Vincenzo Bellini
un dossier proposé par Yonel Buldrini

 
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Norma: Discographie comparée
par Jérôme Royer, Yonel Buldrini et Yann Manchon


Photo - Maria Callas - Norma du siècle.


Norma fait partie de ces ouvrages que toutes les cantatrices veulent un jour interpréter au même titre que La Traviata et Tosca. Malheureusement, le rôle titre est un des plus exigeants de tout le répertoire et toutes les voix ne peuvent convenir! Nombreuses pourtant sont celles qui s'y sont plongées avec plus ou moins de bonheur et rares sont celles qui en sont sorties vocalement indemnes. L'idéal pour ce rôle serait de combiner une voix d'essence wagnérienne avec la flexibilité et la technique belcantiste héritée de Rossini. Certaines cantatrices avec des possibilités différentes (Callas, Gencer, Sutherland, Suliotis, Caballé, Deutekom, M. Price,…) ont approché cette sorte d'idéal et pour la plupart le disque a conservé leurs incarnations. D'autres se sont complètement fourvoyées dans un rôle excédant leurs moyens vocaux (Sills, Scotto) ou par défaillance technique et/ou stylistique (Cigna, Milanov, Eaglen). La discographie comparée qui suit se veut exhaustive en matière d'enregistrements officiels ou officialisés et présente un spectre assez représentatif de l'interprétation de Norma au XXème siècle.

J.R.


I. La Norma de début de siècle

OPERA D'ORO OPD-9004 (2CDs) - Torino 1939 (studio)


Gina Cigna en Norma

Gina Cigna (Norma), Ebe Stignani (Adalgisa), Giovanni Breviario (Pollione), Tancredi Pasero (Oroveso) - Vittorio Gui (direction musicale)

Ce premier enregistrement studio (1939) de Norma témoigne d'une époque où les chanteurs d'opéra pouvaient communiquer leur art et leur passion sans se livrer aux assauts de pyrotechnie vocale ou de comédie affectée de tel ou tel (pourtant) illustre interprète !

Réputée pour être un des grands sopranos dramatiques de la première moitié du XXème siècle (Turandot fut l'un de ses plus grands rôles à la scène), Gina Cigna chante ici Norma à pleine voix, sans effets, sans artifices, mais (hélas) sans la nuance et parfois sans la justesse de ton qu'imposeront plus tard Maria Callas, Leyla Gencer ou encore Montserrat Caballé. Malgré une voix qui semble, au premier abord, puissante et bien projetée, la soprano franco-italienne éprouve à plusieurs reprises des difficultés avec les hautes notes, particulièrement dans le duo "Oh! Rimembranza!" du premier acte, sans parler de la tessiture excessivement tendue du "Casta Diva" ! Toutefois elle ne peut laisser indifférent; sa Norma pleure et se perd, regrette, se sacrifie, et puis meurt, dans des accents proches du vérisme, parfois ostentatoires, mais avec une sincérité et une véhémence qui font aujourd'hui défaut dans un opéra qui a désespérément besoin d'un chant compatissant.

Ebe Stignani, alors jeune et fraîche, campe ici une Adalgisa touchée par la grâce; certes, son interprétation n'est pas exempte de fautes de style, et la couleur de sa voix et ses moyens exceptionnels font regretter (comme le fait justement remarquer André Tubeuf dans un article de la revue "L'Avant-Scène Opéra") qu'elle ne se soit pas mesurée au propre rôle de Norma ; jamais elle ne retrouvera cette justesse de ton et cet engagement dans la voix, même au côté de Maria Callas, et surtout, malgré la révolution qu'opéra cette dernière au début des années 1950! Il suffit d'écouter, pour s'en convaincre, le duo "Mira, o Norma", véritable point culminant de cette version.

Tancredi Pasero, quant à lui, s'impose comme l'un des meilleurs Oroveso de toute la discographie; il possède le timbre de voix idéal pour le rôle (une basse profonde!), et l'autorité nécessaire dans l'accent pour conférer à ses deux arie l'aplomb et la justesse d'interprétation qu'elles requièrent.

Le point faible de cette version réside essentiellement dans l'interprétation catastrophique de Giovanni Breviario… Certes héroïque et véhément dans son engagement dramatique, son Pollione relève moins de la bravoure que de l'inconscience, accumulant fautes de style, forte incessants et inappropriés (pour ne pas parler de hurlements) et de détestables effets de portamenti, sans lesquels il serait, de toute évidence, incapable de faire face à la tessiture du rôle. Un tel manque de raffinement et de justesse d'interprétation font de lui un Pollione totalement inacceptable!

Sous la conduite alerte de Vittorio Gui, les Chœurs et l'Orchestre de l'EIAR offrent un excellent soutien aux chanteurs; malgré des tempi devenus parfois inhabituels pour des oreilles accoutumées à des interprétations plus modernes, Vittorio Gui esquisse ici, et au même titre que Tullio Serafin quelques années plus tard, le travail de résurrection dont Maria Callas sera le catalyseur. Il faut, hélas, déplorer la mauvaise qualité de cet enregistrement (eût égard aux techniques et aux techniciens de l'époque), qui relègue l'orchestre au second plan, dans un abîme de bourdonnements qui fatigue l'oreille à la longue.

Y.M.


GAO 180 (2CDs) - New York Metropolitan Opera 30.12.1944 (live)


Zinka Milanov en Norma

Zinka Milanov (Norma), Jennie Tourel (Adalgisa), Frederick Jagel (Pollione), Norman Cordon (Oroveso) - Cesaro Sodero (direction musicale)

Célèbre pour sa Leonora du Trouvère, son Alaide de La Straniera ou encore sa Gioconda dans l'opéra du même nom, Zinka Milanov s'est vu confiée le rôle de Norma à une époque où personne ne semblait plus capable de le chanter. La voix, enchanteresse dans les arie lunaires typiquement belliniennes ("Casta diva"), trouve ses meilleurs accents dans l'acte II, où elle injecte une passion et un venin qu'on ne lui connaissait guère, préparant ainsi le terrain à Maria Callas. Cependant, et malgré une certaine souplesse dans la voix et une émission bien contrôlée, Milanov trahit son impréparation technique à plusieurs reprises, que ce soit dans la cabalette "Ah ! Bello, a me ritorna", ou dans les parties rapides des duos entre Norma et Adalgisa… Si l'époque (nous sommes en 1944!) ne peut prétendre donner une leçon de Bel Canto (il faudra attendre la "révolution Callas"), Zinka Milanov est loin de pouvoir compenser ses faiblesses comme le fit Gina Cigna quelques années plus tôt, grâce à son engagement dramatique et à la sincérité de son interprétation.

Jennie Tourel, grande artiste au demeurant, campe ici une jeune et "fluide" Adalgisa, très touchante et très finement esquissée, mais pas assez idiomatique. Elle enferme son personnage dans une interprétation marginale, avec un rien de sophistication; certes très cohérente et loyale, cette Adalgisa séduit au premier abord mais reste trop éloignée de l'essence même du rôle.

Les emplois masculins, quant à eux, demeurent en retrait : Frederick Jagel n'a jamais été un grand ténor, mais son Pollione est solide et fiable. Il en va de même pour l'Oroveso de Norman Cordon qui, sans être un Ezio Pinza ou un Tancredi Pasero, assume très honorablement la tessiture de son rôle.

Le chef, Enzo Sodero, à la tête des Chœurs et de l'Orchestre du Metropolitan Opera, offre une direction tendue et quelque peu rigide, mais laissant aux chanteurs la latitude nécessaire à leur interprétation, grâce à de généreux et expansifs tempi… Trop complaisant envers ses chanteurs, Sodero est (hélas) loin de la direction alerte et pertinente de Vittorio Gui; plus d'urgence et plus d'énergie auraient sans aucun doute permis de tirer un meilleur parti des interprètes.

Y.M.


II. La révolution Callas

MELODRAM CDM 26018 (2CDs) (existe aussi chez Myto) - Mexico City 23.05.1950 (live)

Maria Callas (Norma), Giulietta Simionato (Adalgisa), Kurt Baum (Pollione), Nicola Moscona (Oroveso) - Guido Picco (direction musicale)

C'est là le premier témoignage discographique intégral de l'incarnation de Maria Callas en Norma ! En 1950, la cantatrice grecque était au sommet de moyens vocaux qui l'autorisaient à extrapoler et à ponctuer ses interventions de spectaculaires suraigus. Certes, sur le plan dramatique Callas ira beaucoup plus loin au fil des ans et souvent au détriment de sa voix, mais ici, sur le strict plan vocal, autant du moins que l'improbable prise de son permette d'en juger, tout est d'une absolue perfection: legato entièrement sur le souffle, rondeur du son, perfection technique, arrogance volcanique dans les éclats du personnage !

A ses côtés Giulietta Simionato offre une Adalgisa intègre et extraordinairement juvénile. Peu de choses à dire de Kurt Baum et de Nicola Moscona si ce n'est qu'ils remplissent avec efficacité leur rôle de faire-valoir, le ténor restant toutefois bien primaire. Guido Picco dirige l'ensemble avec nervosité, ce qui ne peut en aucun cas faire office de conception dramatique de l'œuvre.

Le témoignage de Londres en 1952, grâce à une prise de son beaucoup plus intègre, rend davantage justice à l'art de Maria Callas.

J.R.


SAKKARIS RECORDS PR.SR. 277/278 (2CDs) - London Covent Garden 08.11.1952 (live)

Maria Callas (Norma), Ebe Stignani (Adalgisa), Mirto Picchi (Pollione), Giacomo Vaghi (Oroveso) - Vittorio Gui (direction musicale)

Lorsque Maria Callas reprend le rôle de Norma à Londres en 1952, après ses saisissantes prestations de Buenos Aires en 1949 (un récent disque Fono Enterprise 1012 en présente quelques extraits) et Mexico en 1950, le public découvre une Norma restituée à ses justes accents, et débarrassée de la plupart de ces anciens effets véristes… l'œuvre demeurant très mutilée dans sa partition.

Callas campe ici une héroïne plus vibrante et plus hardie qu'elle ne le sera jamais en studio (en 1954 et 1960, chez Emi Classics), débarrassant le rôle de tout artifice et de tout maniérisme, se permettant tout au plus quelques rubati bien sentis. Son "Casta diva" est un pur moment de grâce, à la fois extatique et habité, emprunt d'une poésie sans pareil et pleinement ressenti de l'intérieur; Callas se joue de la tessiture tendue de l'aria, comme portée par la ligne mélodique, sans jamais faillir! La voix se plie à toutes les exigences de la partition, y compris dans les passages les plus virtuoses, comme "Ah ! Bello, a me ritorna" ou encore la conclusion de "Mira, o Norma". L'absence des principales reprises contraint Callas à éviter toute extrapolation superfétatoire, sans lui laisser l'occasion d'orner son chant et n'autorisant qu'un insolent et splendide contre-ré en conclusion du final du premier acte. Callas n'en demeure pas moins remarquable, donnant des leçons de Bel Canto à qui veut l'entendre… Joan Sutherland, ici simple Clotilde, saura en 1965 en appliquer les principes!

