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VERDI, Messa da Requiem — Paris (Sorbonne)

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Spectacle
3 novembre 2022
Voyage au bout de l’Enfer

Note ForumOpera.com

4

Infos sur l’œuvre

Messa da Requiem

Composée par Giuseppe Verdi à la mémoire d’Alessandro Manzoni

Créée à Milan (Eglise San Marco) le 22 mai 1874

Version adaptée par Rafael Schächter (camp de concentration de Terezín, 1943)

Détails

Soprano

Camille Claverie

Mezzo-soprano

Marie Gautrot

Ténor

Sébastien Droy

Basse

Olivier Gourdy

Récitant

Pierre-Emmanuel Rousseau

Choeurs de Paris

Chef des choeurs

Till Aly

Piano

Paméla Hurtado et Frédéric Rouillon

Direction musicale

Salvatore Caputo

Paris, Grand Amphithéâtre de la Sorbonne, le vendredi 28 octobre 2022 à 20h.

Soirée introduite par Stéphane Lelièvre, maître de conférences en littérature française et comparée, INSPE de Paris – Sorbonne Université.

En novembre 1941, les nazis installent dans l’ancienne ville forteresse de Theresienstadt (en thèque, Terezín) un ghetto et un camp de concentration qui n’est pas à proprement parler un « camp de la mort », mais plutôt son antichambre. Sous le prétexte d’une « ville donnée aux Juifs par le Führer » (comme le prétend la propagande allemande), c’est une étape avant la déportation dans un camp d’extermination. Les premiers prisonniers sont des Juifs tchèques, puis allemands et autrichiens l’année suivante, hollandais et danois à partir de 1943, enfin toutes sortes de nationalités. Les camps de la mort étaient présentés comme des camps de travail. Terezín est officiellement une « villégiature » pour les Juifs âgés, malades, notamment des artistes et des personnes connues, juives ou non, tel le poète, journaliste et résistant Robert Desnos.

Cette étape intermédiaire vise également à masquer le projet nazi, du moins aux yeux de ceux qui ne veulent rien voir. Le Danemark, entre autres, s’inquiétant du sort de ses ressortissants, exige une visite de la Croix-Rouge. Celle-ci a lieu le 23 juin 1944, en présence d’Adolf Eichmann, et le camp est remis à neuf pour la circonstance, ce qui entraine l’envoi prématuré de 7 000 prisonniers vers Auschwitz afin de masquer la surpopulation initiale… Maurice Rossel, le délégué de la Croix-Rouge ne voit rien d’anormal : « J’étais chargé d’aller voir ce qu’on me montrait ». A l’occasion de cette inspection, un film de propagande est tourné, Theresienstadt. Ein Dokumentarfilm aus dem jüdischen Siedlungsgebiet (Theresienstadt. Un documentaire sur la zone de peuplement juif, également connu sous le titre Le Führer offre une ville aux Juifs). On organise un match de football, on donne une représentation Brundibár, l’opéra pour enfants de Hans Krása, qui y avait été créé quelques mois plus tôt au camp, et qui y connut cinquante-cinq représentations. Krása fut déporté l’année suivante à Auschwitz où il fut gazé dès son arrivée. On y donne enfin le Requiem de Verdi, la troisième représentation dans le camp. La première exécution a en effet eu lieu en septembre 1943. Rafael Schächter (1905-1944), un jeune chef d’orchestre roumain, a eu l’autorisation d’en monter une version réduite à une heure (il montera également La Flûte enchantée et Les Noces de Figaro). Il a recours à quatre choristes professionnels pour interpréter les rôles solistes et à cent-vingt amateurs pour le chœur. L’accompagnement est limité à deux pianos. A l’issue du concert, les cent-vingt participants seront déportés à Auschwitz et, pour la plupart, exécutés. Les responsables du camp exigent alors de Schächter qu’il organise une nouvelle représentation, à laquelle Eichmann lui-même assistera. Les exécutants seront également déportés dans les jours suivant le concert. Pour la visite de la Croix-Rouge, Schächter doit accepter d’organiser un nouveau concert : mais il implore de ne plus être séparé de ses artistes. Il sera exaucé puisqu’il sera déporté avec eux et mourra, soit durant le transfert vers Auschwitz, soit à son arrivée au camp.

