Discographie des Carmélites

Catherine Scholler

 

Blanche de La Force : Denise Duval
Madame Lidoine : Régine Crespin
Madame de Croissy : Denise Scharley
Sœur Constance : Liliane Berton
Mère Marie : Rita Gorr
Le Marquis de La Force : Xavier Depraz
Le Chevalier de La Force : Paul Finel
Chœur et Orchestre du Théâtre National de l'Opéra de Paris
Direction : Pierre Dervaux
2 CD EMI


A tout seigneur tout honneur, commençons par l'enregistrement de 1958, qui fit suite à la création de l'œuvre, et qui, par sa valeur de témoignage, reste encore la version de référence.
On peut se procurer cette version seule ou dans le coffret des œuvres lyrique de l'édition du centenaire Poulenc édité par EMI, qui contient en outre d'autres enregistrements historiques ou de référence : les mamelles de Tirésias, la voix humaine, le gendarme incompris, le bal masqué, l'histoire de Babar etc.
Il est toujours bon de réécouter de tels monuments avec une oreille neuve. Ainsi, alors que cette version est inattaquable et inattaquée de tout mélomane bon teint, quelle surprise de constater que la voix de Denise Duval, interprète fétiche de Francis Poulenc, est si acide et si pointue !
De même, la diction des personnages est excellente, on comprend tout, ce qui avec un tel texte, est absolument indispensable, mais elle est un peu surannée (la façon de rouler très fortement les R, par exemple).
En revanche, la direction de Pierre Dervaux, très concernée, n'a pas pris une ride. Née à la source même du créateur, sa conception très dramatique nous vaut des passages d'une tension extraordinaire. La scène finale en devient presque insoutenable.
Régine Crespin campe une madame Lidoine d'une grande noblesse vocale et d'une autorité superbe : dans ses affrontements avec mère Marie ce sera la seule interprète qui laissera deviner les rivalités et les règlements de compte qui peuvent intervenir entre les deux femmes, hors scène.
Mère Marie est incarnée par Rita Gorr qui sait conférer caractère et épaisseur, mais aussi nuances à son personnage : monolithique dans ses convictions, redoutable dans son affrontement avec le commissaire du peuple mais accessible aux sentiments : on sent de l'affection pour Blanche.
La première prieure de Denise Scharley meurt dans l'abjection et la terreur, de façon très dramatique et impressionnante.
Liliane Berthon complète la distribution féminine, dans le rôle toujours très gratifiant de sœur Constance.
Du coté masculin, on a entendu des meilleurs Marquis de La Force que Xavier Depraz ou de meilleurs Chevalier que Paul Finel, mais ils sont tout à fait estimables, et très engagés dans leur rôle. La scène de l'adieu du frère et de la sœur est ainsi très émouvante.

 

Blanche de La Force : Felicity Lott
Madame Lidoine : Jocelyne Chamonin
Madame de Croissy : Régine Crespin
Sœur Constance : Anne-Marie Rodde
Mère Marie : Geneviève Barrial
Le Marquis de La Force : Pierre d'Hollander
Le Chevalier de La Force : Léonard Pezzino
Chœur de Radio France
Orchestre national de France
Direction : Jean-Pierre Marty
2 CD INA mémoire vive