Ebe Stignani, suivant la voie ouverte par Callas, gagne en présence et en justesse de style; mais son engagement dramatique reste inégal, et plus de dix ans après son historique incarnation au côté de Gina Cigna, la voix a perdu une certaine richesse de timbre, et la palette des couleurs s'est considérablement amincie. Toutefois, galvanisée par les feux de la rampe, Stignani trouve des accents d'une rare justesse, notamment dans les duos " Oh ! Rimembranza !" et "Mira, o Norma", sans doute portée par l'engagement et la véhémence de Callas… mais on reste bien loin de la "giovinetta" d'antan!

Mirto Picchi, en Pollione, et Giacomo Vaghi, en Oroveso, ne se montrent malheureusement pas à la hauteur de leurs partenaires féminines, accusant tour à tour des faiblesses vocales ou des lourdeurs de style, appuyant tel ou tel passage de manière exagérée… sans doute est-il trop tôt pour comprendre l'importance de la révolution instaurée par Callas, qui se heurtera maintes fois à l'incompréhension de ses contemporains.

Vittorio Gui, quant à lui, est un des piliers de cette version historique de Norma ; il sert l'œuvre avec maestria, évitant les tempi trop lents du passé, sachant précipiter le drame dans l'urgence sans jamais mettre en défaut l'un de ses interprètes.

Y.M.


EMI CLASSICS (3CDs) - Milano, Teatro alla Scala 1954 (studio)

Maria Callas (Norma), Ebe Stignani (Adalgisa), Mario Filippeschi (Pollione), Nicola Rossi Lemeni (Oroveso) - Tullio Serafin (direction musicale)

Alors que la scène lui offrit l'occasion de peindre une Norma d'ombre et de lumière, tantôt extatique, tantôt passionnée comme aucune autre ne le fit avant elle, le studio, quant à lui, permet à Callas de mettre en valeur toutes les nuances psychologique de son personnage; sa Norma est ici expressive et colorée, moins dramatique sans doute, mais toujours aussi ardente!

A ses côtés, Ebe Stignani retrouve ici l'aplomb et la justesse de ton qui lui firent défaut à la scène quelques années plus tôt. Si son Adalgise gagne par moments en crédibilité et en justesse de ton, elle souffre néanmoins d'un timbre de voix passablement usé et d'une palette de couleurs légèrement rétrécie!

Mario Filippeschi, parfois inégal, est un Pollione relativement convaincant, mais qui manque de vie manifestement. Il en va de même pour Nicola Rossi Lemeni, Oroveso exemplaire dans le style, mais en proie à des attitudes vocales parfois artificielles. Tous deux sont néanmoins d'excellents partenaires vocaux, allant jusqu'au bout de l'option "belcantiste" initiée par Callas.

Visiblement ancré dans les modèles du passé, Tullio Serafin se révèle incapable de saisir l'importance de la résurrection belcantiste! Bien loin des assauts effrénés et passionnés mais stylistiquement justes de Vittorio Gui, Serafin s'abandonne à des sonorités souvent creuses, affadissant son propos et n'offrant aucune alternative aux chanteurs; l'orchestre souffre de tempi trop relâchés, et ne trouve que trop rarement de justes accents…

Y.M.


GALA GL 100 511 (2CDs) - Milan 07.12.1955 (live)

Maria Callas (Norma), Giulietta Simionato (Adalgisa), Mario Del Monaco (Pollione), Nicola Zaccaria (Oroveso) - Antonino Votto (direction musicale)

S'il est une Norma de Maria Callas qu'il faut posséder, c'est bien celle-là! En effet, en cette soirée d'ouverture de la Scala de la Milan le 07 décembre 1955, la diva grecque est à l'apogée de ses moyens vocaux et dramatiques. Jamais plus nous n'aurons une telle fusion entre le chant et le théâtre car quelques mois plus tard l'inexorable déclin s'enclenchera. Ici, tout est à couper le souffle, du récitatif d'entrée de Norma jusqu'à la montée finale au bûcher! Callas est à la fois prêtresse, femme, amante et mère et cette quadruple dimension, jamais plus elle ne pourra la restituer ainsi!

Elle est ici entourée de la meilleure distribution possible: une Giulietta Simionato stylée et merveilleusement assortie à Callas, un Mario del Monaco dans une forme superlative à la limite de l'histrionisme et un Nicola Zaccaria de grande classe! Antonino Votto, un des plus grands chefs des années 1950-1970, nous donne ici une interprétation d'ensemble des plus excitantes d'autant que le son de cette édition est tout à fait satisfaisant!

A acquérir de toute urgence!

J.R.


EMI CLASSICS 7 63000 2 (3CDs) - Milano Teatro alla Scala 1960 (studio)

Maria Callas (Norma), Christa Ludwig (Adalgisa), Franco Corelli (Pollione), Nicola Zaccaria (Oroveso) - Tullio Serafin (direction musicale)

Pour sa seconde intégrale de studio, Maria Callas s'entoure de redoutables interprètes, à commencer par Christa Ludwig certes peu idiomatique en Adalgisa, mais d'une incommensurable beauté de timbre, s'abandonnant çà et là aux délices de la partition! Son chant est vif, parfois inégal (la vocalisation !), mais toujours caractérisé à dessein. Elle sert le rôle avec la fraîcheur et la justesse qui firent largement défaut à Ebe Stignani en son temps.

Franco Corelli, luxueux Pollione, impose sa verve légendaire dans un rôle qui, néanmoins, exige autant de bravoure que de subtilité dans la voix; son Pollione gagne étonnamment en puissance et en autorité, et jamais personne avant lui ne semble y avoir mis tant de cœur!

Nicola Zaccaria est un Oroveso de grande classe, et s'impose comme un des meilleurs interprètes de la discographie; son chant, un rien outré, semble se jouer de toutes les difficultés de la partition, tant sur le plan du style que sur celui de l'écriture vocale.

Maria Callas, quant à elle, accuse une terrible usure vocale: la voix a perdu de sa consistance, et la palette des couleurs s'est sensiblement rétrécie. Sur le plan dramatique, son interprétation demeure cependant magistrale! Les splendeurs vocales du passés n'ont fait que renforcer l'intériorité du personnage: la Norma de Callas semble ici mûrie, réfléchie, comme dévorée par le drame qui la ronge, pressentant son funeste destin… La coloration vocale est encore spectaculaire, l'emphase verbale toujours dynamique, et le style bien plus affirmé, rendant compte des plus infimes nuances de la psychologie du personnage. A ceci s'ajoute une compréhension absolue du drame musical, où les émotions contradictoires se mêlent, entre fidélité et amour interdit, et où la mort vient soulager l'héroïne de ses passions exacerbées. Callas livre ici sa conception la plus aboutie de Norma, en dépit d'une voix (hélas) déjà abîmée…

Depuis l'intégrale de 1954, Tullio Serafin semble enfin avoir compris ce que diriger Norma veut dire; les tempi, plus réguliers et moins alanguis, offrent un soutien idéal aux chanteurs, et précipitent le drame dans une urgence (malheureusement) trop relative! Les détails de l'orchestration, plus fouillés, servent mieux le propos, sans pour autant s'imposer de manière trop vive aux oreilles de l'auditeur. Les chœurs, quant à eux, gagnent en puissance et en netteté; l'apparition récente de la stéréophonie confère à l'ensemble l'ampleur requise pour donner toute la dimension dramatique qu'une telle œuvre exige.

Y.M.


DECCA 425 488-2 (3CDs) - London 1964 (studio)

Joan Sutherland (Norma), Marilyn Horne (Adalgisa), John Alexander (Pollione), Richard Cross (Oroveso) - Richard Bonynge (direction musicale)

C'est en 1965 que Joan Sutherland, nouvelle étoile du Bel Canto depuis une désormais légendaire Lucia di Lammermoor donnée à Londres en 1959, décide de laisser à la postérité sa première Norma sous la direction de son époux Richard Bonynge. Il convient de préciser tout de suite que ce dernier, musicologue passionné du XIXème siècle, défendra haut les couleurs non seulement de son épouse mais également de tout un répertoire trop malmené, voire oublié et qu'à cet égard, cet enregistrement est le premier véritablement intégral de la partition!

Sans avoir les couleurs fauves de Maria Callas, Dame Joan par l'ampleur de ses moyens vocaux et la maîtrise absolue du style requis n'en est pas moins davantage Norma que son illustre devancière, du moins sur le strict plan vocal. En effet, jamais la diva grecque n'avait à ce point étalé pareille autorité vocale! Sutherland est la seule de la discographie à restituer le "Casta diva" dans sa tonalité originale de sol majeur au lieu du fa majeur traditionnel. Qui plus est, elle assume avec aplomb une tessiture meurtrière allant même jusqu'à extrapoler un vertigineux contre-mi tenu à la fin de son duo avec Pollione. Quant à la diction, elle s'avère bien supérieure à ce qu'annonçait une certaine presse à l'époque!

A ses côtés, Marilyn Horne campe l'Adalgisa idéale pour Sutherland tant les caractéristiques techniques de leurs voix correspondent. Leurs duos resteront à tout jamais des moments d'anthologie.

John Alexander est excellent en Pollione tant par son timbre corsé et large que par l'ardeur parfois excessive qu'il met dans son personnage! Richard Cross, quant à lui, est un Oroveso de belle facture qui ne démérite nullement face à de tels partenaires. Très belle direction de Richard Bonynge, merveilleusement servi, il est vrai, par l prise de son DECCA.

Probablement la meilleure version studio de la discographie!

J.R.


MELODRAM 468 (2CDs) - Milan 30.01.1965 (live)

Leyla Gencer (Norma), Giulietta Simionato (Adalgisa), Bruno Prevedi (Pollione), Nicola Zaccaria (Oroveso) - Gianandrea Gavazzeni (direction musicale)

Voilà une excellente surprise que cette Norma restituée dans un son excellent car elle nous permet d'apprécier une autre grande Norma: Leyla Gencer. Plutôt habituée aux Reines donizettiennes, Gencer offre ici une conception située à mi-chemin entre Callas et Caballé. La voix, glorieuse, est portée par un phrasé en tous points admirable et servie par une technique irréprochable. Son incarnation est brûlante comme toujours et se trouve en phase avec la belle direction de Gianandrea Gavazenni. Giulietta Simionato dont la voix est alourdie par ses nombreuses Amnéris compose une Adalgisa de haut vol. Bruno Prevedi serait un excellent Pollione s'il n'était pas tant en coquetterie avec le diapason car sur le strict plan vocal, il a exactement les moyens du rôle. Oroveso satisfaisant sans plus de Nicola Zaccaria.

J.R.


GALA GL 523 (2CDs) - Paris Palais Garnier 29.05.1965 (live)

Maria Callas (Norma), Giulietta Simionato (Adalgisa), Gianfranco Cecchele (Pollione), Ivo Vinco (Oroveso) - Georges Prêtre (direction musicale)

Tout au long de sa carrière, la voix de Maria Callas n'a cessé d'évoluer; d'abord colorature dramatique (de 1940 à 54), puis lyrique dramatique (1955 à 58), et enfin une période de temps où l'instrument de Callas ne cesse de décliner jusqu'au milieu des années 60.

Lorsque Callas aborde Norma à Paris, en mai 1965, il est déjà trop tard; la Diva n'est plus que l'ombre d'elle-même, bien loin des gloires passées… et pourtant si proches! Malgré le métier, le pathos dans la voix, et l'inimitable présence de son timbre, la soprano grecque esquisse une Norma bien fatiguée, métallique et blanche dans l'aigu, omettant certaines des hautes notes et savonnant la plupart de ses vocalises, incapable de faire oublier son insuffisance vocale par une interprétation pourtant de haut vol.

