L‘Orfeo
"Favola in musica”
livret d’Alessandro Striggio
en un prologue et cinq actes
Mantoue en 1607

Jean-Christophe Henry

-Distribution:

*La Musica : La Musique, Soprano

         Prologue

Fa 3-Mi 4

*Orfeo : Orphée, Ténor (Baryton (Go)(17))

Acte I à V

Sib 1-Fa# 3

*Euridice : Eurydice, Soprano

Acte I et IV

Re 3-Re 4

*Messaggiera : La Messagère, Mezzo-Soprano

         Acte II

Do 3-Mi 4

*Speranza : L’Espérance, Mezzo-Soprano (Soprano (Go) ; Contre-Ténor (J))

         Acte III

Do 3-Mi 4

*Caronte : Caron, Basse         

         Acte III

Fa l-Sib 2

*Proserpina : Proserpine, Soprano (Mezzo-Soprano (J))

         Acte IV

Do 3-Fa 4

*Plutone : Pluton, Basse

         Acte IV

La 1-La 2

*Apollo : Apollon, Ténor (Baryton (J, Ht))

         Acte V

Re 2-Mib 3

*Ninfa : Une Nymphe, Soprano

         Acte I

Re 3-Ml 4

*Pastor I : Premier Berger, Ténor

         Acte I et II

Do# 2-Sol 3

*Pastor II : Deuxième Berger, Contre-Ténor (Ténor (Ht))

         Acte I et II

Sol 2-Do 4

*Pastor III : Troisième Berger, Ténor

         Acte I et II

Do# 2-Fa 3

*Pastor IV : Quatrième Berger, Basse

         Acte I

Sol 1-Re 3

* Spirito I : Premier Esprit, Ténor

         Acte IV

Mi 2-Fa 3

*Spirito II : Deuxième Esprit, Ténor (Baryton (Go))

         Acte IV

Re 2-Re 3

*Spirito III : Troisième Esprit, Basse

         Acte IV

Do 2-La 2

-Synopsis:

Prologue:

Aucune oreille humaine ne peut rester insensible au chant de la Musique ; celle-ci invite l’illustre assistance à écouter la fable d’Orphée, dont le chant était capable de dompter les bêtes sauvages et même, de soumettre les Enfers.

Acte I :

Nymphes et bergers célèbrent les noces d’Orphée et Eurydice. Ils demandent à Orphée d’exprimer son bonheur dans un chant : Orphée loue ce jour où Eurydice lui a remis son cœur, et prend le ciel à témoin de sa joie (“Rosa del ciel”), tandis qu’Eurydice s’en remet à l’Amour. Les bergers invitent les époux à venir implorer au temple la toute-puissance divine afin que leur félicité soit longtemps préservée.

Acte II :

Orphée et les bergers sont allés fuir la chaleur accablante de la mi-journée dans un bois frais. Orphée reprend sa lyre ; il se souvient des plaintes qu’il chantait lorsqu’Eurydice lui refusait son amour, mais à présent son chant n’est qu’une proclamation de joie. Une messagère intervient brusquement pour annoncer la mort d’Eurydice, mordue par un serpent dans un pré fleuri ; rien n’a pu la sauver.

Déchiré, Orphée décide de descendre aux Enfers afin de ramener Eurydice sur la Terre : il parviendra bien à apaiser Pluton avec sa lyre. S’il échoue, il demeurera dans le Royaume des Ombres, auprès de sa bien-aimée.

Nymphes et Bergers expriment leur désespoir.

Acte III :

L‘Espérance conduit Orphée vers l’entrée des Enfers, où ont été gravés sur la pierre ces mots : “Lasciate ogni speranza voi qu’entrate !“ (abandonnez tout espoir, ô vous qui entrez !). L’Espérance quitte donc Orphée, dont le chemin est barré par Caron, l’inflexible nocher des Enfers, qui transporte les âmes des défunts vers la Royaume des Ombres par delà les eaux noires. Aucun vivant ne peut les traverser, mais par la beauté de son chant et son obstination (“Potente spirto, e formidabil nume”), Orphée parvient à assoupir Caron et rejoint l’autre rive.

Acte IV :

Proserpine a été tellement touchée par la plainte d’Orphée qu’elle demande à Pluton de lui rendre Eurydice. Pluton ne peut refuser, mais assortit sa décision d’une condition jusqu’à ce qu’il soit remonté sur terre, Orphée n’aura pas le droit de se retourner pour regarder Eurydice. Pourtant, tout en chantant sa reconnaissance aux dieux, Orphée est saisi par le doute : et si Eurydice ne le suivait pas ? Les divinités ne risquent-elles pas de jalouser son bonheur ? il croit entendre des furies lui ravir Eurydice et pose son regard sur elle : il vient de la perdre à tout jamais.

