïde touchante et fragile. Son joli timbre lyrique fait merveille dès son premier air  « Ruhe sanft mein holdes Leben » tout en délicatesse et sensibilité mais trouve ses limites dans le second « « Tiger ! wetze nur die Klauen » qui réclame davantage de véhémence et de mordant. Une réserve qui ne saurait entacher une interprétation par ailleurs irréprochable. Saluons également l’excellence de sa diction dans les scènes parlées.

Le reste de la distribution n’appelle aucune réserve particulière.

A la baguette, Oswald Sallaberger défend avec fougue et conviction cette partition à la tête de son orchestre de l’Opéra de Rouen/Haute Normandie. Signalons que pour l’occasion les musiciens jouent sur des cordes en boyaux.

Un concert extrêmement captivant qui ose des partis pris audacieux et les assume avec brio.


Christian PETER


(1) De la maigre discographie de l’ouvrage deux versions se détachent :
-Celle qui réunit Edith Mathis, Peter Schreier et Ingvar Wixell sous la baguette de Bernhard Klee, gravée en 1973 et proposée par Philips dans l’intégrale Mozart parue en 1991.
-Et celle, plus récente, de Paul Goodwin et l’Academy of Ancient Music avec Lynn Dawson, Hans Peter Blochwitz et Olaf Bär (1998).
-Enfin, dans l’intégrale Mozart que Brillant Classics vient de publier, figure une Zaïde dirigée par Ton Koopman en 2001, avec Sandrine Piau, Max Ciolek, Klaus Mertens et Paul Agnew.

(2) Il s’agit de textes déclamés sur la musique.

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