Giulietta Simionato, déjà au côté de Callas à Mexico en 1950 et à Milan en 1955, campe une Adalgisa de grande classe, sûrement plus stylée et plus idiomatique que Stignani dans ses dernières années, et au timbre somptueux, à faire mourir de jalousie toutes les grandes Adalgisa du répertoire (Fiorenza Cossotto en tête de liste!)

Gianfranco Cecchele en Pollione, et Ivo Vinco en Oroveso, sont d'honorables partenaires, mais ne trouvent pas ici leur meilleur emploi.

Outre la splendide Simionato, cette version vaut surtout pour la direction remarquable de Georges Prêtre. Le chef français, sans pour autant être un spécialiste du répertoire, apparaît comme étant l'orfèvre du drame de Norma. La direction est soignée et précise, les tempi parfaitement dosés, et, sans être représentatif de ce que le style bellinien requiert comme urgence et comme dramatisme, il parvient à exprimer le drame de la partition avec une efficacité désarmante.

Y.M.


MYTO RECORDS 981.177 (2CDs) - Lausanne 06.10.1966 (live)

Leyla Gencer (Norma), Fiorenza Cossotto (Adalgisa), Gastone Limarilli (Pollione), Ivo Vinco (Oroveso) - Oliviero de Fabritiis (direction musicale)

Mieux entourée à la Scala de Milan, en 1965 (avec Giulietta Simionato!), c'est à Lausanne en 1966 que Leyla Gencer lègue sans doute sa meilleure Norma. La soprano turque y est souveraine, digne héritière (et pourtant contemporaine !) de la leçon imposée par Callas. Sa Norma est une écorchée vive mais avec la ligne épurée qui sied à l'extase de son chant et l'aspect élégiaque qui émane de son personnage. Le chant de Gencer est quasi déclamatoire, avec un rien de solennité dans la voix, parfois plus proche de la tragédie grecque que de la tradition belcantiste; son "Casta diva", parfois tendue dans les notes hautes, est chargé d'une émotion indescriptible que seule la jeune Callas, jusqu'alors, avait su faire passer.

Fiorenza Cossotto est une Adalgisa bien décevante; son personnage manque de charisme et de mordant, la voix paraît sans cesse fuir la ligne mélodique, pour s'amoindrir dans des sonorités parfois aigrelettes, et sans faire oublier la leçon de Bel Canto de Giulietta Simionato un an auparavant !

Gianfranco Cecchele est ici un Pollione braillard et poussif, la tessiture du rôle lui posant vraisemblablement un certain nombre de problèmes! Ivo Vinco, plus à l'aise qu'à Paris, campe ici un Oroveso de bonne tenue ; il possède le timbre de voix idéal pour le rôle, mais manque d'autorité pour conférer à ses deux arie l'aplomb et la justesse d'interprétation nécessaires.

Oliviero de Fabritiis, trop complaisant envers ses chanteurs, adopte des tempi proprement inadmissibles! Sa direction se résume en une succession anarchique de ralentissements et d'accélérations, entravant sans cesse la progression de l'action scénique ainsi que l'intensité dramatique de l'œuvre… Bref, un manque évident de style!

Y.M.


III. L'après Callas

MONDO MUSICA 10281 (2CDs) - Venise 15.12.1966 (live)

Elinor Ross (Norma), Fiorenza Cossotto (Adalgisa), Mario Del Monaco (Pollione), Ivo Vinco (Oroveso) - Ettore Gracis (direction musicale)

BELLA VOCE BLV.107.214 (2CDs) - Berlin 1968 (live)

Elinor Ross (Norma), Fiorenza Cossotto (Adalgisa), Mario Del Monaco (Pollione), Ivo Vinco (Oroveso) - Gianandrea Gavazzeni (direction musicale)

Ces deux témoignages, restitués dans de bonnes conditions sonores, apportent peu de choses à la discographie de Norma, Fiorenza Cossotto, Mario del Monaco et Ivo Vinco ayant déjà chanté leurs rôles respectifs ailleurs et de façon plus intègre! Le seul intérêt en est l'interprétation en Norma d'Elinor Ross, grosse pointure vocale style Ghena Dimitrova et qui chantait plutôt Turandot de Puccini. Ici, avec une voix puissante et arrogante, sa Norma est assez bien chantée même si on la sent gênée par l'écriture virtuose du rôle. Il est très difficile de distinguer Ettore Gracis et Gianandrea Gavazzeni tant les deux chefs ont des conceptions identiques, partageant les mêmes qualités et les mêmes défauts! Deux versions assez inutiles!

J.R.


DECCA 452 683-2 (2x33t) - Roma 1968 (studio)

Elena Suliotis (Norma), Fiorenza Cossotto (Adalgisa), Mario Del Monaco (Pollione), Carlo Cava (Oroveso) - Silvio Varviso (direction musicale)

Forte de l'enregistrement de Joan Sutherland, DECCA n'avait, a priori, nul besoin de se relancer dans l'aventure d'une Norma trois ans plus tard! C'était toutefois compter sans l'arrivée sur le marché lyrique d'une voix qui allait faire couler beaucoup d'encre: Elena Suliotis dont on a tout de suite dit qu'elle était la nouvelle Callas! La jeune cantatrice, grecque elle aussi, avait littéralement stupéfait en 1965 par sa première intégrale studio chez DECCA, Nabucco de Verdi. Elle y interprétait une Abigaille -autre rôle meurtrier s'il en est- absolument hallucinante tant sur le plan vocal que sur le plan dramatique. Elle avait pour elle de nombreux atouts: un timbre de toute beauté, une projection vocale d'une puissance et d'une insolence inouïes, la maîtrise d'une tessiture vertigineuse jusqu'au contre-ré. Ce qui a joué par la suite contre elle et a sensiblement raccourci sa carrière, c'est que la soudure des registres n'était pas des plus homogènes! Toujours est-il que la plupart de ses témoignages studio ou live restent parmi les plus excitants qui se puissent entendre et cette Norma de 1968 ne faillit pas à la règle.

Avec un autre ténor et dans le contexte d'une véritable intégrale, nous tiendrions ici une référence capable de faire vaciller les intégrales de Maria Callas! Malheureusement, cette version est très sensiblement abrégée et on ne compte plus le nombre de coupures qui émaillent la partition; déjà à l'époque, elle était sortie en deux 33t. Quant à Mario del Monaco qui interprète ici le rôle de Pollione, il a beaucoup perdu depuis la merveilleuse Norma de Milan en 1955 avec Maria Callas. La voix reste percutante et la projection arrogante mais ici, il ouvre démesurément les sons et s'évertue à vouloir confondre Norma et Cavalleria Rusticana de Mascagni! Pour le reste, il conviendra de dire que Carlo Cava prête sa belle voix noire à un Oroveso de classe, que Fiorenza Cossotto laisse là sa plus belle Adalgisa, en tout cas infiniment supérieure à ce qu'elle nous laissera quelques années plus tard chez RCA aux côtés de Montserrat Caballé et que Silvio Varviso dirige toute cette équipe avec conviction et énergie.

Alors que dire de la Norma d'Elena Suliotis si ce n'est qu'elle nous laisse là un des plus beaux Casta diva de toute la discographie: tout est sur le timbre et la tenue du souffle et le résultat est complètement hypnotique. Ses autres très grands moments sont le Final de l'acte 1 où elle affronte Pollione avec une violence extraordinaire et toute la scène finale avec, entre autres, le plus émouvant "son io" qui se puisse entendre. A acheter dès parution en CD !

J.R.


MYTO MCD 014 251 (2CDs) - Buenos Aires 02.07.1969 (live)

Joan Sutherland (Norma), Fiorenza Cossotto (Adalgisa), Charles Craig (Pollione), Ivo Vinco (Oroveso) - Richard Bonynge (direction musicale)

Ce document édité dans un son excellent confirme que Joan Sutherland s'approprie de plus en plus le rôle de Norma et que sa prestation se situe à un niveau d'excellence difficilement égalable. Fiorenza Cossotto, galvanisée par sa partenaire, en fait des tonnes vocalement, ce qui contribue à rendre la soirée très excitante. Charles Craig livre ici un Pollione plausible tant vocalement que dramatiquement. Ivo Vinco est un Oroveso standard dont on ne peut dire ni bien ni mal! Très belle direction, nerveuse et dramatique de Richard Bonynge. Un très bon live!

J.R.


NUOVA ERA 2409/11 (2CDs) - New York 04.04.1970 (live)

Joan Sutherland (Norma), Marilyn Horne (Adalgisa), Carlo Bergonzi (Pollione), Cesare Siepi (Oroveso) - Richard Bonynge (direction musicale)

S'il est un live de Norma du tandem Sutherland/Bonynge qu'il faut connaître, c'est bien celui-là tant l'interprétation de tous les chanteurs frôlent l'idéal. On y retrouve le duo Sutherland-Horne de la version DECCA: ici la scène rend la confrontation encore plus excitante même si on sent que la voix de Marilyn Horne commence un peu à s'alourdir. Sutherland, elle, est royale du début à la fin: l'autorité de sa voix et une articulation beaucoup plus nette que ce qu'on en a dit font de son interprétation un moment majeur de l'histoire du chant.

A leurs côtés, un Pollione très surprenant: Carlo Bergonzi! Pour le ténor italien, c'était une prise de rôle et si sa voix n'est pas tout à fait celle qu'on attend, le résultat n'en demeure pas moins excellent, davantage en tout cas que ce que nous offrira Luciano Pavarotti quelques années plus tard en studio. Cesare Siepi est un Oroveso de luxe. Quant à Richard Bonynge, il dirige ce cast somptueux avec la même flamme qu'à Buenos Aires l'année précédente.

J.R.


GALA GL 100.537 (2CDs) - San Francisco 06.10.1972 (live)

Joan Sutherland (Norma), Huguette Tourangeau (Adalgisa), John Alexander (Pollione), Clifford Grant (Oroveso) - Richard Bonynge (direction musicale)

Cette exécution vibrante de Norma provient de la saison lyrique de l'Opéra de San Francisco, en 1972. Sutherland, dont la voix était littéralement à son apogée, campe ici l'une de ses meilleures Norma! Encore plus sensible qu'au studio (en 1964), elle chante une fois de plus "Casta diva" dans sa tonalité d'origine (sol majeur), toujours extatique et élégiaque dans l'accent. Tout au long de l'ouvrage, elle campe une Norma au pathos exacerbé, très dramatique, employant à dessein des sonorités de poitrine, "criant" même dans les passages de tension extrême.

Elle trouve en Huguette Tourangeau une Adalgisa accomplie, certes moins luxueuse que Marylin Horne, mais au timbre et aux intonations plus proches du personnage.

John Alexander se révèle encore meilleur qu'au studio, visiblement galvanisé par les feux de la rampe. Son Pollione y gagne en vaillance et en héroïsme.

Belle direction de Richard Bonynge qui trouve ici des sonorités plus contrastées et des tempi particulièrement pertinents.

Y.M.


MYTO 2MCD 974.168 (2CDs) - Milan 1972 (live)

Montserrat Caballé (Norma), Fiorenza Cossotto (Adalgisa), Gianni Raimondi (Pollione), Ivo Vinco (Oroveso) - Gianandrea Gavazenni (direction musicale)

Cette soirée, restituée dans un son satisfaisant, est à connaître à plus d'un titre. En effet Montserrat Caballé est dans une forme superlative et son interprétation atteint des sommets qu'elle ne retrouvera qu'à Orange deux ans plus tard. La luminosité du timbre, la transparence de la ligne de chant, la longueur du souffle, le frémissement impalpable de ses pianissimi, l'autorité de la voix, tout ici est réuni pour faire de sa Norma un moment magique.