Comme l’écrit Stéphane Lelièvre dans sa passionnante introduction au concert, « La présence de tant d’artistes eut sur la vie du camp des conséquences singulières : même si les conditions de vie y étaient absolument effroyables, même si Terezin était, en réalité, une « antichambre de la mort », la barbarie ne parvint jamais à réduire les artistes au silence : l’art, sous toutes ses formes, dessin, peinture, théâtre, écriture, musique (toutes les musiques), fit continûment entendre sa voix (…) L’Art s’exprima tout d’abord de façon clandestine. Il fut par la suite tour à tour interdit, toléré, encouragé, voire imposé lorsque les Nazis comprirent qu’il pouvait servir leur dessein : donner du nazisme, grâce à Terezín, une image acceptable, voire positive, censée apporter un démenti aux accusations et à la dénonciation d’un « meurtre de masse des Juifs » qui se firent jour, notamment à partir de 1942 ».

Non sans une terrible ironie tragique, quand on songe que les artistes chantent devant leurs bourreaux, ce Requiem débute directement par le Dies irae, suivi par le Liber scriptus (« On lira le Livre dans lequel tout est écrit, et le monde sera jugé. Quand le Juge siégera, tout ce qui a été caché sera révélé, rien ne restera impuni », puis le Lacrymosa (« Jour de larmes que ce jour-là, où l’homme coupable ressuscitera de ses cendres pour être jugé ») et l’Agnus Dei. Le Libera me clôt cette version et laisse un goût amer, presque surréaliste. Quelle liberté espérer en effet… Cette série de concerts a pu faire l’objet de quelques témoignages de la part de rares rescapés. Doug Shultz a ainsi réalisé un documentaire en 2012, Defiant Requiem. Précédemment, en 1963, Josef Bor publie un court récit, romancé : pour la présente exécution, des extraits en sont lus entre les différentes parties musicales, le rôle du récitant étant assuré par le metteur en scène Pierre-Emmanuel Rousseau, qui s’en acquitte avec une sobriété qui n’exclut pas une juste émotion. Ces extraits nous permettent de mieux nous pénétrer de l’atmosphère tragique et pesante qui règne dans la préparation et l’exécution de ce Requiem


La seule photo connue d’une exécution du Requiem de Verdi à Terezín, prise pendant la visite de la Croix-Rouge

Les parties dédiées aux voix masculines sont très limitées dans cette version et interprétées avec retenue par le ténor Sébastien Droy et la basse Olivier Gourdy. Les voix féminines sont davantage exposées. Les moyens du soprano Camille Claverie sont un peu en-dessous de ceux (importants) exigés par le rôle, mais son interprétation force le respect par l’émotion qu’elle sait transmettre. On appréciera le beau mezzo de Marie Gautrot ,au timbre charnu et à la musicalité impeccable. Aux pianos, les excellents Paméla Hurtado et Frédéric Rouillon déploient leurs talents pour compenser la richesse de l’orchestration originale où trompettes du Jugement dernier, tambour, cymbales, soulignent d’ordinaire les passages les plus dramatiques. Le Choeur de Paris, formation amateur, n’a pas la solidité de forces professionnelles, mais ce n’est pas ce qu’on attend de lui ce soir. Si certains pupitres forcent un peu leur voix dans les passages les plus tendus, les ensembles sont bien en place, malgré leur difficulté (la fugue finale par exemple) et il faut saluer le travail de leur chef, Till Aly. Le concert est impeccablement dirigé par Salvatore Caputo, à l’origine de ce projet. Egalement très ému à la fin de cette soirée hors du temp, il prendra la parole pour rappeler qu’à l’heure où la guerre résonne à nouveau aux portes de l’Europe, cet événement hors du commun est tout autant une commémoration d’un passé dramatique qu’un avertissement pour l’avenir. 

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Composée par Giuseppe Verdi à la mémoire d’Alessandro Manzoni

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Détails

Soprano

Camille Claverie

Mezzo-soprano

Marie Gautrot

Ténor

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Basse

Olivier Gourdy

Récitant

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