N A T H A L I E   S T U T Z M A N N
Un dossier proposé par Christophe Rizoud
 
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  Trois visages de Nathalie Stutzmann

Contralto, chanteuse d’opéras ou artiste ? A l’occasion de l’entretien accordé à Forum Opéra, Nathalie Stuzmann apporte la réponse : les trois sans doute mais musicienne avant tout.

Nathalie Stutzmann, contralto

Fille de soprano et de baryton, votre voie semblait toute tracée. Votre voix aussi ?

J’ai été effectivement bercée dans le monde de l’opéra : l’ambiance du théâtre, le rideau rouge, l’odeur des loges, voir mes parents sur scène depuis la coulisse… Et en moi, très jeune, une envie impérieuse de chanter. Ma mère, bien que soprano lyrique, avait un grave assez fourni ; mon père était plus baryton basse que baryton. Cela explique peut-être d’une manière génétique cette tessiture de contralto qui est la mienne.

Qui dit contralto, pense Marietta Alboni, Pauline Viardot et, plus près de nous, Kathleen Ferrier. Si la filiation avec cette dernière semble évidente, votre parcours ne croise pas souvent celui des deux autres ; pourquoi ?

C’est physiologique. Il existe différentes catégories de contralto ; Marietta Alboni ou Pauline Viardot sont vraiment des contraltos d’opéra ; ce que je ne suis pas.  Il n’est pas question de puissance ou de couleur. Elles ont, comme moi, une voix avec une belle assise ronde mais elles montent plus haut et possèdent une plus grande clarté dans le registre aigu. On ne choisit pas.

Dans l’entretien (http://www.forumopera.com/actu/stutzmann.htm) que vous avez accordé à Bernard Schreuders en décembre 2004, vous dites : « Notre époque aime la vocalisation, la pyrotechnie ce qui est à l’opposé de l’intériorité ». Des chanteuses – Maria Callas pour n’en citer qu’une seule – n’ont-elles pas démontré le contraire ?

J’ai sans doute mal traduit ma pensée. Il est évidemment possible d’exprimer des sentiments à travers la pyrotechnie et de les partager avec le public mais, dans ce cas, il s’agira rarement d’intériorité ou de recueillement. Je ressens, moi aussi évidemment, de la jubilation quand j’écoute des vocalises magistralement exécutées. Il n’en demeure pas moins qu’il ne s’agit pas de la même émotion. Elle est beaucoup plus physique, plus instinctive, viscérale même. Ainsi, je me souviens d’avoir écouté au moins cinquante fois la Zerbinette d’Edita Gruberova dans son enregistrement Philips parce que, quand elle arrive sur le contre fa, je meurs de bonheur.

Notre époque est un peu moins avare que la moyenne en contraltos ; Ecoutez-vous vos consoeurs et si oui, quelle oreille leur portez-vous ?

Il est effectivement toujours intéressant d’écouter les autres. Je vais à des concerts chaque fois que mon emploi du temps le permet. En ce qui concerne les contraltos, j’ai aussi chanté avec certaines d’entre elles, Sara Mingardo par exemple. Elles ont toutes des voix très différentes de la mienne et sont même très différentes entre elles. En fait, nous sommes complémentaires. Mon interprétation cependant n’est pas influencée par la leur même quand nous partageons un même rôle car je sais toujours ce que je veux faire et je me cantonne à ma propre vision. Il faut se méfier, l’imitation peut s’avérer dangereuse, pour la voix comme pour l’artiste. Des musiciens en revanche, plus que des chanteurs, peuvent m’amener à changer mon regard sur une partition ou à prendre d’autres risques ; cela m’est d’ailleurs déjà arrivé.  

Nathalie Stutzmann, chanteuse d’opéras

Vous dites vouloir consacrer plus de temps à la scène. Quels sont les rôles du grand répertoire que vous souhaiteriez aborder ?

Malheureusement, peu de rôles dans le répertoire romantique correspondent à ma voix, mise à part Erda que j’ai chanté en concert. Ulrica pose le même problème que Dalila. La partition au début est celle d’un alto puis elle évolue ensuite vers le mezzo-soprano. Pourtant, j’adore chanter les airs de Dalila ; j’ai d’ailleurs gagné le concours Bertelsmann en les interprétant et dès que je le peux, je les mets au programme de mes récitals. « Printemps qui commence » ou « Mon cœur s’ouvre à ta voix », c’est tellement beau ! Et puis il y a Orphée de Gluck, version Berlioz, que j’ai chanté plusieurs fois en concert.