Fiorenza Cossotto est ici à son meilleur et offre une Adalgisa d'une grande féminité. Gianni Raimondi chante correctement le rôle de Pollione sans en avoir véritablement les moyens et Ivo Vinco est égal à lui même. L'autre grand intérêt de ce document est la direction de Gianandrea Gavazenni qui, visiblement inspiré par l'orchestre qu'il a sous sa baguette, se surpasse en offrant sa meilleure prestation dans l'ouvrage.

J.R.


EMI CLASSICS 1C153.95.521.2 (3LPs) - London 1973 (studio)

Beverly Sills (Norma), Shirley Verrett (Adalgisa), Enrico di Giuseppe (Pollione), Paul Plishka (Oroveso) - James Levine (direction musicale)

On doit à Beverly Sills la plupart des premiers (ou parmi les premiers) enregistrements studio d'œuvres exhumées ou restituées quelques années plus tôt par Maria Callas (Anna Bolena), Renata Tebaldi (L'Assedio di Corinto) ou encore Leyla Gencer (Maria Stuarda / Roberto Devereux). Sa Norma de studio vient ici compléter une discographie où seules Maria Callas, Joan Sutherland et Elena Suliotis - et 35 ans plus tôt, Gina Cigna - ont laissé un ou plusieurs témoignages officiels.

La Norma de Sills n'est bien évidemment pas un modèle du genre; son timbre, léger et même parfois aigrelet, lui interdit naturellement de s'attaquer à un rôle aussi sombre et dramatique du répertoire bellinien. Aussi à force d'artifices et de prouesses vocales, la soprano américaine parvient-elle malgré tout à dessiner un personnage convaincant, aux accents certes "fabriqués" mais avec une véhémence et un abattage vocal rarement égalés! Consciente des limites de ses moyens naturels pour ce rôle, Sills opte pour une conception pleinement belcantiste, virtuose et esthétisante. Au "Casta diva", alangui, où la voix se répand avec somptuosité (sûrement le "Casta diva" le plus lent de toute la discographie!), succède un "Ah ! Bello, a me ritorna" endiablé, attaqué à 100 à l'heure (sûrement le plus rapide de toute la discographie !) et ébouriffant de virtuosité ! Mais peut-être Sills joue-t-elle trop la carte de la pyrotechnie vocale… Bien qu'impressionnants, ses graves poitrinés à l'octave inférieure dans les passages dramatiques sonnent de manière très artificielle; ils n'arrivent pas à conférer à son personnage toute l'épaisseur psychologique qui convient au personnage de Norma. De plus, la surenchère de suraigus et d'extrapolations de toutes sortes ne peut que desservir la tradition belcantiste: Sills sert ici, bien malgré elle (et surtout par anticipation), le discours d'un Riccardo Muti ou encore d'un Gianluigi Gelmetti, hélas largement favorables à la suppression de toute ornementation.

Shirley Verrett, à l'instar de Marilyn Horne, campe une Adalgisa de très grande classe; la mezzo se joue habilement de la tessiture élevée du rôle, lançant à qui veut les entendre de magnifiques et insolents contre-ut! Les duos sont de toute beauté, les aigus cristallins de Sills s'accordant à merveille à la voix chaude et fumée de Verrett.

Enrico di Giuseppe est sûrement l'un des Pollione les plus raffinés de toute la discographie: son chant est stylé, sa voix bien timbrée, et il possède le charisme nécessaire à son personnage. Peut-être, le studio l'amène-t-il a des attitudes vocales un peu figées, sans être pour autant inexpressives… Paul Plishka se montre ici très convaincant en Oroveso. James Levine ne semble pas très inspiré. Sa direction est routinière et il ne semble pas comprendre l'importance de l'orchestre dans le drame de Norma.

Y.M.


RCA GD86502 (3CDs) - London 1974 (studio)

Montserrat Caballé (Norma), Fiorenza Cossotto (Adalgisa), Placido Domingo (Pollione), Ruggero Raimondi (Oroveso) - Carlo Felice Cillario (direction musicale)

Montserrat Caballé est une Norma de haut rang: elle y chante extraordinairement, couvrant de sa voix lumineuse toute l'étendue de la tessiture. Supérieure dans le phrasé, sa Norma est nostalgique et bouleversée mais parfois en retrait, laissant à l'hédonisme vocal qui caractérise la diva espagnole se tailler la part du lion. Son "Casta diva" est l'un des plus beaux de toute la discographie, mais hélas sûrement pas le plus émouvant. Qu'importe, Caballé possède bien d'autres qualités qui font de sa Norma un modèle à part: une sincérité et une véhémence qui font aujourd'hui défaut, des pianissimi jamais égalés, une éloquence et une dignité rares dans la déclamation… bref, si Caballé n'est pas toujours proche de la psychologie de son personnage, sa voix, quant à elle, s'adapte à toutes les subtilités de la partition, plus à l'aise dans les parties extatiques que dans les passages les plus vocalisants ("Ah ! Bello, a me ritorna").

Fiorenza Cossotto se révèle meilleure Adalgisa qu'aux côtés de Leyla Gencer, à Lausanne en 1966. Peut-être le studio lui permet-il d'affiner son interprétation, et de laisser sa voix se colorer sereinement sur toute l'étendue de sa tessiture. Plus riche, le timbre de Cossotto se mélange joliment à celui de Caballé dans les duos.

Placidò Domingo, peu familier du répertoire bellinien, campe un Pollione de bonne tenue, à la voix parfois légèrement tendue, mais très efficace dans chacune de ses interventions. Ruggero Raimondi est un Oroveso convaincant, aussi bien capable d'autorité que de compassion; son timbre n'est pas idiomatique, mais il confère à son personnage une dimension intéressante, parfois éloignée des modèles du genre, mais beaucoup plus humaine.

Les chœurs et l'orchestre, sous la direction de Carlo Felice Cillario, sont excellents: la direction du maestro, énergique et vive, conduit inexorablement Norma à sa perte, dans l'urgence dramatique que requiert une telle œuvre, mais aussi avec des alanguissements bien sentis dans les passages de grande poésie. Bref, une direction exemplaire!

Y.M.


ON STAGE 4704 (2CDs) - Moscou 12.06.1974 (live)

Montserrat Caballé (Norma), Fiorenza Cossotto / Bruna Baglioni (Adalgisa), Gianni Raimondi (Pollione), Ivo Vinco (Oroveso) - Francesco Molinari-Pradelli (direction musicale)

Ce témoignage au son excellent n'apporte malheureusement rien à une discographie déjà très fournie. Montserrat Caballé déploie toujours ses trésors vocaux mais se laisse aller à des effets pour le moins discutables. Il faut dire que Francesco Molinari-Pradelli n'est pas Gavazenni! Le chef italien est surtout soucieux de verdianiser la partition. Fiorenza Cossotto est dans une méforme évidente dès le début de la représentation et elle se voit contrainte de laisser la place à l'acte 2 à Bruna Baglioni, mezzo superbe et très injustement mésestimée. Gianni Raimondi et Ivo Vinco sont égaux à eux-mêmes.

J.R.


OPERA D'ORO OPD-1140 (3CDs) / HARDY CLASSIC (1dvd) - Orange 1974 (live)

Montserrat Caballé (Norma), Josephine Veasey (Adalgisa), Jon Vickers (Pollione), Agostino Ferrin (Oroveso) - Giuseppe Patanè (direction musicale)

Dans ce témoignage devenu mythique des représentations au Théâtre antique d'Orange en 1974, Montserrat Caballé, impressionnante et plus engagée qu'au studio, brosse le portrait de ce qui pourrait bien être sa plus belle Norma. "Casta diva" sonne comme un chant céleste, habité, diaphane et élégiaque à souhait, parfaitement soutenu par la ligne vocale et le phrasé légendaires de la Diva espagnole. Caballé se révèle ici terriblement impressionnante, se jouant de toutes les difficultés techniques de la partition, y compris dans "Ah ! Bello, a me ritorna" ! Bien loin des modèles des années cinquante, Caballé prouve une fois de plus qu'on peut, sans adhérer totalement à la conception callassienne, aller jusqu'au bout d'une option belcantiste, en partie hédoniste, sans jamais desservir le propos bellinien.

Josephine Veasey possède un beau timbre de voix, coloré et expressif; elle est ici une Adalgisa idéale, évoluant sur le même terrain escarpé que Caballé, sans jamais faillir.

Jon Vickers est un Pollione de grande classe, grand et puissant, avec toute l'autorité nécessaire dans l'accent. Son phrasé est exemplaire, même si son timbre particulier ne sert pas toujours la verve naturelle de son personnage.

Agostino Ferrin, quant à lui, offre un Oroveso de grande stature, très digne et charismatique; bien que coutumier du rôle, il lui manque quelques intonations plus insolentes dans l'émission et un grave plus appuyé dans les moments de grandes intensité dramatique.

Giuseppe Patanè, souvent inégal, trouve ici une juste mesure, servant le drame avec fougue et passion, sans jamais mettre en difficulté les chanteurs!

Il faut préciser que le son de ce témoignage CD est assez infâme et que l'amateur de Norma et/ou de Montserrat Caballé aura tout intérêt à préférer la récente édition en DVD qui lui apportera non seulement l'image mais également un son d'une tout autre qualité rendant infiniment plus justice à la magie de la soirée. Car concernant le spectacle que ce DVD nous propose il s'agit bien de parler de magie! Du début à la fin on est envoûté: Caballé n'est plus une prêtresse gauloise mais une Alcina, une Armida pour tous les Rinaldos que nous sommes. Non pas que l'image soit de la plus grande qualité -nous sommes bien évidemment très loin du numérique- mais le climat de l'œuvre, la production, l'art consommé des chanteurs, la magie du lieu, le mistral lui-même, tout concourt à faire de cette soirée un événement extraordinaire!

Y.M. pour le disque - J.R. pour le DVD


GALA GL 100.548 (2CDs) - San Francisco 31.10.1975 (live)

Cristina Deutekom (Norma), Tatjana Troyanos (Adalgisa), Roberto Merolla (Pollione), Clifford Grant (Oroveso) - Carlo Felice Cillario (direction musicale)

A mi chemin entre les conceptions de Callas et de Sutherland, Cristina Deutekom est une Norma à part entière. La voix est ample, impressionnante, l'accent souverain et autoritaire, sans parler d'un timbre d'or, irisé des plus magnifiques couleurs! Deutekom se révèle être une des meilleures Norma de toute la discographie, sachant parfaitement doser son chant; sa Norma est avant tout lumineuse, superbement phrasée et élégamment projetée. Sans doute manque-t-il un peu d'humanité à cette voix décidément hors norme… mais Norma n'est-elle pas Le rôle des rôles? N'exige-t-elle pas des moyens qui semblent surhumains? Ici Deutekom joue la carte de la passion, reléguant les passages de plus grande fragilité au second plan: sa Norma a de l'envergure, de l'élégance, elle brille de mille feux et s'embrase dans les moments de grande tension dramatique. Son "Casta diva", sûrement moins émouvant que d'autres, est emprunt d'une grande solennité: la voix y est à l'aise, s'accommodant sans peine de la tessiture tendue de l'aria ; elle y peint une Norma très digne, évitant tout effet ostentatoire, avec une justesse d'intonation qui fit défaut à nombre de ses consœurs!

