Ce qui est agaçant avec un génie comme Rameau, c’est que l’on espère derrière toute exécution d’un ouvrage oublié ou négligé la révélation d’un chef d’œuvre. Flatter cet espoir en attirant les mélomanes curieux et avides est le stratagème adopté par bon nombre de maisons d'opéra. C’est de bonne guerre, et la simple redécouverte des Boréades en 1982 suffit à justifier la poursuite de l’exploration de l’œuvre du dijonnais. A défaut de révélation, ce Zaïs est une belle pépite. On la voit briller depuis longtemps dans le catalogue ramiste grace à sa célèbre et prometteuse ouverture avec ses éléments émergeant du chaos. Dès que Rameau invente, on s’excite. Mais le reste de la partition est-il aussi génial ? En 1977, Gustav Leonhardt en avait gravé une version aujourd’hui introuvable et l’on devait jusqu'à présent se contenter de suites orchestrales et d'airs enregistrés en récitals. Heureusement Christophe Rousset vient combler ce manque.
Julian Prégardien (Zaïs) fait ici son entrée dans la tragédie lyrique. Saluons d’abord la prononciation quasi impeccable et en tout cas toujours compréhensible, ensuite la qualité du medium et la légèreté de l’aigu piano qui fait tout le charme et la délicatesse de ses épanchements. Hélas, pour faire vivre le personnage d’un livret médiocre, il faudrait plus d’intelligence, plus d’intentions et moins de formules toutes faites (même si elles sont maitrisées). D’autant que la voix manque de déraper dès que le personnage quitte son tempérament élégiaque : les surprises ou les emportements frôlent les couacs, et les vocalises du grand air final manquent de souplesse et d’assurance. L’ensemble est néanmoins tout à fait honorable et son amélioration depuis le concert de Beaune sensible. A tout juste 30 ans on en connait peu qui font aussi bien.
En Zélidie, Sandrine Piau est à l’image de son personnage : constante. Depuis bientôt 30 ans qu’elle enchante le baroque français et italien, bien sûr l’aigu a perdu de sa résonnance et les vocalises se sont raidies, mais quelle précision toujours, quel engouement, quels raffinements qui n’ont rien d’automatique, quel naturel dans le dépouillement d’un « Coulez mes pleurs » ou dans la joie finale. Même quand elle ne chante pas, elle sourit à ses collègues. L’essentiel est toujours là : elle a su préserver sa fraicheur et l’intelligence de ses phrasés réussit, à elle seule, à émouvoir.
En Oromazès, « roi des génies élémentaires », Aimery Lefèvre se devait d’en imposer. Si le grave le trouve un peu court, l’essentiel de la tessiture sonne admirablement, même dans les moments où chœur et orchestre lui font concurrence. Ici aussi, le texte est parfaitement compréhensible. Il est en outre amusant de constater le tremblement de sa tête dans les forte, comme si toute sa colonne d’air venait chahuter son chef, exactement comme chez Sandrine Piau. Ce tremblement, on le trouve aussi chez Benoît Arnoult, Cindor impeccable mais qui gagnerait à plus de cynisme à l’acte I lorsqu’il vante les amours volages et à de plus grands contrastes entre ses assauts contre la fidélité de Zélidie et la défense de sa vertu auprès de Zaïs. Dans les petits rôles décoratifs, Amel Brahim-Djelloul et Hasnaa Bennani charment différemment. La voix de la première manque de brillance mais pas de sourire, et elle emporte l’adhésion par sa connaissance du style. C’est l’inverse pour la seconde : elle confirme tout le bien que l’on pensait d’elle après le Castor et Pollux du Théâtre des Champs-Elysées – voix ample, sonore, nuancée et aisée dans l’aigu, ne manque que plus d’assurance dans l’expression qui reste trop placide, défaut de confiance sans doute que l’expérience devrait combler. Enfin Zachary Wilder chante l’air du Sylphe de façon amusée, l’émission a quelque chose d’étrange mais qui ne manque pas de charme, même si l’aigu est clairement détimbré.
Le chœur de chambre de Namur n’appelle que des éloges, à l’unisson des Talens lyriques en grande forme. La grammaire rigoureuse et puissante de Rameau (comme celle de Leclerc) sied bien à la précision pointilliste de Christophe Rousset tandis que son orchestre gagne en souffle d’année en année délaissant le mécanisme qu’on a pu lui reprocher sans perdre de son exactitude.
Ballet héroïque en un prologue et 4 actes sur un livret de Louis de Cahusac.
Représenté pour la première fois à l'Académie Royale de Musique le 29 février 1748, repris le 23 avril de la même année.
La version jouée ici est celle d'avril 1748.
Enregistrement à paraitre chez Aparté.
Version de concert
Zaïs
Julien Prégardien
Zélidie
Sandrine Piau
Oromazès
Aimery Lefèvre
Cindor
Benoît Arnoult
Une Sylphide, La grande prêtresse de l'Amour
Amel Brahim-Djelloul
Amour
Hasnaa Bennani
Un Sylphe
Zachary Wilder
Choeur de Chambre de Namur
Direction Thibaut Lenaerts
Les Talens Lyriques
Direction musicale & clavecin
Christophe Rousset
Versailles, Opéra Royal
Mardi 18 novembre, 20h
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