Et le répertoire baroque ?

Orphée, encore, mais dans la version italienne, cette fois sur scène, la première fois à Lyon en 1998. Je ressens quelque chose de particulier pour le rôle ; il a été mon premier amour lyrique ; il est le dieu de la musique, il séduit par sa voix, par son art. C’est quand même l’un des plus beaux thèmes de l’opéra : tout conquérir par la beauté de son chant… J’ai aussi beaucoup aimé interpréter Rinaldo sur scène. Et puis, il y a eu Giulio Cesare, Amastre dans Xerxes, Radamisto, Didon de Purcell… Depuis une dizaine d’année, la mode des contre-ténors a un peu changé la donne. De par notre tessiture, nous partageons les mêmes emplois. Mais les metteurs en scène, pour des questions de vraisemblance, préfèrent utiliser des hommes plutôt que des femmes. On me propose donc moins souvent de monter sur les planches. Je n’ai rien contre les contre-ténors mais il faut veiller à ce que le physique ne prime pas sur la voix, ce qui est malheureusement parfois le cas. Les productions modernes ont également tendance à m’éloigner de la scène. Je suis peut-être de la vieille école mais je ne vois pas l’intérêt de certains spectacles où l’on vous demande par exemple de chanter dans tous les sens. Il est vrai qu’il faut toujours surprendre pour maintenir l’intérêt ; les mises en scène d’il y a cinquante ans n’attireraient pas beaucoup les gens aujourd’hui mais il y a des limites. Je suis aussi profondément scandalisée par les affiches dans la rue qui ne comportent même pas le nom des interprètes. Je crois que le public vient à l’opéra avant tout pour les chanteurs. Peu importe qu’ils aient la tête en bas ou en haut !

Vous avez enregistré au disque Dalmira dans la Verita in cimento de Vivaldi. Pourquoi, en 2003, n’avez–vous pas interprété comme prévu Orlando Furioso ? 

Parce que j’étais malade. J’étais très ennuyée de devoir annuler. Mais comme notre époque  ne pardonne pas le moindre rhume, qu’il faut toujours être au sommet de sa forme, l’enregistrement du disque s’est fait ensuite sans moi, en guise de sanction. Pour tout dire, je n’ai pas beaucoup apprécié.

Troublant Elephant Man au disque pour Laurent Petitgirard, quel regard portez-vous sur la création contemporaine ? 

J’ai beaucoup aimé interpréter Elephant Man parce que c’est magnifiquement écrit pour la voix. Oui, contrairement à un grand nombre de pièces contemporaines, ce n’est pas du tout inchantable, en tout cas pour le rôle qui me concerne. Et puis l’œuvre m’a bouleversée. Seule l’émotion dans la musique retient mon attention ; si je ne ressens rien, ça ne m’intéresse pas. Longtemps, les compositeurs d’aujourd’hui m’ont proposé des partitions qui étaient trop intellectuelles. Je n’étais pas touchée, il n’y avait pas assez d’harmonie. Le public d’ailleurs, je crois, réagit de la même manière. Heureusement, il me semble que nous entrons dans une phase de changement. Je pense que les musiciens vont recommencer à penser au plaisir, à écrire une  musique plus sensuelle, plus agréable et finalement plus humaine. Les opéras sur ordinateur, très peu pour moi !

Vous n’avez jamais chanté d’opérette alors que votre tessiture et votre personnalité se prêteraient tout à fait à ce répertoire. Pourquoi ?

Mais c’est mon rêve ! J’adore la musique légère ; j’adore faire rire ! « J’ai deux amants » de Messager fait d’ailleurs partie de mes bis. J’aimerais beaucoup chanter L’opinion publique dans Orphée aux enfers, La grande Duchesse ou La Perichole. On me le demande jamais parce qu’on pense que je suis une femme très sérieuse. Tout vient cependant à point qui sait attendre ; je devrais bientôt interpréter Orlowski dans Die Fledermaus au Grand-Théâtre de Bordeaux.