Tatiana Troyanos est une Adalgisa en tout point remarquable. Sa voix, miracle de richesse et de noirceur, mais aussi succulente et sensuelle, rappelle les couleurs d'acajou d'une Flagstad au sommet de son art. Son chant, clair et précis, se joue des notes les plus hautes et des parties les plus vocalisantes; le legato est inimitable, subtil et usé à dessein, chaque note semble habitée, comme investie par les sentiments contradictoires qui gouvernent l'intrigue de l'ouvrage. Les duos sont magnifiques, spécialement "Oh ! Rimembranza !": les deux voix s'y accordent à merveille, et trouvent ici leur sommet absolu.

Clifford Grant, avec une voix riche et imposante, est un Oroveso de bonne stature tandis que Roberto Merolla se montre un Pollione réellement insuffisant, sans nuance, un rien braillard, et dépassé par les exigences vocales de son personnage.

Carlo Felice Cillario mène le drame tambour battant: sa direction, énergique et passionnée, est redoutable d'efficacité!

Y.M.


EXCLUSIVE EX93T78/79 (2CDs) - Vienne 17.03.1977 (live)

Montserrat Caballé (Norma), Fiorenza Cossotto (Adalgisa), Carlo Cossutta (Pollione), Luigi Roni (Oroveso) - Riccardo Muti (direction musicale)

Editée dans un son excellent, cette version live est le premier témoignage que nous avons de Riccardo Muti dans Norma. Le maestro abordera souvent l'ouvrage au fil des ans et en laissera même un enregistrement officiel en 1994 mais c'est ici en 1977 qu'il se montrera le plus en phase avec l'œuvre. Aux commandes d'un orchestre d'une beauté totale, le philharmonique de Vienne, Muti déploie sa science de l'architecture musicale, des colorations instrumentales, de la dynamique et offre aux chanteurs un écrin d'une splendeur absolue. Malheureusement, sur le plan du chant tout n'est pas de la même eau à commencer par Montserrat Caballé! Certes la diva espagnole étale son timbre unique mais la ligne de chant s'entache de petites scories de ci de la et de quelques effets véristes assez malvenus.

Pour Fiorenza Cossotto, il commence à se faire tard et celle qui fut une Adalgisa de qualité dix ans plus tôt a beaucoup perdu de sa voix: elle se réfugie régulièrement dans un poitrinage excessif et vulgaire aux aigus constamment plafonnés et semble davantage chanter Amnéris! En revanche Carlo Cossutta est l'un des plus intéressants Pollione depuis Franco Corelli et John Alexander. La voix est belle, saine et franche, la tessiture est assumée avec vaillance et la caractérisation dramatique du personnage est beaucoup plus fine qu'à l'accoutumée. Luigi Roni, avec une voix solide mais un peu rugueuse, n'a pour lui que de nous avoir évité l'éternel Ivo Vinco (M. Cossotto à la ville!) que sa charmante épouse imposait sur toutes les scènes ad nauseam! Un document inégal mais très intéressant!

J.R.


ARTHAUS (1K7/1DVD) - Sydney 1978

Joan Sutherland (Norma), Margreta Elkins (Adalgisa), Ronald Stevens (Pollione), Clifford Grant (Oroveso) - Richard Bonynge (direction musicale)

Ce témoignage vidéo, issu d'une représentation donnée en 1978 à l'Opéra de Sydney, a pour seul intérêt de nous montrer la Norma de Joan Sutherland dans des conditions malheureusement discutables. L'entourage, sans être indigne, n'est pas du tout à la hauteur de la cantatrice australienne. Margreta Elkins compose une Adalgisa sympathique mais bien maladroite scéniquement parlant. Ronald Stevens a certes une plastique plus avantageuse que la plupart de ses confrères mais sa voix, intéressante, se laisse aller à des débordements qu'on ne pardonnait pas à un Mario del Monaco. Clifford Grant est un Oroveso standard sans plus. Quant à Richard Bonynge, il est très nettement moins inspiré que d'habitude et sa direction reste souvent molle, innervée.

Peu de choses à dire de la production elle-même si ce n'est que les décors sont dans l'ensemble assez laids et les costumes plutôt ridicules.

Joan Sutherland sera mieux servie par la vidéo canadienne de 1981.

J.R.


GALA GL 578 (2CDs) - San Francisco 15.09.1978 (live)

Shirley Verrett (Norma), Alexandrina Milcheva (Adalgisa), Nunzio Todisco (Pollione), Clifford Grant (Oroveso) - Paolo Peloso (direction musicale)

Document très intéressant que cet enregistrement live de 1978 à San Francisco où décidément on aime beaucoup Norma! L'intérêt majeur en est la conception radicalement différente de l'interprétation du rôle titre. En effet ici la vocalité de Norma est rendue à une voix beaucoup plus sombre comme c'était le cas lors de la création de l'ouvrage avec Giuditta Pasta. Pour ce faire, le rôle est ici confié à un des grands mezzos aigus des années 1970, Shirley Verrett dont nous connaissions déjà l'Adalgisa qu'elle avait enregistrée en 1973 avec Levine aux côtés de Beverly Sills. L'incarnation de Norma qu'elle livre ici est très impressionnante: La voix est d'une solidité à toute épreuve et sait se parer de couleurs mordorées et en même temps rugir telle une lionne blessée. Il ne faut pas oublier que quatre années auparavant, elle s'était saisie avec le triomphe que l'on sait du rôle éprouvant de Lady Macbeth et il est incontestable que cette expérience verdienne l'aide pour le rôle non moins éprouvant de Norma. Tout au plus pourrait-on pinailler sur telle ou telle vocalise un peu scolaire. Peu importe: nous tenons là une Norma de haute lignée.

Il va malheureusement être très difficile d'en dire autant de ses partenaires non pas qu'ils chantent mal mais ils déparent quelque peu face à Verrett. Pourtant Alexandrina Milcheva avait tout pour être une belle Adalgisa et aux côtés d'une Caballé ou d'une Sutherland ça pouvait très bien fonctionner mais ici sa présence frôle l'aberration: en effet, quelle idée d'engager pour les deux rôles féminins de l'œuvre deux mezzos!!! A partir du moment où l'on essaye de restituer, autant que faire se peut, les couleurs de Giuditta Pasta, alors il faut faire de même pour Adalgisa et se rapprocher le plus possible de la vocalité de Giulia Grisi, créatrice du rôle. C'était donc une Renata Scotto ou une Margherita Rinaldi (dont nous parlerons ensuite) qu'il fallait engager! Nunzio Todisco chante Pollione en prenant un peu trop Mario del Monaco comme modèle. Quant à Paolo Peloso, si sa direction s'avère efficace, on ne saurait lui pardonner les innombrables coupures qu'il inflige à la partition.

J.R.


LYRIC DISTRIBUTION LCD-203-2 (2CDs) - Firenze Teatro Comunale 01.12.1978 (live)

Renata Scotto (Norma), Margherita Rinaldi (Adalgisa), Ermanno Mauro (Pollione), Agostino Ferrin (Oroveso) - Riccardo Muti (direction musicale)

Si on restait sur sa faim, à l'audition du témoignage de la première Norma de Riccardo Muti en 1977 à Vienne, ce n'est certainement pas cette nouvelle production florentine qui va combler notre appétit! Restituée dans un son nettement moins flatteur qu'à Vienne et avec un orchestre de moindre qualité, la direction de Muti perd énormément en coloris et en dynamisme: tout est uniforme et assez plat. Renata Scotto, avec laquelle le maestro avait enregistré une Abigaille plus que discutable, se devait, comme toute belcantiste qui se respecte, d'aborder le rôle de Norma. Précisons tout de suite que, pas plus qu'Abigaille, Renata Scotto n'a jamais eu la voix de Norma! Elle aurait pu être une merveilleuse Adalgisa mais c'était compter sans l'ambition prétentieuse de la cantatrice italienne. L'ambition peut être une excellente chose à condition toutefois qu'on en ait les moyens ce qui n'est malheureusement pas le cas ici! Certes le phrasé dans les passages lents et en dessous de la portée garde un aspect envoûtant mais est-il besoin de rappeler que Norma n'est pas Amina de la Sonnambula (rôle bellinien le plus convaincant de Scotto!)? Les passages rapides, la virtuosité, l'arrogance de la voix, la maîtrise du registre aigu, la dimension quasi surhumaine du rôle, tout fait défaut à celle qui a toujours été un soprano lirico leggero et qui, à force de jouer à la grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf, a dégradé de façon irréversible ses moyens vocaux!

Avec une Norma aussi petite et pointue, quelle mouche a donc piqué Riccardo Muti d'engager en Adalgisa Margherita Rinaldi, véritable clône vocal de Renata Scotto? Il est indispensable de différencier vocalement Norma et Adalgisa et nous avions déjà souligné en ce qui concerne le témoignage de Shirley Verrett à San Francisco en 1978 l'aberration d'engager deux mezzos. Ici, c'est pire car il est souvent impossible de distinguer qui chante quoi et cela ne fait qu'accentuer l'erreur considérable de confier le rôle titre à Scotto.

Ermanno Mauro, ténor solide vocalement mais primaire sur le plan de la caractérisation se trompe d'ouvrage et chante Bellini comme on chante Mascagni! Oroveso de belle stature d'Agostino Ferrin mais c'est bien peu pour faire une Norma de qualité!

Une expérience qui se voulait certainement intéressante mais qui se solde par un échec complet!

J.R.


SONY 35902 (2CDs) - London 1979 (studio)

Renata Scotto (Norma), Tatiana Troyanos (Adalgisa), Giuseppe Giacomini (Pollione), Paul Plishka (Oroveso) - James Levine (direction musicale)

Un an plus tard, la firme CBS, aujourd'hui absorbée par SONY, forte du succès considérable et mérité de l'enregistrement d'Adriana Lecouvreur de Cilea effectué par Renata Scotto deux ans plus tôt en 1977, décide d'enregistrer en studio sa Norma! Hélas, c'est pire que tout car les micros impitoyables restituent en les amplifiant tous les défauts de la cantatrice italienne et ce, dès le Casta Diva qui est une véritable épreuve pour l'oreille! Nous sommes loin, très loin de la composition d'une Callas, de la splendeur d'une Sutherland, du chant à fleur de lèvres d'une Caballé. Quinze ans plus tard, même Jane Eaglen fera mieux. C'est dire! Seules petites bulles de savons positives: l'attaque du final de l'acte 1, l'arioso du début de l'acte 2 et les cinq dernières minutes de l'opéra où le pouvoir émotionnel de cette musique finit par transcender l'absence de moyens vocaux.

En revanche, et c'est tout de même un comble, le reste de la distribution est de haute volée: Tatiana Troyanos est l'une des plus touchantes Adalgisa conservées par le disque. Sa voix moelleuse se coule idéalement dans l'écriture bellinienne. Giuseppe Giacomini fait partie de ces ténors solides qui ont toutefois peu de choses à dire: ici le chant est assumé avec goût et ardeur sans plus. Paul Plishka a mûri le rôle d'Oroveso depuis sa première intégrale en 1973 également avec Levine (et Beverly Sills) et le portrait qu'il offre ici est très touchant d'humanité. Quant à James Levine, il délivre ici peut-être la plus belle direction d'orchestre de cette discographie et fait d'autant plus regretter le choix retenu pour le rôle titre!

