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LYON
21/10/04

© Gérard Amsellem
Wolfgang Amadeus MOZART

DIE ZAUBERFLÖTE

(LA FLÛTE ENCHANTEE)

Singspiel en deux actes
sur un livret de Emmanuel Schikaneder

Tamino : Marcel Reijans
Pamina : Hélène le Corre
Papageno : Markus Werba
Papagena : Christiane Rigaud
La Reine de la Nuit : Ingrid Kaiserfeld
Sarastro : Daniel Borowski
L'Orateur/Premier Prêtre : Kurt Gysen
Monostatos : Eberhard Francisco Lorenz
Première Dame : Camilla Johansen
Deuxième Dame : Anne le Coutour
Troisième Dame : Elodie Méchain
Trois Garçons : Enfants de la Maîtrise de l'Opéra
Premier Homme armé : Jérôme Avenas
Deuxième Prêtre : Jean-Louis Meunier
Deuxième Homme armé : Shadi Torbey

Mise en scène et scénographie : Stéphane Braunschweig
Réalisation de la mise en scène : Georges Gagneré
Costumes : Thibault Vancraenenbroeck
Conception images vidéos : Stéphane Braunschweig & Thibault Vancraenenbroeck
Eclairages : Marion Hewlett
Masques : Colienne Vancraenenbroeck

Choeurs et Orchestre de l'Opéra National de Lyon
David Stern

Lyon, le 21 Octobre 2004


C'est la deuxième année consécutive que l'opéra de Lyon ouvre sa saison avec une mise en scène de Stéphane Braunschweig. Après le précédent violemment revendicatif d'un Wozzeck déchiré, le dramaturge offre ici une vision pleinement populaire de l'ultime chef d'oeuvre commun de Mozart et Schikaneder. Maître de l'espace, sculpteur de gestes, d'attitudes, comme aussi apôtre d'une certaine luminosité, Braunschweig joue dans sa mise en scène d'une technologie assumée, maîtrisée, pour créer au sein même de l'oeuvre différents niveaux de lecture. Fenêtre ouverte sur d'autres dimensions du réel (la scène des épreuves initiatiques est à cet égard un pur moment de génie visuel), la vision de Braunschweig, construite autour d'un lit omniprésent et siège freudien d'univers entremêlés, est bourrée de trouvailles (tels ces clins d'oeil au burlesque dans les projections de Monostatos et de ses tristes acolytes, ou à une Vienne impériale de boîte à musique ailleurs) d'une saine métaphysique qui offrent à l'oeuvre le statut de fable moderne autant qu'intemporelle. Une vraie réussite donc.

Idéalement vécue par les interprètes, la mise en scène favorise de manière magistrale l'incarnation, au sens propre, de chaque personnage, présences charnelles plus peut-être encore que vocales. Cela permet de survoler quelques approximations (un Monostatos surtout, dans la pire tradition, qui geint, criaille, susurre, éructe mais qui chante bien peu, en fait). Mais cela donne aussi de vraies merveilles. Gigantesque Reine de Ingrid Kaiserfeld, voix sans vertige, mais torche vivante (étonnant, ce vibrato à plusieurs vitesses qui rappelle la Gwyneth Jones des années 70), vocalisation emportée et suraigu tétanisant, puissant et émis en rafales, comme par un gosier mécanique, surhumain... Beau trio de Dames et d'enfants, les premières très bien appariées et d'une belle éloquence, mutines aussi à l'occasion (Elodie Méchain excelle dans ce domaine quand bien même l'instrument de premier ordre est plus celui d'une ogresse que d'une jeune fille en fleur). Superbe Orateur de Gysen, timbre royal sombre et comme sorti des profondeurs de la terre, phrasé impérieux, véritable apparition vocale suggérant un au-delà à l'humain tant la résonance dépasse l'entendement (les yeux fermés, il y a du Hotter des meilleures années dans cette voix).


© Gérard Amsellem

Très docte, paternaliste et noble à la fois, Le Sarastro de Borowski, pour sa part, un peu coincé dans le grave (mais c'est aussi la règle du jeu et Mozart comme le chef lui ont ménagé pour l'occasion un simple souffle d'orchestre qui soutient idéalement l'instrument) affirme une présence incontournable dès lors qu'il est sur le plateau. Plus étonnant est sans doute le Tamino de Marcel Reijans. A rebours d'une certaine tradition mozartienne (c'est l'anti-Gedda, l'anti-Genz pour rester dans les chanteurs contemporains), Reijans, voix placée très haut dans le masque, joue ici d'un héroïsme systématique (ce qui pour le rôle de Tamino est tout sauf un contresens), projetant le son, droit, virulent, épique. Reijans a le format strictement vocal d'un Roswaenge, heldentenor presque, face à l'Orateur, mais sans la tenue de ligne de son illustre prédécesseur (ligne bien hachée ici), sans non plus la noblesse du modelé, les irisations du legato et le clair-obscur du registre grave.

Mais il y a surtout dans cette production deux prestations incontournables. La Pamina de Hélène Le Corre émeut díabord et transcende un rôle souvent falot. Voix chaude, assise sur un médium cossu, jouant aussi d'un aigu ténu, déchiré, qui s'étiole et ajoute à l'incarnation sans fard de la jeune femme. La voix, le corps entier de l'artiste palpite à l'unisson d'une musique vécue plus que chantée... Où a-t-on entendu récemment un "Ach! Ich fühl's" aussi probe musicalement qui s'inscrit comme un gouffre au milieu de la narration?

Mutin plus que philosophe, les pieds solidement ancrés dans son terroir et la tête tournée vers les plaisirs de ce monde, le Papageno de Markus Werba est l'autre absolue révélation de la représentation. Timbre rugueux (ah! ces "r" rrrrrrroulés à la bavaroise), présence obsédante d'éternel cancre de la classe, le jeune baryton émaille sa partie d'une musicalité désarmante, d'un continuel sourire d'adolescent naïf et gaffeur égaré dans un corps et un monde d'adultes. Le public ne s'y trompe pas qui réserve à l'artiste ses applaudissements les plus nourris. Mais son "Ein Mädchen oder Weibchen" comme sa déploration finale, rustauds et à coeur ouvert, chantés comme le plus savoureux des lieder populaires, sans tricher ni contrefaire un personnage sujet à tous les égarements, méritent bien cette manifestation de connivence.

Si les voix sont cependant si bien servies ici, c'est que le chef les étreint, les soutient à chaque moment de la narration par des prodiges de musicalité. Habitué aux formations jouant sur instruments anciens, Stern tire ici de la phalange lyonnaise des sonorités dégraissées, virtuoses, cordes profuses mais toujours véloces, bois irisés, cuivres surtout qui ont rarement si bien sonné, clairs, percussifs. Le discours s'en trouve dès lors perpétuellement relancé, fluidifié aussi sur toute la gamme des dynamiques comme des rythmes (l'ouverture sonne magistralement, ainsi que les scènes initiatiques qui s'en trouvent magnifiées, inscrites comme dans une dimension parallèle au sein du récit) jusqu'à un final en forme de spirale humaniste où la voix chante avec des mots si simples, les mystères de la philosophie des Lumières.

Rarement donc, aura-t-on assisté à spectacle présentant une telle unité de vue comme une telle qualité artistique, cachant derrière les apprêts légers d'un conte enfantin revisité, les subtilités d'une mystique et d'une symbolique immanentes, qui s'éprouvent plus qu'elles ne se montrent.
 
 

Benoît BERGER
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