" perchè
se avanzerai di questo passo
dovrai finir dove ha finito il Tasso. "
(parce que,
si tu continues de ce pas,
tu devras finir comme a fini le Tasse.)
Donizetti / Gilardoni : Le Convenienze e le inconvenienze teatrali
Ainsi
répond le compositeur Biscroma Strappaviscere au librettiste trouvant
que personne ne le complimente sur ses vers ! (Le pauvre Tasse souffrait
de crises de folie et il dut longuement séjourner dans une maison
de santé).
Oh ! Combien d'Armide !...
Parallèlement
aux Armide (pluriel italien des noms propres!) étudiées
en ce dossier spécial, il en existe bien sûr une quantité
d'autres... et afin d'en donner une idée au moins " italienne
" dirons-nous, voyons ce que nous propose le Catalogo delle opere
liriche pubblicate in Italia de Aldo Caselli . Il dénombre quinze
Armida tout court et une L'Armida (l'article devant un nom n'étant
pas péjoratif ni familier en italien). On trouve aussi six Armida
abbandonata, deux Armida al campo et une autre, plus précise, pour
ainsi dire : Armida al campo d'Egitto. Il y également un autre
lieu, Damas : Armida in Damasco et Armida regina di Damasco. Une évidente
Armida delusa (déçue) côtoie deux tout aussi courantes
Armida e Rinaldo, et un Rinaldo e Armida . Le noble Renaud semble toujours
sous le charme, dans Gli Amori di Armida e Rinaldo comme dans
Gli Amori di Rinaldo con Armida ! et celle-ci d'être pleinement
victorieuse, puisque qu'on célèbre même Il Trionfo
d'Armida.
Plus original est ce renversement des choses : Rinaldo liberato da Armida
(Rinaldo libéré par Armida !). Quant à Armida nemica,
amante e sposa , nous avons là un titre plus imaginatif et mettant
les choses au clair !
N'oublions pas, tirés de l'inépuisable Gerusalemme liberata
du grand poète Torquato Tasso, les opéras ne comportant
pas Armida dans le titre, dont trois Rinaldo tout court. On remarque également
La Gerusalemme liberata , connaissant un meilleur sort que la Gerusalemme
distrutta, se relevant pourtant dans La Riedificazione di Gerusalemme
, " reconstruction " renouvelée apparemment, selon le
pluriel du titre suivant : Le Riedificazioni di Gerusalemme !
Ne figurant pas dans le Caselli, car créée probablement
hors d'Italie, il existe une oeuvre au titre trop joli pour être
écarté : La Selva incantata ( La Forêt enchantée).
Enfin, voici le souriant Domenico Cimarosa qui nous tend sa partition
tout enluminée de Armida immaginaria...
Armida immaginaria dans l'oeuvre de Domenico
Cimarosa
Domenico Cimarosa
(1749-1801) donna le premier de ses soixante-trois opéras en 1772
et Armida immaginaria devait être placé sous le signe du
chiffre sept puisqu'il est le septième opéra et fut créé
lors de l'été 1777. C'est d'ailleurs l'un des premiers ouvrages
de son auteur que nous connaissions par un enregistrement, avec I Tre
Amanti, son cinquième opéra, (disponible, celui-là,
en deux enregistrements). Cette année 1777 était apparemment
placée sous le signe de la parodie puisqu'il venait de composer
: Il Fanatico per gli antichi Romani (le fanatique des anciens Romains).
Armida
immaginaria
Le style est déjà celui du compositeur efficace et toujours
inspiré que l'on connaît.... et on peut dire, selon la formule
populaire : " c'est déjà tout lui ! " dès
l'ouverture pimpante au possible qui démarre " sur les chapeaux
de roue " !
L'histoire commence avec un curieux décor d'une avec une auberge
et en face... un " ospedale dei pazzi " un asile d'aliénés
! On y voit les " fous " se plaindre des amuvais traitements
du chirurgien Mastro Giorgio dont la grande méthode ou thérapie
est les coups de massue... La jardinière Ermidora survient et demande
au chirurgien s'il ne peut faire quelque chose pour sa maîtresse,
la Marchesa (marquise) Tisbea qui a perdu la raison et se prend pour l'Armida
de Torquato Tasso !.... elle a d'ailleurs fait arranger son jardin conformément
aux descriptions du jardin d'Armide que fait le grand poète !
Le second tableau du premier acte se déroule dans ce jardin merveilleux
que la didascalie décrit explicitement : " Délicieux
jardins, naturellement gracieux et enrichis par l'art [dans le sens de
"fabriqué", de "artifice", par opposition à
ce qui est naturel], selon les fabuleux caprices du jardin d'Armida. On
peut voir des arcades magnifiques, des colonnes dorées, et des
portes avec des représentations, toutes choses imitant la description
du Tasse.
