C O N C E R T S
 
...
[ Sommaire de la rubrique ] [ Index par genre ]
 
......
CAEN
14/11/2006
 

Wolfgang Amadeus Mozart (1756 - 1791)

La Flûte Enchantée


Opéra en deux actes
Livret de Schikaneder 
 
Mise en scène, Stefan Bastians

 Marionnettistes du Conservatoire de Stuttgart
Chanteurs de la troupe du Grand Théâtre (Bolchoï) de Minsk

 Orchestre du Bolchoï de Minsk
Direction musicale, Wilhelm Keitel

Caen, le 14 Novembre 2006

Une Flûte désanchantante


Joyau de l’opéra mozartien avec Don Giovanni, la Flûte Enchantée regorge de trésors tant musicaux que symboliques, la plupart de ses pages font partie des plus célèbres du répertoire et c’est donc toujours une fête que d’assister à une production de ce chef d’œuvre.

Surtout ce soir, puisque les affiches annonçaient la troupe du Bolchoï. Or il est vrai que Mozart n’est pas le compositeur le plus étudié en cours de chant en Russie, donc il était particulièrement fascinant d’assister à une telle rencontre.

L’enthousiasme fut de courte durée. Tout d’abord en arrivant on apprenait qu’il s’agissait du Bolchoï de Minsk et non de Moscou... En outre, l’opéra était donné au Zénith de Caen : avec sonorisation de facto. Mais après tout, les Contes à Bercy avaient été plutôt plaisants malgré cette gêne, donc c’est sans a priori que je me rendais à cette production. Pourtant dès les premières notes de l’ouverture, tout était dit : tempi fulgurants mais non maîtrisés, qui allaient perdurer pendant toute la soirée, aucune nuance entre piano et forte, bref une bouillie émanait, non pas de la fosse, mais du parterre, puisque les musiciens étaient à même le sol et la scène était surélevée.

Si l’inexistence des nuances est impardonnable, en revanche, en entendant par la suite les différents protagonistes, on pouvait excuser le chef de confondre la Flûte avec le prestissimo de l’ouverture de Guillaume Tell : il fallait abréger au plus vite les souffrances des spectateurs... et des chanteurs. C’est bien simple, le niveau artistique s’apparentait à peine à celui d’une comédie musicale de Broadway qu’à un Opéra. Comparaison sans aucune condescendance (je suis fan de plusieurs comédies) mais il faut bien reconnaître qu’on ne demande pas les mêmes qualités à un chanteur d’opéra et à un chanteur de comédie musicale. Et ceux qui se sont produits hier soir ne disposaient pas des qualités essentielles à l’art lyrique : souffle (respiration reprise toutes les deux mesures dans les vocalises), legato, musicalité, projection (merci les micros), attaques non soutenues, justesse (à part Papageno et Papagena les autres chanteurs allaient de deux commas en-dessous à tout à fait faux... aïe aïe aïe les notes extrêmes de la Reine et de Sarastro... )

Au supplice musical s’ajoute un supplice visuel : les décors sont affreux, trois palmiers (seule allusion à la maçonnerie... et encore, était-ce réellement voulu ?) et une chaise longue devant laquelle se produiront une cohorte de personnages en maillots de bain, revêtus des couleurs brésiliennes. En plus des protagonistes de l’histoire, le metteur en scène a cru bon de nous affubler de mimes-marionnettistes qui obscurcissaient encore plus le propos (il n’y avait aucun surtitre, les chants étaient en allemand et les dialogues revus et corrigés par je ne sais qui, soit en allemand, soit dans un français déplorable qui se voulait parfois drôle... ). Et bien sûr aucune direction d’acteurs. Etant donné le talent naturel des chanteurs pour jouer la comédie, un petit coup de pouce du metteur en scène aurait été le bienvenu.

Ainsi Tamino, acteur improbable, aux aigüs très mal maîtrisés – et faux -, à la limite du craquement, mais au haut medium rond et chaleureux se prélassait sur sa chaise longue quand 10 personnes armées de crocodiles en plastique se mirent à gesticuler autour de lui. A l’entrée des trois dames (tout à fait correctes), il s’assit tranquillement pour s’endormir (merci pour la symbolique de l’évanouissement). Le reste de la prestation fut du même niveau.

Sa Pamina lui était donc parfaitement assortie : jolie voix légère mais incapable de projeter, et surtout qui demeure très engorgée. Son air fut un massacre : la grande montée suivie des piqués ressemblait à une pente savonneuse et les trois piqués difficilement justes furent... liés... par la suite il lui fut impossible de remonter les deux commas qu’elle avait perdus sur ces notes. Les attaques sur Ach Tamino se transformèrent en supplice.

Mais il serait injuste d’incriminer la Princesse plus longuement car le Palmarès de l’Horreur revient à la Reine et à Sarastro. En ce qui concerne le Grand Prêtre, le constat est simple il ne possède pas les notes extrêmes de Sarastro et fait tout ce qui est possible pour émettre un son plus proche du coassement de la grenouille que d’une note. De la même façon, déstabilisé par ces notes il lui sera impossible de se raccrocher à l’orchestre par la suite (problème de retour de son ?), et lui aussi demeurera quelques commas en-dessous, voire totalement faux.

Quant à la Reine, arrivée telle une Walkyrie, elle fut de loin la plus consternante de la soirée : aucun souffle – reprise de la respiration en plein milieu des phrases toutes les 3 mesures – aucun grave- qu’elle parlait !!!! - , medium quelconque, aigus faciles mais suraigüs impossibles à sortir sans forcer et bien sûr totalement faux. En lieu et place du contre-fa on a dû se contenter d’un son proche du contre-mi. Etant donné que le premier air est techniquement le plus difficile, j’espérais – mais je suis bien naïve- que le second air qui ne « nécessite que les cordes vocales adéquates » allait être plus réussi. Hélas... les forte étaient forcés et donc criés bien plus que soulevés et les staccati infernaux totalement faux. On était bien loin de la céleste Christina Deutekom ou de Natalie Dessay pour ceux qui ont eu la chance de l’admirer à Garnier dans ce rôle en 2000.

Arrivons quand même au seul intérêt de la soirée : le couple Papageno – Papagena.
Bons chanteurs et acteurs, aux voix correctement projetées, au souffle suffisant, à la musicalité impeccable. Ils permettaient au spectateur de se souvenir qu’on assistait à un opéra.

En résumé une soirée exécrable et une Flûte vraiment désenchantée !


Audrey BOUCTOT
[ Sommaire de la Revue ] [ haut de page ]