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Un jour, une création : 14 février 1922, ménage (artistique) à trois pour Zandonai

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14 février 2022
Un jour, une création : 14 février 1922, ménage (artistique) à trois pour Zandonai

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Quoi de plus naturel que de créer une nouvelle adaptation lyrique de Roméo et Juliette de Shakespeare le jour de la fête des amoureux ? Ce cliché facile pourrait en effet très bien coller à l’histoire de la genèse du huitième opéra de Riccardo Zandonai, Giulietta e Romeo, qui s’inscrit dans une longue lignée d’adaptations. Mais de quelle adaptation s’agit-il ? On sait parfaitement et depuis longtemps que l’histoire des amants de Vérone n’a pas été imaginée par Shakespeare ; sans même entrer dans la controverse autour de  l’existence du dramaturge anglais himself, qu’Alphonse Allais a si joliment illustrée (« Shakespeare n’a jamais existé. Toutes ses pièces ont été écrites par un inconnu qui portait le même nom que lui ! »). 

Comme Bellini ou Vaccai, Zandonai (1883-1944) puise plutôt aux sources de la légende héritée d’un mythe antique (Pyrame et Thisbé), en utilisant une de ses premières transcriptions, un roman posthume paru en 1530, Historia novellamente ritrovata di due amanti, con la loro pietosa morte, intervenuta già nella città di Verona nel tempo del Signor Bartholomeo della Scala, signé Luigi da Porto, qui décline ce mythe à travers sa propre expérience autobiographique : l’histoire de son amour impossible et un mariage dont ni sa famille, ni celle de son élue ne voulaient. Natif de Vicenza, il situe son histoire tragique à Vérone et nomme les amants Romeus et Giulietta. Quant au choix du nom des deux familles, da Porto connaissait bien son Dante, puisqu’il les emprunte au Chant VI du Purgatoire de la Divine Comédie (Montecchi e Cappelletti), qui ne dit en revanche pas un mot des deux amants.

C’est que Zandonai, né dans l’empire austro-hongrois à Rovereto (Trentin), cherche dans ses œuvres successives à puiser dans les sources de la culture italienne, dans une optique qu’on pourra qualifier de nationaliste si l’on veut, bien que Zandonai ne soit pas – et ne sera jamais – un affidé du parti fasciste, tout en ne refusant pas pour autant des postes officiels pendant cette période si sombre.

Il avait en effet quelques antériorités dans son souhait de vanter la culture italienne. Il suffit de ne citer que son chef-d’œuvre Francesca da Rimini, tiré précisément de la Divine Comédie de Dante. Tout comme il veut également rendre hommage à la tradition lyrique italienne et à ses devanciers compositeurs dans l’adaptation de l’histoire des amants de Vérone, qui avaient eux-mêmes adapté la source italienne et non sa déclinaison shakespearienne, Bellini, Vaccai, Marchetti ou Zingarelli. 

En 1916, Zandonai écrit donc à son ami Lino Leonardi qu’il souhaite composer un nouvel opéra sur les mêmes bases. Il semble que Leonardi lui conseille alors de se montrer prudent avant de s’attaquer à une œuvre de cette nature (Gardez moi de mes amis !), mais Zandonai est décidé. Le livret a déjà commencé à être rédigé par Giuseppe Adami, qui fait là quelques infidélités à Puccini, avec son collègue Arturo Rossato à partir, essentiellement, du roman de da Porto (par un curieux hasard, Rossato était d’ailleurs, comme l’auteur du roman précité, né à Vicenza). Mais les deux librettistes sont aussi compatibles qu’un guépard et une antilope. À force de conflits théâtraux et sonores, Adami claque la porte et Rossato terminera le livret avec l’aide d’un ami très cher de Zandonai, Nicola d’Atri. Ces trois là ne se quitteront plus. 

Zandonai termine la partition durant l’été 1921 et l’adresse, complète, aux éditions Ricordi à la toute fin de la même année. Elle n’a pas été pour lui un long fleuve tranquille. Le compositeur se montre hésitant, incertain. Il n’est pas toujours d’accord avec ses amis librettistes, mais le trio tient le coup jusqu’au bout. Zandonai est par ailleurs contrarié de ne pas pouvoir créer son œuvre au San Carlo de Naples, qui aurait eu sa préférence. Il doit se rabattre sur l’Opéra de Rome, qu’il n’aime pas et dont il critique volontiers le public conservateur et les administrateurs tatillons. 

Finalement, c’est le compositeur qui dirige in situ la création de sa partition, en trois actes et deux intermezzi, au Teatro Costanzi, devant un public romain bien plus enthousiaste qu’il ne l’aurait pensé. On le rappelle sur scène à chaque acte. Zandonai étant une star à l’époque, surtout depuis sa Francesca da Rimini, le « tout-Rome » est là, dont le jeune prince héritier du trône Umberto et sa sœur Mafalda.

Si la presse italienne se fait l’écho du triomphe remporté par l’opéra, la critique, elle, fait la moue. Elle se félicite généralement du retour de Zandonai à un style plus « italien », proche du dernier Verdi, plutôt que du wagnérisme. Elles saluent l’orchestrateur mais bombardent le narrateur, n’hésitant même pas à faire la leçon au compositeur pour récrire telle partie, voire en supprimer. Exemple avec Alberto Gasco, dans Il Giornale d’Italia, à propos du finale : «  Il faudra que Zandonai modifie substantiellement l’instrumentation de ce morceau. Il semble que le compositeur n’ait pas voulu décrire la cavalcade d’une seule personne mais une galopade bruyante de trois mille mulets. La scène finale du drame nous rappelle une atmosphère de paix triste et solennelle. La mélodie vocale reprend ses droits. Avant de mourir, Giulietta et Romeo se disent des  mots d’amour : cependant leur langage verbeux dépasse les limites du raisonnable. L’agonie de Romeo se déroule avec douleur, à cause de la très mauvaise qualité du venin qu’il a bu. Le chœur final Alva di Dio, luce di Dio est en soi intéressant mais il a l’effet ingrat de retarder la résolution de la tragédie. Une bonne coupe devrait remettre les choses à leur place. »

Ébranlé par ces critiques, un peu comme Bruckner, Zandonai va retoucher – sans refondre – sa partition plusieurs fois durant la décennie suivante. Son œuvre, cependant, va acquérir une grande popularité en Italie – où elle sera jouée presque chaque année pendant les 50 ans qui suivent –  et un peu partout dans le monde. Puis plus rien ou presque. Certains airs, pourtant, s’inscrivent au répertoire des artistes lyriques, comme celui de Roméo découvrant Juliette qu’il croit morte, à la fin de l’opéra. Voici donc « Giulietta, son io », ici chanté par un excellent interprète de Zandonai, Roberto Alagna, tiré de son disque récital Nessun dorma, avec Mark Elder et l’orchestre du Royal Opera House de Covent Garden.

 

 

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