La marchesa Tisbea, vêtue gracieusement suivant l'idée d'Armida
".
La marquise entre donc en Armida, les pensées toutes tournées
vers cet ingrat de Rinaldo qui l'a abandonnée !... Ermidora s'inquiète
plutôt de l'absence du chirurgien... qui fait bientôt son
entrée mais déguisé en femme, car la marquise ne
supporte pas la vue d'un homme, depuis son " abandon ".
Précisément, une autre femme bizarre s'avance : c'est Spatachiatta
, le corsaire récemment débarqué et décidé
à voler la riche marquise. C'est sa fiancée, l'aubergiste
Stella qui lui a révélé le secret du déguisement
pour pénétrer chez la marquise Tisbea. Le comique de la
situation naît du fait que Mastro Giorgio va prendre le corsaire
travesti pour la marquise et s'adresser à elle avec son franc parler
renforcé par le fait qu'il s'exprime en dialecte napolitain : "
Mia grassotta beltà " que l'on pourrait traduire par : ma
beauté rondouillarde ! Appelant brusquement deux aides qui attendaient
plus loin, Mastro Giorgio fait
pratiquer une saignée au pauvre corsaire... qui s'évanouit
!
Spatachiata reveint à lui devant une marquise étonnée
puis stupéfaite quand il retire ses vêtements féminins...
mais elle a un éblouissement salutaire ... pour lui : elle le prend
pour " son " Rinaldo ! il la détrompe mais elle, pas
si folle, lui avoue qu'il trouve grâce à ses yeux.... et
elle lui demande tendrement, dans un air superbe, de vivre aux côtés
de son Armida, parmi ces merveilleux jardins... la seconde partie de l'air
connaît de fréquente montées vers l'aigu mettant en
sérieuse difficulté l'interprète de la représentation
devenue enregistrement.
Mastro Giorgio se rend bien à l'évidence de sa méprise
mais voici que reparaît le corsaire tout enguirlandé de fleurs,
tel Rinaldo ! ...au grand étonnement de sa fiancée Stella
qui observe la scène, à part. Jalouse elle tentde le démasquer
mais la marquise ne pense qu'à en faire son " marchesino ",
son petit marquis !
" Rinaldo " parti, " Armida " se désespère
et c'est une nouvelle allusion à notre thème car Ermidora
annonce que " Rinaldo " va revenir couper les arbres enchantés
(le public de l'époque connaissait le sujet... presque par obligation,
à cause des innombrables opéras qui s'en étaient
inspirés !). La marquise se cache dans l'un des troncs (comme Armida
dans son myrthe), déclarant que s'il lui donne un coup, elle détruit
le palais et s'envole dans les airs... Voici Rinaldo-Spatachiatta qui
ne comprend pas pourquoi Stella et Giorgio lui ont rebattu les oreilles
avec cette histoire d'arbres ensorcelés à couper absolument
!... (le Rinaldo du Tasse doit couper le myrthe, ce qui fait tomber l'enchantement
et le libère). Rinaldo-Spatachiatta s'apprête à regret...
quand une voix faible lui demande de ne pas donner le coup fatal (comme
l'image d'Armida surgissantt du myrthe) !
Alors que chez Torquato Tasso, Rinaldo entend une musique " d'orgues,
de lyres et de voix humaines ", Cimarosa nous propose un " choeur
interne " (dont on se demande qui le compose : les domestiques de
la marquise ??!!) adjurant Rinaldo-Spatachiatta de respecter les arbres
et de jouir des délices du jardin de l'amour. Tisbea sort enfin
et le corsaire semble tomber sous son charme... ce qui provoque la fureur
de Stella.
D'autres personnages (dont je n'ai pas parlé pour ne pas alourdir
la description centrée sur la réécriture du mythe
d'Armida) surviennent et ajoutent à la confusion qui devient bientôt
générale, coincidant avec le point culminant de ce Finale
endiablé.
*
Atto secondo *
Dans une rue, Ermidora
retrouve Mastro Giorgio et lui raconte comment la marquise a chassé
tous les hommes à coup de baton puis a juré solennellement
d'épouser..... le poète Torquato Tasso en personne ! Le
chirurgien des fous va donc opérer un nouveau travestissement,
copié en tout point sur le portrait du Tasse ! Afin d'approcher
la marquise et lui " arranger la cervelle ". Spatachiatta s'avance,
raisonnant sur une grave " discordance " :
" Être sans argent et avoir de l'appétit " ! ...le
Jardin des Délices va donc servir à des besoins beaucoup
plus prosaïques et le voilà qui s'apprête à en
piller les fruits... Stella survient et rapporte également la dernière
folie de la Marchesa, écorchant savoureusement le nom de l'illustre
poète en " Trocquato Grasso " ! ! et voici qu'elle a
l'idée de travestir son corsaire en Tasso afin qu'il dérobe
à la marquise argenterie et atours, ensuite, ils prendront la fuite.