J.R.


VAI (1K7/1dvd) - Toronto 1981

Joan Sutherland (Norma),Tatiana Troyanos (Adalgisa), Francisco Ortiz (Pollione), Justino Diaz (Oroveso) - Richard Bonynge (direction musicale)

Ce deuxième témoignage vidéo de Joan Sutherland en Norma est infiniment plus intègre que celui de Sydney en 1978. La cantatrice australienne, visiblement plus à l'aise dans une production nettement moins grotesque que trois années auparavant, offre une Norma dans la lignée de ce que le disque nous a déjà donné d'elle. A ses côtés l'une des plus touchantes Adalgisa de la discographie: une Tatiana Troyanos superbe de voix et d'investissement. Francisco Ortiz n'est que solide vocalement: il a tendance à beugler davantage qu'il ne chante et est physiquement dépourvu de séduction. En revanche, très bel Oroveso de Justino Diaz. Richard Bonynge, lui aussi nettement plus à l'aise ici qu'en 1978, dirige avec flamme un orchestre d'une qualité moyenne mais survolté.

La production, sans être exceptionnelle, a au moins le mérite d'éviter la laideur et le ridicule qui nous gâchaient tant l'œil à Sydney.

Un document à connaître et de beaucoup préférable à celui de 1978!

J.R.


IV. Les Normas modernes

DECCA 414 476-2 (3CDs) - London 1984 (studio)

Joan Sutherland (Norma), Montserrat Caballé (Adalgisa), Luciano Pavarotti (Pollione), Samuel Ramey (Oroveso) - Richard Bonynge (direction musicale)

Presque vingt ans après sa première intégrale studio et forte d'une fréquentation régulière du rôle à la scène, Dame Joan Sutherland décide en 1984 de réenregistrer le chef d'œuvre de Bellini! Autant le dire tout de suite, il va de soi que la vision proposée ici est sensiblement différente que celle de 1964. La voix de Sutherland a incontestablement mûri et s'est assombrie ce qui ne lui enlève pas pour autant sa spectaculaire virtuosité. La différence majeure ici, c'est un approfondissement psychologique du personnage: Norma souffre en tant que femme, amante et mère davantage peut-être qu'en 1964 où Sutherland privilégiait l'aspect quasi-divin du personnage.

A ses côtés, une ex-Norma prêtant le charme de son timbre à une Adalgisa plus philologique qu'à l'accoutumée: Montserrat Caballé. Le résultat est saisissant car la diva espagnole apporte au rôle une fragilité et une féminité inhabituelles et bienvenues! Le seul petit regret que l'on pourrait formuler c'est que dans les duos, la fusion de leurs deux voix n'est pas totalement homogène, moins en tout cas que les tandems Sutherland/Horne (1964) ou Suliotis/Cossotto (1967).

Luciano Pavarotti, partenaire préféré de la diva australienne, ne pouvait s'abstenir de laisser son Pollione à la postérité: le résultat est dans l'ensemble plutôt convaincant même s'il ne fait aucun doute que jamais il n'aurait pu assumer ce rôle à la scène. Ici le ténor italien aborde Pollione comme Edgardo de Lucia di Lammermoor, ce qui est une erreur. Rappelons tout de même que Pavarotti, c'est Nemorino de l'Elisir d'amore, Tonio de La Fille du Régiment, Le Duc de Mantoue de Rigoletto et que ses incursions dans un répertoire plus lourd ont contribué à amoindrir ses moyens vocaux! Or, Pollione, c'est Franco Corelli et dans une moindre mesure Mario del Monaco ou Placido Domingo! Ici Pavarotti étale un timbre de lumière allié à une belle projection vocale mais il lui manque l'arrogance d'un timbre corsé et la flamboyance d'un ténor presque spinto.

Enfin, Samuel Ramey impose le meilleur Oroveso de toute la discographie à tel point qu'on se demande parfois en l'écoutant ce qu'on avait pu trouver de positif aux autres. Tout y est: beauté du timbre, maîtrise technique, caractérisation du personnage.

Richard Bonynge a, lui aussi, évolué dans sa conception de l'œuvre. sa lecture s'attache à mettre en évidence des détails orchestraux inouïs jusqu'ici offrant aux chanteurs un magnifique écrin. Seule petite réserve: l'aberration du tempo d'entrée des gaulois au deuxième acte suite à l'appel de Norma empêchant matériellement les choristes d'entrer en scène! Mais il est vrai que nous sommes dans un studio.

J.R.


OPERA D'ORO OPD-1183 (2CDs) - Firenze Teatro Comunale 16.06.1994 (live)

Jane Eaglen (Norma), Eva Mei (Adalgisa), Vincenzo La Scola (Pollione), Dimitri Kavrakos (Oroveso) - Riccardo Muti (direction musicale)

Récemment enregistré en public (sur plusieurs soirées) pour Emi Classics, cette Norma nous est ici proposée dans l'intégralité d'une seule et unique représentation par Opera d'Oro.

Coutumière des grands rôles wagnériens et pucciniens, Jane Eaglen semble complètement dépassée par le rôle le plus exigeant du répertoire bellinien. Sa Norma, toute en force et en puissance, manque totalement de finesse et d'imagination. De toute évidence, la soprano ne possède ni la voix, ni le style pour aborder le répertoire romantique italien: elle n'est ni Sutherland, ni Callas. Seul son tempérament et sa conviction dans l'accent permettent d'ébaucher quelques traits judicieux de son personnage, laissant peu de place à la poésie et à l'élégie de ses arie: il suffit, pour s'en convaincre, d'écouter son "Casta diva" certes, bien mené du début à la fin mais qui n'en reste pas moins dépourvu de toute son essence bellinienne, comme si la cantatrice s'était contentée d'aligner les notes les unes à côté des autres, sans jamais se soucier du discours musical. Que dire alors, des passages vocalisants ou des rares tentatives d'ornementation? Jane Eaglen semble perdue dans un univers qui lui est totalement étranger, incapable de vocaliser correctement, en proie à des tempi meurtriers où à aucun moment l'orchestre ne lui apporte le soutien nécessaire.

Adalgisa, rendue à sa tessiture de soprano, trouve en Eva Mei une interprète sensible, précise et convaincante, à la couleur de voix idéale, mais à l'expression vocale parfois fixe et métallique, notamment dans l'extrême aigu. Toutefois, malgré les difficultés rencontrées par Jane Eaglen, les deux sopranos offrent ici l'archétype même des couleurs de voix des deux héroïnes: Norma, sombre et dramatique; Adalgisa, claire et juvénile.

Dimitri Kavrakos (Oroveso) est une basse vacillante, peu stable, mais à l'accent juste et à l'articulation précise, tandis que Vincenzo La Scola chante avec passion un Pollione très convenable, mais auquel il manque l'insolence des aigus d'un Pavarotti, ou encore la verve d'un Corelli ou d'un Del Monaco!

Riccardo Muti, quant à lui, impose implacablement sa vision de l'œuvre, ne laissant aucune liberté d'action aux chanteurs, et précipitant l'orchestre dans des tempi effrénés, où l'urgence dramatique vient jusqu'à étouffer la poésie de l'ouvrage. Muti, puriste dans l'âme, tue l'essence même du genre romantique, sacrifiant à un soi-disant retour aux sources, l'ivresse du chant bellinien, qu'il soit passionné, extatique ou encore désespéré.

Y.M.


EMI 5 55471 2 (2CDs) - Florence 06.1994 (live)

Jane Eaglen (Norma), Eva Mei (Adalgisa), Vincenzo La Scola (Pollione), Dimitri Kavrakos (Oroveso) - Riccardo Muti (direction musicale)

Peu de choses à rajouter par rapport à ce qui a été dit juste au dessus si ce n'est pour signaler l'évidente plus-value sonore apportée par les micros d'EMI et qui permet de se faire une idée plus précise du travail orchestral mené par Riccardo Muti mais qui dans la foulée trahit, en les passant à la loupe, Jane Eaglen, véritablement hors - propos dans Norma et Vincenzo La Scola dont le timbre apparaît très métallique et aigre!

J.R.


Enregistrement Privé - Amsterdam 16.01.1999 (live)

Nelly Miricioiu (Norma), Violeta Urmana (Adalgisa), Carlo Ventre (Pollione), Dimitri Kavrakos (Oroveso) - Maurizio Barbacini (direction musicale)

Nelly Miricioiu, à l'instar d'Hasmik Papian (magnifique et très impressionnante Norma à Orange, en 1998), semble aujourd'hui l'un des seuls sopranos en mesure d'affronter Norma: son timbre est séduisant, corsé, aux accents très marqués; la voix possède une certaine envergure, bien projetée, et sait se colorer de la manière la plus subtile qui soit. Sa Norma est digne et autoritaire, élégiaque aussi, mais ne peut empêcher la comparaison avec l'interprétation légendaire de Maria Callas. En effet, dès son entrée en scène "Sediziose voci !", Miricioiu emprunte à la Divine nombre de ses accents… un procédé qui finit par agacer à la longue! Pourtant son "Casta diva" est proprement envoûtant : la ligne de chant quasi ininterrompue porte la voix de la Diva roumaine aux confins d'une mélancolie et d'une poésie rarement atteintes. Sans doute moins virtuose que ses consœurs (Sutherland en tête!), Nelly Miricioiu sort victorieuse d'un "Ah ! Bello, a me ritorna" rendu à la plus pure tradition belcantiste.

Plus connue pour ses incomparables Kundry que pour ses incursions dans le répertoire romantique italien, Violeta Urmana trouve en Adalgisa un rôle qui sied bien à son timbre de voix, mais dont le style lui est parfaitement étranger. Cependant, sa voix sait se plier aux exigences de la partition, évitant la plupart des écueils, sans jamais perdre de vue la psychologie de son personnage. Les duos remarquables d'équilibre - Miricioiu constamment à l'écoute de sa partenaire (et vice-versa) - sont soutenus par la direction sensible de Maurizio Barbacini malgré quelques lourdeurs dans les charges orchestrales.

Carlo Ventre est un interprète très insuffisant, tandis que Dimitri Kavrakos continue à se fourvoyer dans un rôle qui ne lui convient plus depuis longtemps.

Y.M.


Enregistrement Privé - Paris, Opéra Bastille 19.06.2000 (live)

June Anderson (Norma), Sonia Ganassi (Adalgisa), Johan Botha (Pollione), Giacomo Prestia (Oroveso) - Bruno Campanella (direction musicale)

Après avoir abordé à la scène les principaux rôles du répertoire belcantiste, June Anderson affronte depuis quelques années la terrible tessiture du chef d'œuvre de Bellini.

D'abord Norma à Chicago, Anderson offre à Paris une Norma épurée et respectueuse du style. La voix est ample, bien projetée, parfois même autoritaire, mais ne parvient pas toujours à trouver de justes intonations. Certes, le style est impeccable, mais la voix a perdu les couleurs et les accents qui firent sa gloire, il y a encore quelques années. Aussi, la soprano américaine égraine-t-elle sans véritable passion les notes d'un "Casta diva" aux tempi considérablement ralentis, laissant sa voix s'abandonner à une certaine indolence, dans des sonorités souvent blanches et métalliques. Que dire alors des duos avec l'Adalgisa de Sonia Ganassi, où Anderson semble imposer au chef ses propres tempi, désamorçant le drame bellinien dans ses moments les plus intenses? Que dire également de ces reprises supprimées, notamment dans "Ah ! Bello, a me ritorna", privant ainsi l'œuvre de toute ornementation? Même Callas, dont certains voient en June Anderson la légitime héritière, s'était autorisée en public un percutant contre-ré, à la fin de l'acte I… Ici, Anderson qui pourtant possède les notes, se contente de suivre scrupuleusement la partition, incapable de rehausser son chant du moindre ornement.