Cet enregistrement à été réalisé par Radio France le 25 avril 1980 au Théâtre des Champs-élysées à Paris, dans le cadre de la saison lyrique de Radio France, et diffusé sur France Musique le 21 juin 1980, mais n'a été reporté en CD qu'en 1999. Comme souvent dans le cas d'une deuxième version, il est difficile d'y porter une appréciation autrement qu'en la comparant avec la redoutable référence de la création.
On notera d'abord que cet enregistrement public a eu lieu dans une salle légèrement tousseuse. La direction de Jean-Pierre Marty sonne plus légère, plus alerte et nettement moins dramatique que celle de Pierre Dervaux. La diction de tous les protagonistes est moins datée, mais aussi moins claire (dans le cas de Jocelyne Chamonin surtout).
Cette version vaut surtout par la présence de Felicity Lott et l'incarnation de la première prieure de Régine Crespin, auparavant titulaire du rôle de la deuxième prieure.
Que dire de Felicity Lott ? beauté, perfection et intelligence, comme d'habitude ! beauté de la voix, perfection de la diction, intelligence du rôle qu'elle habite comme personne…
Régine Crespin, 22 ans après la création, a la voix abîmée, ce qui n'est guère gênant dans le rôle d'une vieille femme agonisante, mais son timbre clair de soprano surprend de prime abord dans ce rôle conçu pour une contralto. Cette chanteuse aristocratique campe un personnage qui est bien celui d'une vieille aristocrate, et qui le reste, même dans l'agonie. Elle meurt ainsi de façon moins sordide que Denise Scharley, et, moins véhémente que désespérée, elle ne montre pas tout à fait assez le coté abject, dégradant, avilissant de cette mort.
Geneviève Barrial en mère Marie est moins nuancée que Rita Gorr, plus uniformément virago. Jocelyne Chamonin en nouvelle prieure est un peu terne, son incarnation ne reste pas en mémoire. Anne-Marie Rodde, jolie sœur Constance canarde dans la scène finale. Léonard Pezzino est un très bon Chevalier de la Force moins tendre, plus lyrique que Paul Finel.
En conclusion, une version moins homogène que la précédente, qu'il faut absolument entendre pour Felicity Lott et Régine Crespin.


Blanche de La Force : Catherine Dubosc
Madame Lidoine : Rachel Yakar
Madame de Croissy : Rita Gorr
Sœur Constance : Brigitte Fournier
Mère Marie : Martine Dupuy
Le Marquis de La Force : José Van Dam
Le Chevalier de La Force : Jean-Luc Viala
Chœur et Orchestre de l'Opéra de Lyon
Direction : Kent Nagano
2 CD Virgin classic

 

Il faut croire qu'un enregistrement du dialogue des carmélites ne peut pas avoir lieu sans représentation préalable. La troisième et dernière version au disque a été réalisée dans la foulée du spectacle lyonnais de 1990.
Celle-ci, malheureusement, ne montre pas les mêmes qualités que les précédentes : rien n'y est vraiment mauvais, très peu de choses sont vraiment bonnes. Aussi appétissant qu'une assiette de veau froid avec des coquillettes, en quelque sorte.
Ceci est dû en bonne partie à la direction de Kent Nagano, trop analytique, pas assez lyrique : à force de vouloir nous montrer la beauté de telle envolée de flûte ou de tel accord, le chef saucissonne, perd de vue le dramatisme de l'œuvre, qui apparaît alors trop affectée. Cet orchestre trop présent, ces brutalités et inégalités de tempo obligent certain des chanteurs à surjouer, étouffe toute vie chez les autres.
La Blanche de Catherine Dubosc est propre, mais anodine, un peu douceâtre. Elle n'habite pas son personnage, ne lui insuffle pas de vie, on a l'impression qu'elle s'écoute chanter. Ces défauts sont en partie partagés par Brigitte Fournier en Constance.
Une voix usée peut ne pas être un handicap quand il s'agit de chanter le rôle de Mme de Croissy, mais dans le cas de Rita Gorr, il s'est passé 35 ans depuis la création, et c'est vraiment trop tard. Elle use de toute son expérience pour une interprétation de classe, mais la voix est en ruine (certains sons font frémir !) ce qui lui ôte une partie de ses possibilités interprétatives. La phrase " que ne puis-je arracher ce masque avec mes ongles " devient par exemple totalement incompréhensible.
Rachel Yakar, de sa voix douce et pure, montre bien le coté maternel de madame Lidoine, ainsi que son coté " populaire ", elle qui a été préférée à mère Marie comme prieure, justement parce qu'elle n'était pas noble, pour ne pas " faire de vagues " à l'époque troublée de la révolution française. La plus jolie, sinon la plus complète, des madames Lidoine, qu'on sent tout de même un peu dépassée par les exigences de son deuxième monologue.
Martine Dupuy, qui pourtant d'habitude caractérise si bien les personnages qu'elle incarne, ne donne aucun relief spécifique à mère Marie. C'est superbement chanté, parfait techniquement, d'une élocution royale, mais d'une beauté gratuite. José Van Dam, en immense artiste, est impeccable, mais n'a pas toujours l'air convaincus. Par charité chrétienne (et c'est bien le lieu !) il est inutile de s'étendre sur le cas de Jean-Luc Viala, qu'on nous inflige régulièrement dans toute production d'opéra français, comme s'il n'existait pas de meilleure alternative !
Toutes ces réserves étant émises, il faut préciser que la musique de Poulenc est si belle, que le livret est si prenant, que même interprété de façon moyenne (il n'y a rien de catastrophique dans l'enregistrement), on prend un plaisir indéniable à écouter cette œuvre. Cette version est toutefois à réserver à ceux qui voudraient à toute force une version récente, aux maniaques du DDD (rappelons que l'enregistrement de 1958 est en mono).

