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José Cura, le ténor qui est aussi chef d’orchestre, metteur en scène, décorateur, costumier, éclairagiste…

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Actualité
19 septembre 2016

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A partir du 23 septembre, José Cura sera Calaf à Liège, dans une Turandot dont il assure aussi la mise en scène et les décors.  Le ténor argentin ne se contente pas d’être l’Otello de sa génération, il est aussi chef, metteur en scène, et a bien d’autres casquettes encore. Et loin de se reposer sur ses lauriers, il relèvera de nouveaux défis au cours de la saisons 2016-2017


Dans la cohorte des ténors sud-américains, il en est plus d’un qui, l’âge venant ou les problèmes vocaux aidant, s’est plus ou moins timidement essayé qui à la direction d’orchestre, qui à la mise en scène ; il y en a même qui tentent de se métamorphoser en baryton. Pour l’Argentin José Cura, la polyvalence n’a pas attendu le nombre des années. En 2003, après une décennie de carrière de soliste, alors qu’il chante Canio dans Pagliacci à Hambourg, il descend dans la fosse pendant la première partie de la soirée et dirige Cavalleria Rusticana. En 2007, il aborde la mise en scène avec La Commedia è finita, une adaptation du diptyque Cav/Pag incluant du mime et de la danse. Et contrairement à d’autres, il s’attaque très vite à des opéras qu’il n’a pas interprétés : « Je n’ai jamais chanté Riccardo, mais quand j’ai monté Un ballo in maschera [en 2008 à Cologne] je ne me suis pas éloigné d’un certain style de musique que je maîtrisais ». Et très vite, ces trois casquettes ne lui suffisent plus, car non content de mettre en scène des opéras, il en conçoit aussi les décors, parfois aussi les costumes et même les lumières. C’était le cas pour La Bohème en novembre 2015, production désormais reprise récemment puisqu’elle appartient au répertoire de l’Opéra royal de Stockholm. « En fait, tout dépend du budget du théâtre ! Quand le budget est limité, et qu’engager un concepteur de costumes coûterait trop cher, je travaille directement avec les ateliers de costumes. Les artistes sont de grands enfants, ils ont toujours un grand besoin de rêver. En général, lorsqu’on me confie une mise en scène, j’essaye de concevoir également les décors, car il y a une logique, une continuité. Je n’aime pas l’idée de faire jouer les chanteurs dans un cadre que je n’ai pas imaginé moi-même : ça peut être très frustrant de vivre dans une maison conçue par quelqu’un d’autre. Alors je dessine mes propres décors, mais seulement après avoir d’abord créé tout mon spectacle dans ma tête. Une fois que j’ai conçu la mise en scène, je me demande comment je vais l’habiller. Je ne commence jamais par construire un décor pour me demander ensuite ce que je vais mettre dedans. Et bien sûr, il faut être conscient de ses limites, c’est pourquoi je suis secondé pour une équipe artistique. J’ai en particulier une assistante qui est architecte : moi je rêve, je fais des dessins, après quoi c’est elle qui transforme mes croquis en quelque chose de réalisable ».