Nathalie Stutzmann, artiste

On dit que la vie de cantatrice est un sacerdoce. Confirmez-vous ? 

Un sacerdoce, quand même pas ! Mais chanter demande effectivement beaucoup de sacrifices. J’essaye pourtant de vivre le plus normalement possible. En dehors des périodes de travail intensif, je fais du sport, je mange, je bois glacé, je vois des amis, je cuisine. Il m’arrive même de fumer. Je ne vais pas lutter contre ma nature, plutôt épicurienne. Je reviens à un mode de vie plus ascétique à l’approche des concerts, plus ou moins longtemps avant, en fonction du programme et de ma forme. Il n’y a pas vraiment de règles ; j’essaye d’être à l’écoute de mon corps et de ma voix. Le plus difficile en fait est le rythme auquel nous sommes soumis. Nous vivons dans l’ère du zapping et les programmations obéissent à la tendance. Par exemple, lors de ma dernière tournée au Japon, j’ai dû chanter Elias de Mendelssohn en version scénique deux jours de suite, samedi et dimanche, puis prendre le train pour Tokyo aussitôt après le spectacle car le lendemain, lundi, je répétais Les nuits d’été en prévision du concert qui a eu lieu le mardi soir. Un seul jour pour me reposer et j’ai enchaîné le jeudi et le vendredi les répétitions avec Inger Södergren de Schwanengesang que j’ai interprété le samedi avec diffusion en direct par la télévision nationale. Sur sept jours, c’est vraiment difficile. Heureusement, il s’agit d’œuvres que j’ai bien dans la voix. Mais mentalement c’est horrible, ne serait-ce que les heures de mémorisation que cela implique. De plus, les voyages sont devenus un cauchemar. Je ne parle pas seulement des méfaits de la climatisation ; il y a aussi les consignes de sécurité qui sont de plus en plus longues et pénibles, le bruit, le monde, les correspondances… Et quand on arrive, il faut être frais et dispos comme si de rien n’était. Le public ne pense pas toujours à ces aspects de notre vie. Il y aussi la solitude. Les soirs de concert, on évolue dans une autre dimension puis on sort de la salle et on se retrouve seul dans sa chambre d’hôtel. Tout cela demande d’être vraiment très solide physiquement et psychologiquement. Une belle voix ne suffit plus à construire une carrière, il faut aussi tenir le rythme et la pression.

Vous disposez d’un site Internet, complet et actualisé. C’est important pour un artiste ?

Je crois qu’Internet est incontournable aujourd’hui. Dieu sait pourtant s’il m’arrive de pester contre mon ordinateur ou  ma messagerie. Mais pour avoir souvent recherché des renseignements sur le Web, sans d’ailleurs toujours les trouver, je me suis dit qu’il fallait, dans mon propre cas, mettre à disposition un minimum de renseignements. Et puis, on me l’a beaucoup réclamé. J’ai franchi le cap de la technologie aux alentours de 2001. Le site a connu 3 versions différentes ; la dernière date d’un an. Cela consomme tout de même énormément de temps. D’autant plus que les graphistes ne connaissent rien à la musique donc il faut retrouver toutes les informations, tout expliquer, tout vérifier.

Votre calendrier pour 2006-2007 est déjà très chargé. Quels sont vos projets pour les saisons suivantes ?

En ce qui concerne l’opéra, outre Orlowski, je serai Bradamante dans Alcina en novembre 2007 avec Marc Minkowski. Il s’agit de la reprise de la production de Robert Carsen à l’Opéra de Paris. Actuellement, je commence à étudier Die schöne Müllerin ce qui représente un travail énorme ; les mots bien plus que la musique ! L’allemand n’est pas ma langue maternelle, même si je le parle bien et, pour chaque morceau, je dois mémoriser 7 à 8 couplets différents sur la même mélodie. Les textes, en plus, sont très descriptifs. Les vers se succèdent les uns derrière les autres, sans la moindre relation entre eux. Je suis obligée de travailler comme une folle, passer des heures et des heures à rabâcher les couplets dans tous les sens pour les mémoriser, les dire avec ou sans musique, lentement, rapidement. Les lieder de Schubert à apprendre, c’est autre chose que les airs da capo de l’opéra baroque !

Propos recueillis par Christophe Rizoud

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