Difficile de juger la prestation de Sonia Ganassi, tant les tempi du chef semblent l'handicaper… Son timbre sait néanmoins se fondre dans les couleurs de bronze du rôle, et les duos seraient presque réussis si Anderson n'était pas constamment aux prises avec un vibrato de plus en plus envahissant.

Johan Botha est un Pollione absolument inacceptable: son chant est frustre, peu stylé, tandis que le timbre s'engorge dans les aigus, en dépit d'un très agréable médium. Giacomo Prestia, quant à lui, est sûrement l'un des meilleurs Oroveso actuellement en activité: son chant est exemplaire, bien mené et très stylé, et son interprétation fouillée force le respect… une voix à suivre qui tient déjà ses plus belles promesses!

Bruno Campanella, trop complaisant envers la soprano américaine, adopte une direction d'orchestre littéralement aberrante; à aucun moment il n'est capable de donner le ton juste à son orchestre, coupant çà et là la partition, supprimant un bon nombre des reprises. Campanella, pourtant coutumier du répertoire belcantiste, montre ici le plus profond mépris envers une partition qu'il croit défendre… Or Norma n'est pas n'importe quelle partition! Elle souffre tout, excepté le désintéressement et la médiocrité!

Y.M.


V. Les prochaines Normas

Quel avenir au disque pour Norma?

Certes l'industrie du disque "live" est chaotique, mais elle nous livre régulièrement de grands témoignages du passé; ainsi trouve-t-on telle ou telle illustre Norma sous des labels différents, ou bien encore telle ou telle anthologie réunissant des extraits d'une Norma oubliée ou que l'on croyait à jamais disparue (les extraits de Norma de Callas à Buenos Aires, en 1949, ou bien encore celle de Shirley Verrett, d'abord publiée en extraits avant d'être restituée dans son intégralité).

Quant à l'industrie du disque officiel, elle reste très timide en ce qui concerne l'édition d'œuvres du répertoire romantique italien, préférant se réfugier dans des "valeurs sûres".

Nightingale Classics, qui souhaite s'imposer comme une figure de proue du répertoire belcantiste, au même titre que Bongiovanni ou Opera Rara, devrait bientôt enregistrer une nouvelle Norma à l'occasion de sa prise de rôle par Edita Gruberova (en 2003-2004). La soprano d'origine slovaque sera alors âgée de près de 60 ans (comme Joan Sutherland en son temps)! Consciente des limites que lui impose sa voix (il lui manque la voix sombre et corsée d'une Verrett ou d'une Gencer) , elle reconnaît elle-même ne pas venir naturellement au rôle de Norma, semblant plutôt préoccupée par l'envie de satisfaire aux désirs de ses plus fidèles admirateurs… Ceci dit, Beverly Sills avait su, en son temps, adapter le rôle à ses moyens, tant au disque qu'à la scène, et Gruberova peut encore surprendre plus d'un de ses détracteurs! Dans une interview accordée récemment à la presse spécialisé, elle confirme sa volonté d'interpréter le "Casta diva" dans sa tonalité originale de sol majeur… peut-être aurons-nous la chance alors d'avoir une Adalgisa restitué à sa juste tessiture (bien que la superlative Vesselina Kasarova soit prévue dans la plupart des distributions)?

Plus proche de nous, Luana de Vol (excellente straussienne et wagnérienne) ambitionne, à près de 60 ans (!) d'affronter sa première Norma à Essen, en Allemagne, le 29 juin et les 3, 5, 12 et 14 juillet 2000… peut-être le "disque privé" nous laissera-t-il un témoignage de cette Norma, a priori incongrue, en espérant qu'elle sera loin des désastreuses incursions de Gwyneth Jones ou Anna Tomowa-Sintow dans ce répertoire.

Il reste que l'amateur de lyrique fait une bien triste mine lorsqu'il contemple l'avenir de Norma et de ses sœurs romantiques, les interprètes d'exceptions se faisant de plus en plus rares…

Yann Manchon

 


Vous trouverez ici un supplément critique réalisé par Yonel Buldrini

N O R M A - Par Yonel Buldrini

Enregistrements officiels et bandes "privées"….



[Ici s’insèrent tableaux et commentaires de Yann Manchon, dit : Giovanni Manicotto…

…auxquels s’ajoutent les miens, qui suivent, et concernent des versions non possédées par lui, et dont il était dommage de ne pas parler.]



Une NORMA vraiment originale ?…

A l’occasion du bicentenaire de la naissance de Vincenzo Bellini, le Teatro Regio de Parme a opéré un patient travail de reconstitution de partition originale, comprenant également le retour à des instruments identiques à ceux pour lesquels Bellini écrivait les diverses parties de ses opéras. On trouvera donc, dans les mains des 53 instrumentistes retenus par leur premier violon et chef d’orchestre Fabio Biondi, notamment des flûtes et des hautbois en… bois !
Techniquement, la variation progressive du diapason ayant glissé de pratiquement un ton, si l’on veut conserver la tonalité originale pensée par Bellini, il ne faut pas suivre son indication de Fa majeur reportée par les partitions d’aujourd’hui mais choisir un Sol majeur, plus proche de ce qu’était le Fa de l’époque de Bellini ! C’est la tonalité adoptée par certaines interprètes comme Joan Sutherland dans son premier enregistrements studio, ou June Anderson dans cette curieuse reprise parmesane.


Norma, June Anderson,
Adalgisa, Daniela Barcellona
Pollione, Smith Yong Hon ? remplaçant Ivan Momirov
Oroveso, Ildar Abdrazakov
Clotilde, Svetlana Ignatovitch
Flavio, Leonardo Melani
Orchestra Europa Galante
Coro del Verdi Festival
Primo Violino e Direttore, Fabio Biondi
Maestro del Coro, Martino Faggiani
Parma, Teatro Regio, 13–03-2001 

Retransmis en direct par la R.A.I. Radiotelevisione italiana (radio), puis en différé par la télévision.


June Anderson impressionne encore par l’épaisseur de son timbre et sa relative agilité. L’aigu est un peu étriqué et durci, et ses attaques « traînantes », ses sons plaintifs sont toujours un peu exaspérants, mais l’interprète fait preuve d’un métier certain.
Daniela Barcellona est une appréciable Adalgisa pour son timbre rond et charnu, sans être « gras » comme celui de M. Horne, et sa capacité à atteindre facilement des aigus ni étranglés ni forcés !
Smith Yong Hon ? [orthographe incertaine] remplaçant Ivan Momirov allie la vaillance à la chaleur, ce qui est déjà intéressant, si l’on pense aux chanteurs frustes ayant souvent sévi dans le rôle ingrat du proconsul.
L’Oroveso de Svetlana Ignatovitch, à peine plus âgé de vingt ans et déjà vainqueur du prestigieux « Concorso Callas » de la RAI, impressionne par la noirceur de son timbre et la belle tenue de son interprétation. On ressent, même à le seule audition, l’impression suggérée par cette appréciation finale émerveillée du commentateur de la RAI, et qu’il n’est pas besoin de traduire ne français : « una presenza scenica di assoluta autorità ».
Fabio Biondi est parfois une catastrophe de non-sens, comme la pauvre marche des Gaulois prise sèchement et à toute allure, ce qui ne la fait pas passer plus vite mais la ridiculise en l’expédiant ! F. Biondi est capable de « respirations gavazzeniennes » comme de brûler les ailes à la musique : l’admirable passage « Mira, o Norma », par exemple, est pris trop vite, ce qui le « liquide » en brisant sa magie qui suspend merveilleusement le temps autour de l’auditeur ! La célèbre Stretta du même duo laisse perplexe, tant le tempo est "élastifié" et assoupli, (en cela, plus gavazzenien que jamais !), pour le thème habituellement sautillant, puis, brusque et précipité dans la « bridge section » reprise dans la conclusion orchestrale, tout cela dans un fracas de cuivres (les trombones… d’époque ! ).
Les autres instruments offrent eux-aussi leur déplorable et déroutante sonorité : les cordes aigres (désagréables même lorsqu’elles « s’accordent » !) nous privent d’un moelleux convenant si bien aux sonorités on ne peut plus caressantes de Bellini. L’agressif hautbois sec et péremptoire, insupportable lorsqu’il double les voix en fureur de la Stretta du Finale primo….et de sa sonorité menuet Louis XIV, démystifiant le dramatisme du passage. Les cors assourdissants, le fracas coin-coingnant des trombones, les timbales au son « rentré » et ronflant mais sans rondeur et très « frappant », genre « feux d’artifices royaux » ! à tel point qu’on se croit projeté à des joutes du Moyen Age lorsqu’elles interviennent ; des cymbales sèches et métalliques et n’éclaboussant guère du brillant habituel…
On comprend vraiment le commentateur, qui, devant le succès final, réalise à grand peine que six jours plus tôt, au même moment, c’était le "finimondo", la fin du monde, selon son expression voulant montrer les protestations du public ! Le présentateur des studios à Rome en conclut avec sagesse que l’histoire se répète, comme lors de la création désatreuse de Norma ! (Y.B.).


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Une curiosité 
ou Bellini +Wagner = Verdi jeune !


Par un beau soir de juin 1971, l’Opéra de Boston reprit Norma… jusqu’ici, rien de particulier, mais l’originalité de cette représentation consistait à remplacer l’air avec choeur d’Oroveso (Acte II, 2ème tableau) par celui que Wagner réécrit avant de comprendre que les opéras de Bellini n’étaient pas réorchestrables !
Nous n’entendons ici que le Oroveso de Donald Gramm, l’orchestre du Boston Lyric Opera et la direction de Sarah Caldwell mais rappelons tout de même que Norma était la grande Beverly Sills, Adalgisa, Beverly Wolff et Pollione, John Alexander. L’enregistrement pirate du 11 juin existerait en totalité, mais le seul extrait porté à notre connaissance est précisément ce curieux air du chef des druides Oroveso.
La « réécriture » date de 1837 et il est intéressant de comparer la composition de Wagner à ce qui se faisait à la même époque. Que connaissons-nous aujourd’hui des opéras italiens de 1837 ? Un chef-d’œuvre : Roberto Devereux de Gaetano Donizetti, d’autres opéras fort intéressants du même Donizetti : Pia de’ Tolomei et Maria de Rudenz et Il Giuramento, considéré habituellement comme le chef-d’œuvre de Saverio Mercadante. Ceci dit, cette réécriture de Wagner n’a rien en commun, comme « air du temps », avec les opéras à peine cités… ni même avec ce que l’on connaît de Wagner ! Il nous lègue en fait, et c’est étonnant de le constater, un air héroïque plus verdien que nature… à une époque où Verdi n’a pas encore composé ! (son premier opéra, Oberto conte di san Bonifacio, ne date que de 1839). 
Après quelques mesures d’introduction encore de Bellini, la musique change brusquement sur des accord amers et tourmentés des cuivres. L’air proprement dit sonne comme une mauvaise Cabaletta caricature du Verdi de jeunesse le plus flamboyant et le plus raccoleur !… mais ce mélange romantique de gravité et d’héroïsme triomphant et ostentatoire, demeure fortement sympathique et à tel point que le public fait un triomphe à Donald Gramm – qui termine par un aigu méritoire - et aux choeurs de l’Opéra de Boston, menés avec une belle flamme par Sarah Caldwell. 
En fait de réorchestration, c’est plutôt une recomposition totale… et d’un Wagner inhabituel, qui ravirait plus d’un amateur de Meyerbeer ! (Y.B.).