Pour cette Bohème suédoise, José Cura a imaginé de situer l’action dans des décors inspirés des tableaux d’Edvard Munch, tandis que Rodolfo et ses amis devenaient Strindberg, Kierkegaard ou Grieg. Quel genre de surprise réserve-t-il au public belge pour son dernier projet en matière de mise en scène, Turandot à Liège ? « Comme toujours, je recherche un bon compromis esthétique entre la tradition et une certaine modernité. J’essaye de trouver un équilibre, un langage esthétique qui soit de bon goût sans paraître vieillot. Malheureusement, ces qualités-là ne vont pas toujours ensemble. La Turandot de Liège se terminera avec la mort de Liu : il ne s’agit pas d’un jugement sur la qualité de la fin écrite par Alfano, mais il est clair que le dernier duo est musicalement très agressif par rapport au reste de l’opéra, il a un caractère érotique très affirmé. De mon point de vue, l’œuvre bouscule beaucoup plus le spectateur lorsqu’on garde pour conclure cette confrontation entre le féminin et le masculin. Si on s’en passe, on termine de façon plus douce, et plus triste aussi : ça devient davantage comme une fable, et l’on sait que les fables finissent rarement bien. Alors quelle est la morale de cette fable ? Turandot demande à Liù : ‘Qui a mis une telle force dans ton cœur ?’ et Liù répond : ‘L’amour’. Et c’est ce qui m’a permis de concevoir un spectacle plus ancré dans une imagination d’enfant, sans l’agressivité sexuelle d’un monde adulte. Donc il y aura des enfants sur le devant de la scène, qui rêvent toute cette histoire, et dont le rêve sera comme amplifié, projeté sur le plateau, sans réalisme. Le jeu scénique même aura quelque chose de naïf. Un exemple : la garde de Turandot sera composée de six Ninjas. Je sais bien que les Ninjas sont japonais et pas chinois, mais quand j’ai raconté l’histoire de cet opéra à des enfants et que je leur ai demandé comment ils la visualisaient, ils m’ont tous parlé de Ninjas. Mais ce seront des enfants déguisés, qui ne font pas peur. Et il n’y aura pas de sang, tout ça restera un jeu d’enfants ».

Dorénavant, José Cura se partage entre ces trois activités principales. Tantôt il dirige l’orchestre et met en scène, comme pour La Rondine à Nancy en 2012, tantôt il chante et met en scène, comme pour Otello à Buenos Aires. « J’essaye de ne pas faire les deux, mais quand il s’agit d’une œuvre comme Otello ou Turandot, c’est presque logique que le théâtre me demande de chanter aussi, et c’est très difficile de dire : ‘Non, je ne fais que la mise en scène’. Pourtant, ce serait quand même mieux, car c’est épuisant, de combiner les deux. Surtout, il faut bien s’organiser, il faut être très bien préparé dans sa tête, pour passer ‘en mode chanteur’ à la dernière semaine de répétitions. A un moment donné, quand je vois que le spectacle tient dans la route, je décroche et je ne suis plus que chanteur. Normalement, quand il n’y a plus de problèmes techniques à régler, je ‘confie la clef de la voiture’ au chef d’orchestre ». On a parfois l’impression que, s’il le pouvait, José Cura combinerait les trois à la fois : il se mettrait en scène, chanterait sur scène et dirigerait l’orchestre. « C’est bien que les gens fantasment sur les artistes, qu’ils pensent à eux ! Il arrive qu’on me demande pourquoi je fais autant de choses, et je réponds toujours : pourquoi pas ? Tant que je fais preuve de professionnalisme et que le résultat est à la hauteur. Je pense qu’on ne doit pas chercher à enfermer les personnalités dans une boîte dont il est ensuite impossible de sortir. Chacun a le droit de faire des essais, de se tromper, de se casser la gueule et de redresser le tir ».

Par chance, José Cura ne semble pas s’être trompé souvent dans ses choix. Après avoir étudié la guitare et la composition dès son adolescence, et alors qu’il se destine au métier de chef de chœur ou d’orchestre, c’est presque par hasard, à 26 ans, qu’il découvre sa voix. Et c’est à trente et un ans, en 1993, qu’il fait en Italie ses débuts professionnels en tant que chanteur. Plusieurs rôles s’offrent à lui dans la musique du XXe siècle, qu’il ne pratiquera plus guère par la suite : le père dans Pollicino de Henze, son tout premier personnage, Jan dans Mademoiselle Julie d’Antonio Bibalo (Trieste, 1993) ou Albert Gregor dans L’Affaire Makropoulos (Turin, 1993, avec Raina Kabaivanska). « C’est vrai, j’ai très peu chanté la musique de notre époque. Ça me manque, en un sens, mais on peut comprendre les choix des théâtres : je ne peux pas leur dire que je viens chanter Œdipus Rex, par exemple ! C’est le prix à payer quand on est identifié avec certains rôles, avec un certain style de musique : les théâtres ne veulent plus vous engager pour autre chose. Quand je ne pourrai plus chanter Otello ou Calaf, je me lancerai peut-être dans la musique contemporaine. Je suis très curieux d’essayer, et en tant que musicien, ça me ferait beaucoup de plaisir ».