Acte V :

Revenu sur terre seul, Orphée se lamente amèrement sur sa perte cruelle, seul l’ةcho lui répond. Son père Apollon descend sur un nuage, invite Orphée à le rejoindre au ciel et lui promet qu’il pourra contempler l’image d’Eurydice parmi le soleil et les étoiles. Nymphes et bergers célèbrent la transfiguration du divin chanteur.

-Pour découvrir l’œuvre :

L‘Orfeo, Gabriel Garrido, Ensemble Elyma, chez K617.

* CD 1. plages 1 et 2 : Prologue ; La Musica :

L’œuvre s’ouvre sur une Toccata, fanfare en Do majeur répétée trois fois rideau baissé. Elle est suivie d’un prologue chanté par une personnification allégorique de la musique, commençant par une ritournelle qui ponctuera les cinq parties du discours de la Musica et que l’on retrouvera comme leitmotiv durant la tragédie. Le chant est soutenu par un continuo léger qui permet l’épanouissement vocal. Dans ce long récitatif, la Musica flatte l’assistance dans la première strophe, se présente dans la deuxième, vante son pouvoir dans la troisième, annonce la tragédie dans la quatrième et enfin invite la nature à garder le silence pour laisser parler la musique. Le poème, d’une grande beauté, résume toute la philosophie de l’œuvre. La tessiture assez réduite permet une compréhension parfaite du texte, mais n’entrave en rien la richesse harmonique de cette introduction. Qui d’autre que la Musique elle-même pouvait aussi bien ouvrir le premier discours lyrique!

CD 1, plages 8, 9, 10, 11, 12 : Acte II ; Orfeo, La Messaggiera, Pastori, Nimfe :

Après un premier acte en forme de pastorale, sorte de cantate nuptiale peuplée de bergers et de nymphes, le second acte s’ouvre lui aussi sur un décor bucolique Orphée et les Bergers sont rassemblés dans une forêt, une sinfonia joyeuse et dansante introduit un court arioso d’Orphée puis les bergers chantent tour à tour les beautés de la nature, chants entrecoupés par de courtes ritournelles contrastés. La scène se termine par un chœur où les nymphes et les bergers invitent Orphée à prendre sa lyre. La pièce qui suit est celle qui se rapproche le plus de ce que l’aria deviendra durant XVIIe siècle. Dans ce chant joyeux, de forme strophique, ponctué d’une ritournelle très rythmée, Orphée conte les moments douloureux qu’il a vécus quand la fière Eurydice le repoussait, et le bonheur présent. La dernière strophe se clos sur ces vers: “Après la douleur on est plus content, après le malheur on est plus heureux”. Suit un très court récit du premier berger, joyeux voire ironique. C’est ce moment du poème, alors que le bonheur d’Orphée semble parfait, que Striggio choisi pour installer la rupture dramatique. L’arrivée soudaine du personnage de la Messagère, qui rompt en deux exclamations douloureuses le ton pastoral, installe le drame en une seconde. C’est aussi à cet instant que s’exprime tout le génie théâtral de Monteverdi : en un accord, un changement harmonique radical, il nous plonge dans la tragédie. Le discours musical qui va suivre illustre comme rarement une scène dramatique. La Messagère après son entrée va être interrogée par différents bergers puis par Orphée lui-même. Toutes leurs interventions restent dans un style très pastoral alors que les réponses de la Messagère demeurent d’une couleur très douloureuse. Ce sont les questions d’Orphée, dont le ton devient plus grave, qui vont initier l’annonce de la mort d’Eurydice sous la forme du plus beau récit de toute la partition, récit d’une richesse harmonique incroyable. Suit la déploration de deux bergers dans le même ton douloureux, préambule au chant pathétique d’Orphée qui annonce, avec une économie d’affect géniale, sa décision de descendre aux Enfers pour rejoindre sa bien-aimée. Cet acte est la plus grande réussite dramatique et théâtrale de toute l’œuvre. L’illustration musicale, le poème, la simplicité du discours servent comme rarement le propos. On ne sort pas indemne de la première écoute de ce chef d’œuvre.

