Oeuvre de Gaetano Donizetti - n°1 - Préambule
Un dossier proposé par Yonel Buldrini
 
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  L'envol du hibou solitaire

Donizetti et son maître, le compositeur Johann Simon Mayr


« (...) je naquis sous terre à Borgo Canale. On descendait un escalier de cave où jamais ombre de lumière ne pénétra. - Et, tel un hibou je pris mon envol, me portant à moi-même tantôt un triste tantôt un heureux présage, non encouragé par mon pauvre père qui me répétait toujours, il est impossible que tu composes, que tu ailles à Naples, que tu ailles à Vienne... »

Gaetano Donizetti
Munich, 15 juillet 1843.
 


On a du mal à imaginer le charme de cette cité médiévale enfermée dans ses remparts intacts. Il faut la contempler, juchée sur sa colline et comme surgissant de terre, telle une citée de conte de fées. Voilà Bergame la Lombarde où naquit le 29 novembre 1797 Gaetano Donizetti.

Descendons cet “escalier de cave”, un frisson nous parcourt l’échine à la pensée que des gens aient pu vivre là. Si la cuisine et une chambre donnent sur un sombre jardinet, les pièces du côté de la rue sont de véritables caves enterrées, où l’on voit encore le lugubre puits donnant à la pauvre mère l’eau glacée pour laver les costumes des soldats. Le père, portier au Mont de Piété, tente d’élever trois fils et trois filles.

On trouve des Donizetti à Bergame à partir du XVIIe siècle et la quatrième génération comporte Andrea (1765-1835), le propre père de Gaetano. Andrea épousera Domenica Nave (1765?-1836) et ils auront d’abord Giuseppe (1788-1856) puis Maria Rosalinda (1790-1811) et Francesco (1792-1848) viendront ensuite Maria Antonia (1795-1823), Domenico Gaetano Maria (1797-1848) et la pauvre Maria Rachele (1800-1800) qui vivra un mois. L’émotion du promeneur donizettien qui flâne dans les longues et tortueuses rues de Bergame se change vite en stupeur lorsqu’il tombe sur de reluisantes plaques de cuivre signalant l’habitation d’un Antonio Donizetti ou d’un quelconque Dottor Donizetti. On s’y fait car l’annuaire du téléphone vous en réserve une trentaine!

Quelque peu désabusé par la réalité, acceptons-la tout de même : aucun ne descend du maestro dont les trois enfants meurent en bas âge, provoquant l’un des drames de sa vie. Son frère Francesco, un peu faible d’esprit, n’aura pas d’enfant. En revanche, Giuseppe l’ainé aura un Andrea qui deviendra un personnage important (et quelque peu trouble) de la triste fin de vie de l’oncle Gaetano. Ce neveu Andrea aura lui-même deux fils qui vivront jusque dans les années 1940. Voilà pour la généalogie la plus proche de l’illustre compositeur.

Mais retournons à cette sombre maison natale pour voir un petit Gaetano s’envoler vers l’église Santa Maria Maggiore et chanter dans les choeurs sous la direction d’un maître de chapelle estimé. Giovanni Simone Mayr comptera beaucoup dans la vie de Donizetti qui aimera comme un second père cet homme dont la profonde bonté n’avait d’égale qu’une grande modestie artistique.

Bavarois d’origine, Johann Simon Mayr (1763-1845) écrivit environ soixante-dix opéras et quantité de musique religieuse. Il fait partie de ces compositeurs-charnières qui firent passer l’opéra avec ses vieilles formules portées au plus haut point par Mozart, du XVIIIe au XIXe siècle. Le romantisme allait bouleverser l’écriture musicale et Mayr entrevoit la nouveauté et remet, en quelque sorte, ses trouvailles dans les mains de Rossini, le fondateur de l’opéra italien du XIXe siècle, de l’Age d’or. Mayr aurait notamment utilisé le premier cet irrésistible effet de crescendo qui deviendra une spécialité rossinienne. Les opéras les plus connus de Mayr et les plus joués de nos jours, sont Medea in Corinto et La Rosa bianca e la rosa rossa, écrits en 1813. Il choisit la nationalité italienne et se fixe à Bergame où il a l’idée de fonder une école gratuite permettant aux plus démunis de recevoir une éducation musicale. Le troisième nom inscrit est celui d’un jeune garçon aux précoces dispositions musicales vite décelées par Simone Mayr : Gaetano Donizetti.