En effet, José Cura a eu la chance de trouver très vite son répertoire d’élection. En 1995, à Londres il remplace José Carreras dans Stiffelio (il chantait encore le rôle-titre en 2013 à Monte-Carlo), puis débute à l’Opéra de Paris en Ismaele dans le Nabucco donné en ouverture de la saison 1995-96. D’autres rôles verdiens s’ajouteront peu à peu : Don Alvaro, Manrico, Radamès, Don Carlo, et surtout Otello, personnage qu’il s’approprie pour devenir le Maure de sa génération comme Placido Domingo avait pu l’être vingt ans auparavant.

Pourtant, la rencontre avec Puccini sera au moins aussi marquante, sinon davantage. Tout commence par quelques raretés : la troisième version de La Rondine créée à Turin, Le Villi à Martina Franca, après quoi José Cura aborde un par un les grands rôles de ténor conçus par Puccini, de Rodolfo à Calaf en passant par Cavaradossi et Dick Johnson. En 1997, il enregistre pour son premier récital tous les airs de ténors pucciniens. En 1999, vient logiquement un album intitulé Verismo, puisque le ténor chante peu près les principaux rôles du répertoire italien des années 1870 à 1910 : Loris Ipanov dans Fedora, Osaka dans Iris, André Chénier, Turiddu et Canio, Paolo dans Francesca da Rimini, Ezio dans La Gioconda… José Cura compte aussi à son actif quelques rôles français, peu nombreux, mais assidument fréquentés, comme Samson, d’abord, puis Don José (qu’il chante deux saisons à Bastille). Plus épisodiquement, il a prêté sa voix à deux personnages de Massenet : Jean dans Hérodiade et le rôle-titre dans Le Cid.

En résumé, José Cura chante donc des œuvres majoritairement italiennes, composées entre 1850 et 1925. Il s’est essayé à Pollione, mais n’y a pas vraiment trouvé son compte. « J’ai chanté dans Norma, où le rôle du ténor est très confortable pour une voix comme la mienne, mais c’est un opéra qui ne me donne pas beaucoup de plaisir scénique. Je trouve le personnage statique, même si la musique de Bellini est incroyable. J’aime écouter ce style d’opéra, mais ça ne me donne pas énormément d’émotion en tant que chanteur. J’ai dit adieu au rôle en 2007 à Vienne, et je ne pouvais pas rêver mieux comme cadre, puisque j’avais pour partenaires Edita Gruberova et Elina Garanča ! Les gens ont beau vous dire que vous pouvez tout chanter, il y a certains rôles que, par honnêteté intellectuelle, je me refuse à interpréter ».

Mais alors, cela signifie-t-il que José Cura reste étranger à toute l’école allemande, contrairement à certains ténors sud-américains qui s’y sont essayés avec succès ? Dans une première interview accordée à Forum Opéra en 2007, il annonçait pourtant son intention d’aborder Parsifal en concert, en 2010. « J’avais accepté uniquement parce que je savais que j’aurais la partition sous les yeux, car l’allemand me fait peur, mais pour une version de concert, je pensais que je pourrais plus ou moins m’en sortir. Mais le concert a été annulé, hélas, car j’aurais beaucoup aimé m’essayer à Wagner dans ces conditions ». Heureusement, José Cura tient cette fois sa revanche, puisqu’il va enfin faire ses débuts wagnériens, et scéniques, dans un Tannhäuser en français à Monte-Carlo en février 2017. « C’est un rôle terriblement difficile, énorme, gigantesque, et j’avoue que j’ai une trouille horrible, mais si je devais l’interpréter dans une langue que je ne maîtrise pas, ce serait tout simplement impossible. Au moins, grâce à cette version en français, j’aurai chanté un Wagner ». Comment ce projet de Wagner en français a-t-il vu le jour ? « J’étais à Monte-Carlo pour Stiffelio, Jean-Louis Grinda rêvait de monter la version de Paris de Tannhäuser. Il me l’a proposé, et j’ai répondu que je voulais bien essayer. Et je pense que ça restera ma seule incursion dans ce répertoire, parce que c’est le seul Wagner qui a une existence légitime en français ».  