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La confrontation Callas / Callas, à cinq mois de distance !


Norma : Maria Callas
Adalgisa : Ebe Stignani
Pollione : Mario Del Monaco
Oroveso : Giuseppe Modesti
Clotilde : Rina Cavallari
Flavio : Athos Cesarini 
Orchestra sinfonica e Coro di Roma della radiotelevisione italiana
Maestro del Coro : Nino Antonellini
Maestro Concertatore e Direttore : Tullio Serafin
Roma, Auditorium della RAI, 29 giugno 1955

Norma : Maria Callas
Adalgisa : Giulietta Simionato
Pollione : Mario Del Monaco
Oroveso : Nicola Zaccaria
Clotilde : ?
Flavio : ?
Orchestra e Coro del Teatro alla Scala di Milano
Maestro del Coro : 
Maestro Concertatore e Direttore : Antonino Votto
Milano, Teatro alla Scala, 7 décembre 1955


Grande année que cette 1955 : Andrea Chénier avec Mario Del Monaco et l’autorité du chef Antonino Votto, La Sonnambula avec Cesare Valletti et Leonard Bernstein, la célèbre production viscontienne de La Traviata avec Giuseppe Di Stefano, Ettore Bastianini, tous magnifiés par le chef Carlo Maria Giulini, Il Turco in Italia avec le Maestro Gavazzeni, l’enregistrement de Madama Butterfly avec von Karajan, cette Lucia di Lammermoor légendaire à Berlin et toujours avec le maestro von Karajan… magnifique année de rôles incroyablement diversifiés et qui allait se conclure par la plus prestigieuse des inaugurations de saisons, celle du Teatro alla Scala.

On l’a dit et redit : le magnétisme, le charisme de Callas place d’emblée l’auditeur sous le charme : l’attaque du Recitativo de « Casta Diva », ces mots célèbres « Sediziosi voci », captive par son autorité, cette raucité particulière du timbre étonne et captive… et ne nous libère plus ! L’air proprement dit est un irrésistible miracle, au charme indicible et faisant vivre le génie bellinien. L’écoute attentive et quasi simultanée de chaque morceau de ces deux interprétations devrait montrer pourquoi celle de la RAI a toujours été considérée comme la meilleure de Callas… la divina semble en effet, dans les studios de la RAI, être habitée d’une mystérieuse croyance, qui illumine chaque mot, chaque inflexion, et tout autour d’elle ! 
Le son un peu plus « cotonneux » pour employer le terme consacré, de l’enregistrement de la Scala, lime quelque peu notre perception de l’interprétation de Callas, mais elle semble tout de même, comment dire ?… plus rêveuse, plus méditative… Mais la Scala a d’autres avantages, la sonorité du plus bel orchestre du monde pour cette musique et la vie de la scène : si à la RAI le public se contient quelque peu, à la Scala il applaudit frénétiquement, unanime, en un seul cri spontané et par dessus la musique ! Comme en conclusion de la Cabaletta du « Casta Diva », lorsqu’explose la marche… quelle belle émotion d’entendre le public réagir passionnément. Il le fait encore, après la dénonciation de Norma qui lance un sublime « Son’io » et tient la note, qui dure, qui dure !… Et ce débordement d’enthousiasme à la fin de l’Acte I (même si la Stretta finale est plus coupée encore à la Scala qu’à Rome !), débordement véritablement unanime que l’éclaboussant fracas des cymbales domine à grand peine ! 
Dans son interprétation, Callas demeure le phénomène que l’on connaît : tantôt tendre, tantôt brûlante, mais toujours précise dans la parole, attentive à chaque mot. Au début du second acte est placée une simple Scena « Teneri figli », même pas un air, et l’art sublime de Callas va jusqu’à lui faire briser sa voix, lorsqu’elle est elle même paralysée par l’émotion qui la saisit au moment de lever le poignard sur ses enfants (l’effet est un peu plus évident à la RAI mais elle le fait également à la Scala). 
Bouleversante, déchirante est enfin Callas, à Rome comme à Milan – mais est-il besoin de le (re)dire ?! - dans le sublime Concertato finale qui nous laisse, la gorge serrée, un peu éperdu.

Les partenaires de la divina ne déméritent pas, à commencer par l’ineffable Mario Del Monaco, magnifiquement égal à lui-même ! Fougueux au possible, mais sans les petites outrances du studio. Ebe Stignani est le mezzo-soprano méritant que l’on sait, même si sa voix sonne ici pâteuse et ses aigus parfois pénibles… il faut rappeler qu’elle arrivait à sa fin de carrière, après avoir été la première Adalgisa du disque… mais du disque 78 tours, et en 1939 ! et lorsque Callas l’interpelle par ce charmant « giovinetta », on ne peut que sourire, mais l’histoire de l’interprétation d’opéras est riches en pères plus jeunes que leurs enfants. Giulietta Simionato est une Adalgisa plus jeune mais également plus vibrante, comme le veut le rôle de cette jeune prêtresse sur le point de prononcer ses vœux. A l’inverse de Stignani, pour elle, il n’est pas besoin de « traficoter » la Stretta du premier duo avec Norma, afin de remplacer par une quelconque fioriture, le terrible aigu, si difficile à atteindre (car sans progression). D’ailleurs si un murmure s’élève dans la salle à ce moment, c’est pour Callas, qui pourtant l’a atteint avec dignité, cet aigu ! La Simionato « bat » facilement la pauvre Stignani, pourtant attentive et soignée, dans la Stretta du célèbre duo « Mira, o Norma », où la virtuosité – avec aigu facile et juste ! - est indispensable.
Le très correct Giuseppe Modesti, à la RAI, (sans faire de jeu de mots sur son nom) ne peut être comparé à Nicola Zaccaria qui a déjà un timbre plus ample et somptueux. On comprend qu’il ait été un comprimario efficace.
Tullio Serafin est pesant et brusque, Antonino Votto « appuie » ou plutôt souligne également, mais avec une souplesse particulière. La brusquerie de Serafin qui « hache » souvent ses tempi, se remarque notamment dans le chœur des druides (Acte II, 2e tableau), venu tout droit de Bianca e Fernando, en passant par Zaira, on apprécie alors la mesure, la finesse de Antonino Votto. Remarquons que cette brusquerie serafienne va bien au chœur sauvage « Guerra, guerra !! », même si on frôle les décalages.
La conclusion est simple : il faudrait posséder les deux enregistrements, celui de la RAI de Rome pour Callas et celui du Teatro alla Scala pour tout et tous ! (Y.B.).




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Héritières de Callas ?



Une version à ne pas oublier !

Norma : Elena Suliotis
Adalgisa : Fiorenza Cossotto
Pollione : Mario Del Monaco
Oroveso : Carlo Cava
Clotilde : Giuliana Tavolaccini
Flavio : Athos Cesarini
Orchestra e Coro dell’Accademia Nazionale di Santa Cecilia in Roma
Maestro del Coro : Giorgio Kirschner
Maestro Concertatore e Direttore : Silvio Varviso
Decca Stereo SET 368-9 ( 2 LP) 
Enregistré à Rome, en 1968.


Il faut d’emblée établir un fait reconnu par Decca dans la plaquette originale accompagnant les deux trente-trois tours : il s’agit d’une version abrégée, et se voulant expérimentale, en quelque sorte. Outre les coupures habituelles des représentations scéniques, disparaît le deuxième tableau du second acte (concenant le chœur et Oroveso). D’après A Note by the producer imprimé dans la plaquette, Decca possédant déjà un enregistrement intégral, tenta de restituer ici l’aspect dramatique de la figure de Norma, trop adouci par la tradition dont les accomodements finissent par aboutir à une « excessive sentimentalité ». Un exemple flagrant réside dans la « nécessaire férocité des paroles « In mia man’ alfin tu sei » [Duetto Norma-Pollione, Atto II°] tendant à être sacrifié à la beauté vocale ».

Mario Del Monaco est un Pollione péremtoire, impétueux et emportant tout sur son passage ! Son Legato caressant séduit tant qu’on passe sur certains sons ouverts, sur certaines outrances, certains effets un peu frustes, mais au moins, tant qu’à faire un Pollione péremtoire et fruste, saluons le panache et la justesse, l’assurance désarmante du grand ténor, qui gagne bien sa place aux côtés de Beniamino Gigli, autre phénomème vocal du siècle.
Elena Suliotis est surprenante par la consistance de sa voix évidemment callassienne mais également par la belle maîtrise qu’elle en a, lui permettant de multiplier les piani, autant que sa technique lui concède d’attaquer dignement les embellissements de la ligne vocale. Elle restitue, par exemple, de manière impressionnante cette « férocité » dont parle le producteur, dans la Stretta du Finale I, n’omettant pas d’y faire également des nuances ! Exemplaire de pianissimo et de sensibilité, sa Scena « Teneri figli ». Et quelle attaque du duo « In mia man’ alfin tu sei » à la raucité, à la sauvagerie donnant le frisson… même si Del Monaco qui ne se laisse pas faire fait craindre l’empoignade !…
Fiorenza Cossotto campe une impétueuse et vibrante Adalgisa et son timbre coupant ne gêne pas trop dans ce rôle… l’aigu est juste, sûr et tenu, ce qui n’est pas souvent le cas chez les autres interprètes de la jeune prêtresse.
L’Oroveso de Carlo Cava est limité à l’Introduzione mais son interprétation est toute dignité.
Silvio Varviso est énergique dès l’ouverture et autant qu’il le peut, sans brûler les ailes à la musique de Bellini qui a tant besoin d’expansion tranquille. Admirables ses accélérations et ralentissements dans la linéaire et tellement répétitive (d’autant qu’on y opère les habituelles coupures la rendant plus monotone encore) Stretta finale du Duetto Adalgisa-Pollione, qui comme disait Bellini, « ne plaira jamais car il ne plaît déjà pas à moi-même. » (Y.B.)



Surtout une question de timbre…

Norma : Lucia Aliberti
Adalgisa : Ildiko Szönyi
Pollione : Juraj hurny
Oroveso : Konstantin Sfiris
Clotilde : Fran Lubahn
Flavio : Walter Pauritsch
Chor und Extrachor der Grazer Oper
Das Grazer philharmonische Orchester
Musikalische Leitung : Wolfgang Bozic’
Graz, Oper,12.11.1993

Cet enregistrement présente une exécution sans coupure et l’on ne peut être indifférent aux accents callassiens de Lucia Aliberti ! La ressemblance est parfois frappante et l’interprète sensible, il est d’autant plus dommage qu’il y ait des piani ratés ou des aigus approximatifs. Les autres personnages sont bien tenus et la direction, souvent intéressante de dynamisme sans brusquerie outrancière… 
Il faudrait confronter l’interprétation de Lucia Aliberti à celle des autres voix callasiennes comme Maria Dragoni, Silvia Sass… (Y.B.)

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