Rencontre avec Yvon Repérant

Jean-Christophe Henry

 

Yvon Repérant est un peu un homme de l’ombre. Comme beaucoup d’instrumentistes, son nom ne vous rappelle sûrement pas grand chose, mais si vous regardez les livrets de vos coffrets d’opéras baroques, vous risquez fort de l’y trouver.

C’est après des études musicales complètes à la scola cantorum et au CNSM de Paris en piano et en théorie musicale qu’il se tourne vers l’étude du clavecin et se spécialise très vite dans la pratique du continuo. Il devient en 1979 le premier continuiste des Arts Florissants, ensemble créé par William Christie. Jusqu’en 1987 et la mythique production d’Atys, il va aborder avec ce groupe tout le répertoire baroque. Depuis, il est sollicité régulièrement par les plus grands spécialistes de ce répertoire (Jacobs, Herreweghe, Minkowski, Malgoire, Kuijken, etc.) en tant qu’assistant, chef de chant et continuiste. Parallèlement à son activité de concertiste, il se consacre activement à l’enseignement : formation d’instrumentistes, continuistes et de jeunes chanteurs au style baroque, en particulier au centre de musique baroque de Versailles et au sein du studio baroque de Versailles de 1989 a 1997. De plus en 1994, il crée L’ensemble « repères baroques » pour défendre surtout le répertoire de musique de chambre vocale baroque profane et spirituel. Cette expérience triple d’enseignement, de continuiste et de directeur musical fait de lui un des grands spécialistes actuels de Monteverdi. Il a en effet participé aux enregistrements de l’Incoronazione et d’Il Ritorno de la trilogie Jacobs, a abordé l’Orfeo sous la direction de Marc Minkowski et Philippe Herreweghe et assume en mai prochain à Bruxelles la direction musicale de la reprise de la Cena Furiosa, mise en espace des madrigaux guerriers et amoureux créés au festival d’Aix en Provence en 1999. C’est à Genève où il participe à la version Pelly- Minkowski de Platée qu’il a bien voulu répondre à mes questions.

JCH : vous allez à Bruxelles diriger des madrigaux de Monteverdi, du clavecin. Trouvez-vous que ce répertoire nécessite absolument un chef d’orchestre ?

YR : la notion de chef d’orchestre comme nous la connaissons aujourd’hui est née au XIXéme siècle avec les grands orchestres symphoniques et lyriques. Même Lully ne dirigeait pas vraiment ses œuvres ; il donnait juste un tactus aux interprètes. La musique du XVIIème siècle qui nécessite un gros travail musical en amont en appelle beaucoup plus à la responsabilité de l’interprète, à une écoute constante de ceux-ci par rapport au groupe. Je vais répéter dès mars avec l’équipe de chanteurs et le travail scénique ne commencera qu’en mai.

JCH : est-ce qu’une mise en scène des madrigaux de Monteverdi vous semble justifiée ?

YR : une « mise en geste » est justifiée. Monteverdi a spécifié sur certains manuscrits de madrigaux : « con gesti », ce n’est pas pour rien. Le travail de la metteur en scène de la Cena va d’ailleurs évoluer : en première partie elle fera un travail d’improvisation avec des comédiens sur Moise et Aaron de Berio puis en deuxième partie nous donnerons une version plus sobre du spectacle d’Aix.

JCH : quelles sont les qualités que vous attendez d’un chanteur pour interpréter Monteverdi ?

YR : une grande souplesse, une grande musicalité et surtout l’intelligence du texte. Il doit être à la fois soliste et chambriste, comme les instrumentistes dans le même répertoire. C’est une très bonne école pour de jeunes chanteurs.

JCH : quelles sont les difficultés que rencontre un jeune chanteur face à la musique de Monteverdi?

YR : les interprètes doivent, pour bien interpréter Monteverdi, acquérir un plus grand contrôle vocal et aussi le style, mais tout style est souvent lié à une technique. Il nécessite une grande agilité, un contrôle du vibrato et de l’émission pour arriver à une bonne palette d’afetti : il doit pouvoir chanter beau aussi bien que laid. De plus, l’art de la déclamation a presque totalement disparu de l’art lyrique au XIXème siècle. Les textes magnifiques que Monteverdi a mis en musique comme le combat de Tancrède et Clorinde du Tasse nécessite une intelligence du texte qui n’est plus enseignée aujourd’hui aux chanteurs, bien que la musique baroque italienne nécessite plus de vocalité que la musique française de la même époque, qui est vraiment une tragédie mise en musique. Et quand un interprète a acquis tout ce savoir il doit alors trouver sa propre interprétation. Le baroque c’est la liberté dans le carcan. Le seul exemple de cette tradition au XXème siècle, ce sont les chanteurs de jazz. Je suis toujours impressionné de cette capacité chez Ella Fitzgerald, par exemple.

JCH : Comment un continuiste aborde t’il une partition de Monteverdi?

YR : Avant tout le texte. Les mots sont prioritaires sur la basse. Nous devons absolument coller au texte pour accompagner un chanteur, notre réalisation doit être quasi-rhétorique.

JCH : Quelle est votre position face aux problèmes posés par les partitions de Monteverdi: le diapason, l’instrumentation, l’ornementation et les lacunes des manuscrits ?

YR : Je suis adepte d’un diapason haut, la = 466Hz. Les ténors sont alors de vrais ténors, les basses sont moins « à la cave » et les sopranos ne souffrent plus dans d’éternelles parties trop médium. Pour l’instrumentation les possibilités sont multiples mais le budget est souvent un problème. Je rêve de donner un jour un opéra de Monteverdi avec un vrai « orchestre de continuo » : plusieurs claviers, multiplication des luths, harpes, lyrones, violes, mais cela coûterait trop cher. L’ornementation est uniquement une question de travail et de pratique. Les premiers chanteurs des Arts Florissants, Mellon, Visse, Feldman, Laurens étaient arrivés après des années de travail à vraiment intégrer toutes ces règles. Un interprète doit aujourd’hui savoir se plonger dans les traités mais aussi les intégrer suffisamment pour s’en détacher. Le grand récit d’Orfeo est un très bon exemple. Monteverdi a fait graver deux parties : « sa » proposition de double d’ornementation qui est bien sûr excellente, et une partie simple pour laisser à l’interprète la possibilité d’inventer son propre double. De nos jours aucun chanteur n’ose prendre cette liberté. Pour les lacunes des partitions, jouer Monteverdi comme il nous est parvenu paraîtrait pour sûr indigeste pour le spectateur actuel, il faut donc ajouter des ritournelles.