E N S E M B L E   M A T H E U S
Un dossier proposé par Clément Taillia
 
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"Nous étions mégalos"


En 1991, vous êtes le premier violon du Quatuor Matheus. Qui étaient les 3 autres instrumentistes, et sont-ils maintenant dans l’orchestre ?

            Il y avait les sœurs Paugam, Françoise et Laurence, qui sont toujours dans l’Ensemble Matheus. Laurence qui était à l’alto au moment du quatuor, est maintenant premier violon de l’Ensemble, et Françoise, qui était le deuxième violon, est chef d’attaque des seconds violons de l’Ensemble. Le violoncelliste de l’ancien Quatuor, Laurent-Yann Guiguen, qui est d’ailleurs mon beau-frère, et avec qui je m’entends très bien, habite malheureusement trop loin pour faire partie de l’Ensemble. Sur les 4 musiciens du départ, 3 sont donc toujours là.

            Quel était le répertoire du quatuor ?

            Les grands classiques « viennois », des XVIII et XIXèmes siècles : Haydn, Mozart, Schubert, Brahms. La littérature du XXème aussi, comme Chostakovitch, et déjà sur instruments anciens ou modernes en fonction des répertoires !

            Qu’est-ce qui vous a décidé de transformer le quatuor en une sorte d’orchestre de chambre ?

            Pourquoi avoir fait un orchestre ? Parce qu’on était mégalos, et on a dit : « le quatuor, c’est trop petit ! » (rires). Non, le quatuor, c’est génial, c’est un peu le cœur de la musique, mais ce n’en est malgré tout qu’une partie. Lorsqu’on joue une symphonie d’Haydn ou de Mozart, on pense aux quatuors que composés par Haydn et par Mozart, le quatuor étant le « noyau », et les autres instruments constituant une sorte de développement. Pour nous, c’est un peu pareil ; le quatuor était le noyau autour duquel se sont ajoutés progressivement, petit à petit, d’autres musiciens. La musique baroque était un peu à la base de l’évolution du quatuor en ensemble, on rajoutait parfois un clavecin ou une contrebasse, pour les continuos. En fonction des œuvres que nous voulions jouer, on faisait appel à tel ou tel instrumentiste. Et tout cela s’est fait dans la recherche, et dans le plaisir de la recherche.

            Et pourquoi justement avoir choisi cette orientation vers le baroque, en particulier vers Vivaldi ?

            Pour plusieurs raisons. En 1991, les interprétations sur instruments anciens étaient encore plutôt contestées. Des musiciens disaient : « C’est quoi ces archets, ce boyaux, cette façon de jouer ? ». Et il y a encore quelques crétins aujourd’hui qui pensent que c’est n’importe quoi, mais ils sont heureusement isolés, car presque tout le monde a compris l’interêt et l’importance des recherches sur les phrasés et les instruments. Et donc, à l’époque, il y avait cette « guerre des styles » qui me plaisait beaucoup. C’était naturel pour de jeunes musiciens d’être attirés vers ce mouvement un peu « contestataire ». Mais aujourd’hui, je remarque que des musiciens dis « contestataires » il y a 20 ans sont devenus des gens rangés. C’est un peu comme si l’interprétation baroque s’était enfermée dans des cases en voulant en quitter d’autres. On considère que si on ne joue pas telle ou telle œuvre de telle ou telle manière, ce n’est pas de la musique baroque. Or il faut que la façon de jouer évolue. Un artiste qui joue maintenant comme il y a 15 ans, je trouve ça très inquiétant. Et donc on se retrouve dans un situation où les baroqueux ne se battent plus contre les « moderneux », mais entre eux ! Pour beaucoup de gens, si on ne joue pas comme le faisaient Kuijken ou Leonhardt, on a rien compris ! Mais je présume qu’à l’époque de Vivaldi, on ne jouait pas du violon à Venise comme à Paris, et les bases laissées par quelques grands musiciens, si elles doivent être enseignée et prises en compte, ne sont pas censées être copiées. Je ne voie pas pourquoi tous les musiciens ayant chacun des techniques bien particulières devraient se forcer à adopter les techniques de quelques autres musiciens. Ce qui me ramène un peu dans le sujet (rires) :

Lorsque j’ai appris le violon, j’ai joué Paganini, Wienawski, Brahms, Beethoven, Prokofiev, mais finalement assez peu de Bach, de Händel ou de Vivaldi. Avec mes jeunes collègues, nous étions un peu en manque de cette musique, alors nous la jouons aujourd’hui avec beaucoup de joie. Même si nous jouons aussi d’autres répertoires.

            En tant que « membre fondateur », vous êtes sans doute très attaché à l’Ensemble Matheus, mais un Minkowski dirige d’autres orchestres que ses Musiciens du Louvre, pour ne prendre que ce seul exemple. Est-ce que vous menez une carrière de chef invité ?

            Oui, mais j’essaie de la retenir un peu. J’ai dirigé l’année dernière l’Ensemble Orchestral de Paris. Depuis le début de l’année 2006, j’ai dirigé la Flûte Enchantée à Parme, avec l’orchestre du Teatro Reggio, au Teatro Reggio, pour cinq représentations en février/mars, l’orchestre du Capitole de Toulouse en mars, et début mai j’étais à Prague, avec le Philharmonique de Prague. L’année prochaine, j’irais en Espagne diriger leur orchestre national, et l’orchestre de Galice, je retournai à Prague, pour des concerts et pour un opéra de Rossini. Dans deux ans, je dirigerais pour la première fois l’Orchestre National de France. Pour 2007/2008, toujours, j’ai en projet Carmen à Parme, et cette œuvre ne fait pas partie des projets de Matheus. Je peux donc aborder en tant qu’invité des autres que je ne jouerai pas forcément avec mon ensemble. Mais, contrairement à d’autres chefs, j’essaie de limiter un peu cette facette de ma carrière. Les grands orchestres, ça reste un peu l’usine, on répète deux jours et on joue, tandis qu’avec Matheus, on fait davantage d’artisanat. De plus, j’ai 5 enfants, et je ne veux pas passer ma vie en voyage ! J’ai refusé Ariodante de Händel, à l’ENO, parce qu’une production d’opéra monopolise notre temps pour au moins 6 semaines. Ici, j’ai ma famille, mes amis musiciens brestois, on s’amuse bien.