* CD 2, plages 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7. Acte III ; Orfeo, La Speranza, Carone :

L’acte III s’ouvre sur une sinfonia qui plante instantanément le décors: 2 cornets, 5 trombones, 2 violes de gambe, 1 violone, 2 régales d’orgue, le ton est grave. Orphée se trouve aux portes de l’Enfer accompagné par l’Espérance. Dans un court récit il remercie la déesse de l’avoir guidé et demande son aide pour la suite du chemin. Mais l’Espérance lui montre une inscription à la porte du royaume de Pluton: “Lasciate ogni speranza voi ch’entrate !“ (abandonnez tout espoir, ô vous qui entrez !). Il devra donc cheminer seul. Cette phrase tirée de L‘Enfer de Dante est sûrement la plus citée de toute la littérature italienne. Dans le livret de Striggio cette citation installe une dimension chrétienne dans le mythe, donne toute son “italianité” au poème en citant ainsi l’œuvre fondatrice de la littérature italienne et préfigure la chute d’Orphée puisque c’est le doute, l’absence d’espérance, qui le poussera à se retourner. En voyant l’Espérance le quitter Orphée chante un récit plein de détresse, écrit dans l’aigu de la tessiture. Mais l’Espérance le fuit malgré tout et il se retrouve seul face à Caron. Ce personnage brutal s’exprime toujours sur la même monodie de 14 mesures qu’il répète ici trois fois. Cette “série” est tout sauf mélodieuse : en quarte et quinte, sans la moindre souplesse, ni la moindre nuance. Caron est présenté comme une sorte de soldat borné qui répète ses ordres inlassablement pour ne pas les oublier. Il est évident que Monteverdi a caricaturé ce personnage pour le rendre ridicule, à la manière de Shakespeare qui, entre les scènes les plus dramatique de ses pièces, glisse des scènes comiques. Orphée va alors se lancer dans une démonstration de virtuosité vocale pour séduire le rustre. Le long récit orné(18) qui suit est une merveille d’art vocal qui appartient plus au discours musical renaissance et de sa science de la diminution qu’au nouveau style florentin. Mais les roulades et les trillos du musicien ne vont pas ébranler Caron qui reprend, vaguement flatté par la démonstration, son chant pour essayer de décourager à nouveau Orphée. Le héros se lance alors dans une déploration poignante dans le plus pure style recitar cantando, qui se termine par une prière désespérée : “rendez moi mon bien, Dieux du Tartare”. C’est bien sûr ce chant dans le nouveau style qui va fléchir Caron qui s’endort(19). Après une sinfonia très douce, Orphée monte dans la barque de Caron en chuchotant un récit plein d’espoir et entre dans les Enfers en clamant une fois encore “rendez-moi mon bien, Dieux du Tartare”.

* CD 2, plages 10, 11 et 12 : Acte IV ; Orfeo, Euridice, Spiriti :

Grâce au douces paroles de Proserpine, Pluton laisse partir Eurydice, mais son mari ne devra pas la voir avant d’avoir atteint la lumière. Lors de la remontée, Orphée chante un air joyeux en trois strophes puis le doute l’étreint : “Mais pendant que je chante qui m’assure, hélas, qu’elle me suit”. Le musicien se lance alors dans un récit fiévreux et angoissé. Un bruit se fait entendre en coulisse, Orphée se retourne et ne peut qu’entendre la dernière plainte de son épouse qui disparaît. Ce qui suit, c’est le brusque réveil d’Orphée, secouant sa torpeur, c’est son cri, son hurlement, son appel désespéré “Où t’en vas-tu, ma vie !“. Le mot n’est point mis là par hasard. C’est son âme qui s’enfuit à nouveau de lui, et c’est ce qu’exprime la déclamation en dent de scie de cinq mesures ainsi que le désarroi harmonique et rythmique où elle sombre. Le récit d’Orphée se prolonge dans une sinfonia contrepointée à sept parties, d’un profil tourmenté et où sont associés les timbres durs des cornets et des trombones, viole de gambe et des deux régales d’orgue. Elle encadre de ses deux auditions symétriques un commentaire du chœur, d’aspect une fois de plus philosophique et moralisateur et dont la conclusion est : « Celui qui saura se vaincre lui-même sera digne de l’éternelle gloire »? Chœur d’une lourde gravité qui s’anime et se détend tour à tour, selon la technique et le style familier aux plus illustres madrigalistes italiens.



(17) Quand la distribution des rôles diffère dans tel ou tel enregistrement, nous le signalerons en prenant comme abréviations :

-Garrido : Go

-Harnoncourt : Ht

-Jacobs : J

-Gardiner : Gr

-Bolton : B

-Hickox : Hx.

(18) Pour ce récit, Monteverdi donne deux versions sur sa partition : une version où l’ornementation est écrite et une version en longues tenues non ornées, pour laisser la possibilité aux interprètes d’inventer leur propre ornementation.

(19) On saisit ici l’amusante démonstration du compositeur qui défend le style nouveau face à la tradition renaissance.