Portrait du jeune Donizetti

Nous sommes en 1806 et Gaetano a neuf ans. Il progresse rapidement dans les études mais un défaut dans sa voix manque plusieurs fois de le faire renvoyer par la Congrégation qui choisit les candidats, car ceux-ci devaient faire partie du choeur de Santa Maria Maggiore. A chaque fois Mayr trouve des raisons ou des subterfuges pour protéger son élève préféré. Mayr fait étudier à ses élèves les oeuvres de Haydn, Mozart et Beethoven peu connues en Italie et il en restera à Donizetti une science de l’orchestration qui illuminera toute sa production d’opéras. C’est à cette époque qu’il se lie d’une amitié indéfectible avec un autre élève, Antonio Dolci.

Il nous faut choisir entre deux portraits offerts par les biographes : d’une part l’élève modèle ou bien le gamin turbulent et peu assidu... Une image plus juste nous semble donnée par le plus grand biographe italien de Donizetti, Guglielmo Barblan , et c’est une sorte de moyen terme : le jeune garçon présentait “une singulière vivacité d’esprit qui se manifestait dans le rejet d’une ambiance réactionnaire trop étroite et surveillée, et dans la joie de vivre, de vivre dans la musique”. Une confirmation nous est apportée par une lettre de Giuseppe qui écrit à leur père, depuis l’île d’Elbe où il avait suivi Napoléon : “Vous direz à Gaetano que cela me fait plaisir qu’il devienne fou pour la musique, mais qu’il n’en perde pas la tête”. Sorte de prophétie tragi-comique quand on connaît son destin. Giuseppe, l’ainé, était également musicien et il se fixera à Constantinople où il sera le directeur estimé des fanfares du sultan.

Gaetano passe neuf années d’études auprès de Mayr qui voit plus loin et pense au perfectionnement indispensable de son protégé pour se lancer dans la composition. Simone Mayr choisit le prestigieux “Liceo Musicale” de Bologne dont la renommée est due en bonne partie à son directeur le Padre Stanislao Mattei. L’un de ses récents élèves allait d’ailleurs devenir le compositeur d’opéras le plus célèbre du moment sous le nom de... Gioachino Rossini!

Peut-être existait-il une autre raison au départ car le jeune Gaetano atteignait dix-sept années et sa haute stature, un port élégant, des cheveux châtain-clair et ses yeux bleus voilés de mélancolie auraient troublé trop de demoiselles...

Le bon Mayr se fait fort d’obtenir une subvention, complétée par une collecte et à la fin de l’année 1815, Gaetano part pour Bologne qui va lui révéler les subtilités de sa tradition de contrepoint. Il ne tarde pas à se faire accepter puisqu’il devient l’adversaire favori, aux cartes, de la mère de l’austère Padre Mattei. Peu importe que ce détail sympathique soit récusé par certains biographes, il donne en subtance un trait du caratère de Gaetano courtois et agréable.

A la fin de l’été 1816, il compose son premier opéra Pigmalione qui sera seulement créé en 1960, précisément au Teatro Donizetti de Bergame. Conçu pour un ténor, cet acte unique d’une quarantaine de minutes présente l’intérêt d’une écriture vieux style mais qui laisse s’épancher de délicieuses mélodies comme le romantisme en aura le secret. L’air de Pigmalione : “Voi che intorno a me vi state” dans lequel il supplie toutes ses statues magnifiques mais inertes de calmer ses pensées, offre, malgré un accompagnement encore un peu XVIIIe et passéiste, cette douceur, cette chaleur et l’abandon qui feront merveille dans les plus belles mélodies de Donizetti.

Yonel Buldrini

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