En fait, le problème ne semble pas seulement linguistique, car même avec la version française établie par Charles Nuitter, librettiste des Bavards et de Vert-Vert pour Offenbach, José Cura semble rencontrer des difficultés avec les divines longueurs wagnériennes. « Avec Tannhäuser, j’ai beaucoup de mal à gérer la situation. Je travaille énormément pour trouver un sens dans le jeu même du personnage, alors que la musique se déroule pendant des minutes et des minutes pour faire passer un message qui aurait pu être exprimé en trois secondes. Ça fait partie du style, de la rhétorique de Wagner, et c’est une musique magnifique, incroyable, mais pour quelqu’un qui est habitué au rythme de l’opéra italien et à un jeu ‘réaliste’, ça me fait beaucoup réfléchi, et je dois trouver un équilibre ».

Autre aventure dans laquelle José Cura se lance au cours de la saison 2016-2017 : un opéra en anglais, et du XXe siècle, qu’il chantera et mettra en scène. « Peter Grimes est le plus grand défi de ma carrière. J’ai toujours dit à droite et à gauche que je rêvais de le chanter un jour, les gens de Bonn ont dû lire ça dans une interview, et ils m’ont engagé. Et je vais aussi me charger de la mise en scène, car je n’ai pas pu résister à la tentation. Avec Britten, je dois presque commencer à zéro, surtout l’esthétique, la langue, la musique, et c’est très rafraîchissant au bout de trente ans de chant. Le livret est incroyable, la partition impressionnante, la cohésion entre musique et action est totale et je m’y sens bien plus à l’aise que chez Wagner. C’est un projet m’inspire beaucoup d’enthousiasme ».

Ces nouveaux personnages arrivent à pic car, avec le temps, il en est d’autres auxquels il faut savoir renoncer. « J’aime Rodolfo et Des Grieux, qui sont des rôles vraiment très beaux, difficiles mais très bien pour un ténor. Je prends beaucoup de plaisir à les chanter, mais je ne me trouve plus crédible à 53 ans dans la peau de Rodolfo. Les temps ont changé, on ne peut plus chanter Rodolfo à 60 ou 70 ans comme l’a fait Pavarotti. Avec lui, on fermait les yeux et on écoutait la beauté de cette voix incroyable ». Alors comment José Cura envisage-t-il l’avenir ? « La nature est la nature, on ne peut pas l’empêcher de continuer sa route, je ne sais pas jusque quand j’aurai la voix pour chanter. Un jour, je ne pourrai plus chanter certains rôles qui demandent une grande force physique, une certaine jeunesse, alors je privilégierai mon activité de chef, ou la mise en scène. Et je n’exclus pas du tout de chanter encore des tout petits rôles : je serai peut-être l’empereur dans Turandot ! L’essentiel est de s’être organisé, de ne pas faire ça uniquement pour l’argent. Il y a quinze ans, j’étais Turiddu dans Cavalleria Rusticana, et ma Mamma Lucia était Magda Olivero, une légende du chant ! »

Que reste-t-il désormais à explorer pour José Cura ? Quels seraient pour lui les rôles intéressants à apprivoiser ? « Ma carrière m’a permis d’aborder les personnages qui m’attiraient, qui me donnaient le plus de plaisir, ceux où j’étais le plus à l’aise, et où je pouvais offrir quelque chose d’intéressant au public. Quand on a la chance de compter en tant qu’artiste, on est toujours attendu au tournant, et il est essentiel de rester exigeant avec soi-même, de ne pas accepter de compromis. J’ai fait tout ce que je rêvais de chanter. Il me restait Peter Grimes, mais je vais le faire cette saison. Cela dit, il faut des années pour qu’un mûrir un rôle. J’espère que je pourrai interpréter le héros de Britten pendant pas mal de temps, car évidemment, en termes de maturité, ce premier Peter Grimes ne sera pas comme mon 250e Otello ! »

Propos recueillis le 9 septembre 2016

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