Mastro Giorgio entre, selon la disdascalie, en Tasso " caricato "
c'est-à-dire " appuyé "... en effet, non seulement
il tient des livres mais il porte également les lauriers sur la
tête ! Il croit ressentir une soudaine inspiration soufflée
par " toutes les vingt [!] Muses du Mont Parnasse ". Gonflé
de sa propre importance, il se sent prêt dans un grand air (aussi
vain que ses illusions, s'il en a !) à enfiler épigrammes
sur sonnets et anagrammes...
La confrontation entre les deux faux " Tassi "! a lieu entièrement
en Recitativo secco et le dialecte napolitain ajoute encore au ton populaire,
dont on donnera une mince idée par cette pauvre traduction :
Mastro Giorgio : " Qui c'est, çui-là ?!! "
Spatachiatta : " Et l'aut', là... qui c'est ? ".
Leurs menaces mutuelles
servent de toile de fond à l'arrivée éperdue de la
marquise, qui, elle, " s'y croit " !
La Marchesa Tisbea : " Torquato !... Ah ! dove sei ? Anima mia !
! ". (où es-tu, mon âme !).
En voyant les deux
Tassi, elle se rend tout de même compte qu'on cherche à la
tromper... elle écoute les deux poètes se défier
par la lecture de véritables vers du Tasse , écorchés
et transformés en " salade ", bien sûr !... Lorsque
Spatachiatta parle de " Stance 1 ", Stella demande ce que c'est,
et comme le mot se dit " stanza " en italien, et qu'il signifie
aussi " pièce " d'un appartement, il explique, pour la
plus grande joie du public, (que l'on entend s'esclaffer) : " une
seule chambre " !
Au comble de la confusion, la marquise s'évanouit... Ses sens recouvrés,
elle ne sait plus où elle est... Contrastant avec le récitatif
comique, l'air de la marquise, d'une grande délicatesse toute mozartienne,
est sérieux ! elle est vraiment éperdue et la flûte
évoque discrètement les oiseaux du jardin enchanté,
et lorsqu'elle parle de " Orfeo con la sua lira ", la harpe
dessine une curieuse atmosphère que l'on retrouve dans l'Armida
de Rossini !
La campagne avec une
petite hutte ; il fait nuit. La marchesa s'avance dans le camp de Goffredo
di Buglione (!) et pense au fait que plusieurs langues étant en
vigueur, il lui faut les apprendre, avec l'aide d'un " esprit des
abîmes " !
Elle se place dans le cercle magique puis tourne son visage trois fois
vers l'orient et trois autres vers l'occident... le visage de Spatachiatta
paraît à la fenêtre : elle le prend pour Alchino (un
démon) qu'il confond avec Arlecchino (Arlequin !) ...elle veut
qu'il lui parle en français... ce qu'il fait, dans une caricature
de menuet et de langue ! Le malicieux corsaire profite d'une pirouette
de langue pour en faire une physique finale, et disparaître. Armida
va donc armer son célèbre char que le monde entier se souvienne
de sa vengeance contre " l'empio Rinaldo ".
Le décor change
à nouveau, pour le Finale secondo : un bosquet illuminé
nous révèle le char triomphant et Armida en amazone ! Cimarosa
donne un discret ton martial à sa musique... d'autant que Armida
demande aux trompettes guerrières de cesser car leur son a un pénible
écho dans son coeur. Mastro Giorgio et différents personnages
secondaires entrent, déguisés en guerriers, et font semblant
d'être prêts à exécuter les ordres de Armida...
Les choses se gâtent avec l'arrivée de Spatachiatta dant
la seule vue amadoue la marquise... (car Giorgio et les autres personnages
sont en fait amoureux de la marquise !) Ils menacent à tour de
rôle le pauvre corsaire qui doit encore affronter une Stella terriblement
jalouse ! Il s'écrie alors :
" Si j'échappe à ceux-là, / Je veux le raconter
en chantant, partout. ". Cimarosa augmente alors la tension : le
rythme s'accélère comme les menaces se précipitent,
l'orchestre charge -du moins, comme il le pouvait à cette époque
des menuets !- et le rideau tombe.