 

Blanche de La Force : Anne-Sophie Schmidt
Madame Lidoine : Valérie Millot
Madame de Croissy : Nadine Denize
Sœur Constance : Patricia Petibon
Mère Marie : Hedwig Fassbender
Le Marquis de La Force : Didier Henry
Le Chevalier de La Force : Laurence Dale
Direction : Jan Latham-Koenig
Mise en scène : Marthe Keller
Décors : Jean-Pierre Capeyron
Costumes : Florence Emir
CDV Arthaus Musik

 

La dernière version existante est une version vidéo, échos des représentations strasbourgeoises de 1999. S'agissant de l'unique transcription visuelle de l'œuvre, c'est sur la mise en scène que l'attention se portera, et celle-ci est un chef d'œuvre de goût et d'intelligence.
Dans des décors dépouillés de Jean-Pierre Capeyron, ce sont principalement les jeux de lumière et la forme de l'ouverture du fond de scène (croix, porte…) qui déterminent les changements de lieux. Les costumes des carmélites sont classiques, certains ont voulu voir dans ceux des révolutionnaires un rappel des uniformes nazis, mais ils sont plus certainement intemporels, donnant ainsi à l'œuvre une dimension universelle.
La mise en scène de Marthe Keller est aussi sobre qu'intelligente, son travail de direction d'acteur d'une grande finesse donne vie aux personnages, nous éclaire sur leurs relations et sur leurs motivations profondes. Ce parti pris de sobriété nous vaut ainsi une scène finale d'une grande force, sur une scène totalement vide, là où d'autres metteurs en scène nous infligent une immense guillotine et des contorsions de carmélites !
Les chanteurs, portés par cette mise en scène, donnent le meilleur d'eux-mêmes. Anne-Sophie Schmidt est une lumineuse Blanche, incarnant son personnage à la perfection, la craquante Patricia Petibon vole les cœurs en Constance.
Nadine Denize est une première prieure à la voix usée, comme il semble être de rigueur dans l'esprit des directeurs d'opéra ! son métier nous vaut un fabuleux numéro d'actrice dans la scène toujours payante de la mort de la première prieure, même si vocalement, elle n'est pas la meilleure titulaire du rôle.
Très curieusement, Hedwig Fassbender campe une mère Marie pleine de compassion et d'affection pour Blanche, qui semble quelquefois dépassée par les évènements, face à la madame Lidoine autoritaire de Valérie Millot, cette dernière fachée avec la diction.
Du coté masculin, Didier Henry est irréprochable, et comme Régine Crespin a incarné successivement madame Lidoine et madame de Croissy, comme Rita Gorr a chanté mère Marie puis la deuxième prieure, il est amusant de retrouver Léonard Pezzino, autrefois séduisant chevalier de la Force, en aumônier impeccable. Laurence Dale chante d'une voix usée jusqu'à la corde, mais il habite pleinement son personnage.
Il est souvent lassant de voir et revoir la même production. Dans le cas ce celle-ci, cela ne pose aucun problème, autant par la richesse de la mise en scène que par l'engagement des interprètes.