            D’où votre attachement pour le théâtre de Quartz ? [Salle de concert brestoise de 1600 places produisant aussi bien du théâtre, de la variété, de la danse, du classique. C’est aussi la résidence de l’Ensemble Matheus (lequartz.com)]   

            Oui. Il est important que l’harmonie règne dans la vie d’un musicien, pour régner aussi dans son travail. Et, sans dire que je suis un casanier, j’aime avoir des repères : ma maison, ma famille, mes musiciens, le Quartz… Je dois d’ailleurs rajouter que j’ai beaucoup de chance, car j’en suis à un stade où je peux refuser des engagements, sélectionner les invitations qui m’intéressent et qui sont le plus adaptées à mon rythme de vie. Peut-être que tout cela va passer, et que dans 3 ans, j’en serais à mendier [il fait mine de frapper à une porte] : « Excusez-moi, vous pouvez m’engager ? » (il rit). Pour l’instant, heureusement, tout va bien de ce côté-là.

            Trouvez-vous toujours le temps de poursuivre votre carrière de violoniste ?

            Je désire approfondir cette carrière-là aussi, mais c’est difficile ! En juin et juillet, cependant, je jouerais en soliste avec Matheus des concertos de Vivaldi, et la saison prochaine je reprendrai les 4 saisons, que j’ai beaucoup joué plus jeune, mais que j’avais oublié pendant pas mal d’années. Je les jouerais à partir du printemps 2007 en Bretagne, avant de faire une tournée en France et à l’étranger, jusqu’en novembre où on les joueras au TCE. Jouer cette œuvre est une performance ; il faut être prêt, ça demande un entraînement, et il faut pour me préparer trouver du temps. Il faut que je signe les contrats au moins 1 an à l’avance, pour avoir ce temps. Et Matheus a des dates de prévues jusqu’en 2009, et moi de même en tant que chef invité.

            Vous revendiquez la diversité du répertoire de l’Ensemble Matheus, mais depuis la sortie, en 2003, de la Verita in Cimento, vous et l’ensemble êtes volontiers considérés comme « vivadiens ». Ce n’est pas un peu frustrant ?

            Non, pas du tout ! Comme je le disais tout à l’heure j’adore Vivaldi. Je commencerais à me sentir frustré si on refusait de m’engager dans d’autres répertoires. Or, aujourd’hui,on me propose Mozart, Rossini, Bizet,… Au dernier concert que j’ai dirigé à Prague, avec Jennifer Larmore, le programme comprenait du Rossini, du Bizet, et de la comédie Américaine. Le concert s’est achevé par I want to be a Prima Donna, et en bis on a donné Brazil… c’était amusant ! Vivaldi, je l’aime particulièrement car je suis violoniste à la base, et que j’adore aussi l’opéra, et ce que Vivaldi à composé pour le violon, comme pour l’opéra, est magnifique. Je m’étais dit qu’il y avait un travail de redécouverte à faire. Alors, tant pis si les gens me disent « Vous êtes des spécialistes de Vivaldi ». A l’époque où Matheus commençait, avec Mozart et Haydn, on était considéré comme spécialiste de Mozart et Haydn ! La discographie, il est vrai, a été jusque là totalement Vivaldienne. Mais cette période Vivaldi est un peu en train de se terminer. Ces 4 saisons dont je vous parlais tout à l’heure clôtureront en quelque sorte cette période. Il y a seulement quelques mois, j’ai donné avec Matheus un concert comprenant du Berio ! C’est juste que nous aimons aller au fond des choses, nous plonger dans les musiques que nous jouons, et à l’époque, avec Vivaldi, on avait trouvé un vaste champ d’exploration.

            On parlait tout à l’heure de vos projets en tant que chef invité. Quels sont vos projets, au disque comme à la scène, avec Matheus ?

            En octobre devrait sortir chez Vrgin Emi le nouveau récital (consacré à Vivaldi) de Philippe Jaroussky, que nous accompagnons pour l’occasion. Toujours vers la rentrée, la Griselda paraîtra chez Naïve. Pendant cette période, il y aura des concerts à Turin, Brême, Hambourg, en Bretagne, et en novembre, deux concerts au TCE : un concert de Jaroussky, et le Stabat Mater de Pergolèse, qu’on reprendra en tournée. Tournée aussi pour le Requiem de Mozart, au TCE toujours, mais aussi au Quartz, et à la Halle aux Grains. Des concerts avec Sonia Prina, Jennifer Larmore,… En janvier, il y aura la Pietra del Paragone de Rossini, au Châtelet, qui devrait sortir en DVD (notre premier DVD !). Il y aura ensuite un projet lyrique par saison avec le Châtelet. En 2008, ce sera Véronique, de Messager, dans une mise en scène de Fanny Ardant. L’œuvre pour l’année suivante n’est pas encore décidée. Au TCE, il y aura en 2008 une production de Cosi fan Tutte signée Irina Brook. Pour l’étranger : la Flûte Enchantée à Bilbao, Giulio Cesare

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