* Atto terzo *
[Le livret de la plaquette
omet de préciser le lieu, qui doit se trouver chez la marquise]
Plus de parodie tassienne dans cet acte : tous les peronnages commentent
l'entêtement de la marquise qui a décidé d'épouser
son Rinaldo-Spatachiatta. C'est donc le moment d'une sorte de bilan (qui
perd qui ?) et de revirements : qui reste libre et donc " courtisable
" ?.... et dans tout cela, Cimarosa trouve de délicieux accents
dans ses déclarations d'amour, renouvelant sans cesse la fraîcheur
et la spontanéité de son incroyable capacité d'invention
mélodique (comme dans le superbe air du ténor Battistino).
Une fois le Brindisi porté, Stella révèle qu'elle
a empoisonné tout le monde ! Un ensemble concertant fort réussi
traduit le frémissement d'horreur des personnages.... mais Stella
revient et déclare qu'elle s'est trompée de sachet : elle
n'a que coloré les boissons.... Spatachiatta déclare alors
:
" Déjà que je suis marquis, je veux "marquiser"
à outrance ", inventant le verbe " marchesiare ",
selon la possibilité du dialecte napolitain à l'ineffable
ironie !
Tous saluent enfin le couple principal mais la marquise continue ses lubies,
rêvant de se voir entourée de " damerini " ou petits-maîtres,
gandins, chevaliers servants... et Spatachiatta comprend qu'en tant que
nouveau marquis, il doit composer !...
En conclusion, la pauvre femme nous semble peut-être apaisée
mais non guérie, malgré l'allégresse des paroles
finales, générales mais équivoques. On peut en effet
les interpréter de deux manières différentes :
" Goûtons tous désormais / Le sort aimable / Qui nous
a fait trouver ici / "L'immaginaria Armida". "
" Goûtons tous désormais / Le sort qui nous a fait trouver
ici / Cette agréable compagne : / "L'immaginaria Armida".
"
Rideau !
Les références au thème
d'Armide dans Armida immaginaria
Pour conclure, on
peut dire qu'elles sont de plusieurs types : l'évocation de lieux
comme le Jardin de l'Amour, la citation directe de vers du Tasso, volontairement
écorché dans un but parodique. Enfin, l'apothéose
de la référence étant constituée par l'apparition
de rien moins que... le grand poète Torquato Tasso en personne
!... mais non sérieusement, comme dans l'opéra romantique
de Gaetano Donizetti portant son nom, mais dans un travestissement voulu.
Les
reprises de l'opéra
La première
reprise moderne eut lieu au Festival de Montpellier en juillet 1994 mais
il s'agissait d'une version réduite et traduite en français.
Une reprise de la partition complète eut lieu en 1997, au "
Festival Internazionale della Valle d'Itria " à Martina Franca
et la firme Dynamic de Gênes en fit un enregistrement en trois Cd.
La plaquette a raison de donner l'adresse Internet du fort intéressant
site des valeureux éditeurs Luca Bianchini et Anna Trombetta :
" www.novanet.it/bianchini ".
L'équipe fait
" prendre " la musique magnifiquement tour à tour pimpante
et tendre du grand Cimarosa, malgré quelques réserves pour
le soprano Alla Simonischvili, mise à mal par la virtuosité
parfois très aigue du rôle de la Marchesa Tisbea. D'autre
part, on est parfois géné par le timbre rugueux du baryton
Domenico Colaianni, chantant le " chirurgo dei pazzi " (le chirurgien
des fous), Mastro Giorgio.
Le ténor Simon Edwards séduit par la délicatesse
et la chaleur de son interprétation. Piero Guarnera (le corsaire
Spatachiatta) ainsi que Massimiliano Chiarolla, Giovanna Donadini et Anna
Rosa Peraino sont les autres interprètes contribuant à la
belle réussite de cette reprise, " concertata " à
merveille par le jeune chef d'orchestre Eric Hull.
L'orchestre est celui de l'illustre " Teatro Bellini di Catania ",
tandis que le Choeur vient du Teatro Petruzzelli de Bari, qui est la capitale
de la région des Pouilles où est située la fameuse
Valle d'Itria servant d'écrin à Martina Franca.
Fiche
technique |
Références
du coffret de trois Cd. :
Dynamic CDS 205/1-3 (1998)
(Adresse Internet : " www.dynamic.it ")
Durées
de l'exécution :
Sinfonia : 5mn. 23'
Atto primo : 1h. 14mn. 30'
Atto secondo : 57mn. 59'
Atto terzo : 25mn. 54'
Total : 2h. 43mn. 46'
Texte de présentation
et synopsis de l'action en français.
Livret : italien original-anglais.
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