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Silvia Tro Santafé, de cuivre martelé

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Actualité
20 octobre 2016
Silvia Tro Santafé, de cuivre martelé

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Avouons-le, nous aimons beaucoup (trop ?) les mezzo-sopranos. En l’absence des castrats, nous sommes convaincus qu’elles sont les plus à même de restituer leur art, d’assumer leurs tessitures et de générer le même trouble, à de notables exceptions contre-ténoresques près. Cet amour des mezzo-sopranos dans le répertoire baroque nous rend particulièrement sympathiques, voire fascinantes, des chanteuses que certains considèrent comme des « braillardes ». A chacun sa préférence pour les bois ou pour les cuivres. Silvia Tro Santafé pourrait être un hautbois auquel des sentiments extrêmes confèrent des sonorités de trompette.

Dans les moments de tendresse, son timbre, d’une proximité troublante avec celui d’Agnès Baltsa, teinte sa voix d’une couleur douce et coulante comme du caramel. Mais ce sont les éclats triomphants des cuivres qui viennent habiller la rage ou l’angoisse de ses personnages. Cette métaphore instrumentale se justifie aussi par un vibrato, croissant avec l’intensité de l’affect exprimé. On a le sentiment que la voix résonne contre les parois d’un conduit martelé, ce qui rend ses performances encore plus frémissantes. A tel point que, même dans l’élégie, son chant n’apparaît jamais totalement lisse. Par ailleurs, elle sait tenir, avec beaucoup de rigueur, une ligne qui lui sert de filet de sécurité pour caracoler au delà de la portée. L’aigu est à ce titre très excitant, car il excède l’ambitus d’une voix très centrale, même s’il faut reconnaitre qu’il est très détimbré. Autre ombre au tableau, l’actrice est assez maladroite et requiert un bon metteur-en-scène qui sache lui donner les gestes faisant écho à sa vocalité féroce. Il serait cependant faux de prétendre que son expressivité est débridée. Tout son charme tient justement dans cette tension entre une voix qui semble vouloir ruer, exploser et une artiste qui tient les rênes avec beaucoup de science et une intelligence remarquable de ses effets. C’est sans doute ces qualités qui en font aujourd’hui une interprète de choix des seconda donna du belcanto tardif. Le plus clair de sa carrière actuelle la voit briller dans Rossini, Bellini et Donizetti. En témoigne la sortie prochaine en DVD de Roberto Devereux capté en 2015 à Madrid par BeAir Classiques. Nous allons nous intéresser à une autre facette de son répertoire, que l’on espère pas totalement abandonnée, lorsqu’elle abordait des œuvres des XVIIe et XVIIIe Siècles.

Comme beaucoup de parisiens, c’est à la faveur d’un remplacement que nous l’avons découverte. Au pied levé, elle reprenait Ruggiero dans une version de concert d’Alcina donnée au Théâtre du Châtelet sous la direction de Christophe Rousset. En 2005, alors que le partage en ligne de retransmissions n’était pas très développé, autant dire que l’on n’hésitait pas à confier ce rôle délicat à une parfaite inconnue du public. L’étonnement fut d’autant plus grand : la voix très sonore et puissante dans ce répertoire, transfigurée par l’audace venue pallier le manque de préparation, fit vite oublier quelques effets hors-style et aigus caquetés. Ajoutez à cela des Talens lyriques proprement déchainés, et vous obtenez une performance historique. Ruggiero, dont toutes les interventions sont d’une délicatesse infinie et qui ne cède à la virtuosité brillante que dans son dernier air, est une entrée en matière idéale pour découvrir Silvia Tro Santafé. Elle sait en effet se montrer aussi bien caressante que sauvage, telle la tigresse pourchassée décrite dans « Sta nell’ircana ». Et elles sont rares celles qui chantent « Mi lusinga il dolce affetto » de façon si incarnée : écoutez comme ses vocalises parfaitement exécutées échappent à toute mécanicité, on entend littéralement Ruggiero soulever sa poitrine oppressée pour pouvoir émettre les doux mélismes dont il se berce trompeusement.

Autre occasion d’admirer sa finesse belcantiste, l’interprétation d’Amastre dans le Serse de Handel, l’un de ses rares témoignages publiés en disque. Elle affronte l’air retenu ici avec une franchise roublarde qui ne renonce pas à la précision et contraste merveilleusement avec la guillerette ironie des traits de violons.

Les amateurs de voltige et voltages angoissés se jetteront sur le DVD de la trop rare Deidamia, donnée à Amsterdam. Dans le superbe « No ! Quella belta non amo », Ulysse semble à nouveau repousser les avances des sirènes et hésite à grand coup de vocalises entre sa raison et son désir. Malgré une mise-en-scène plus soucieuse de gags que de justesse psychologique et un costume qui la fait ressembler à Marvin le martien, Silvia Tro Santafé chante avec hargne la déchirure d’un héros schizophrène, auquel ne manque qu’un peu plus d’abandon.

Evidemment la démesure  d’une telle voix sied autant aux héros qu’aux vilains. En voici un des plus connus, Tolomeo, frère de Cléopâtre, toujours chez Handel. Sortir ce rôle des ornières queero-lascives dans lequel on le fait souvent patauger est déjà louable. Lui donner toute sa mesure d’adolescent ambitieux, instable et néanmoins à même de se confronter à rien moins que César, est encore mieux. Même si on peut reprocher à Silvia Tro Santafé de ne pas avoir une voix très androgyne, on reste admiratif de la façon perçante, sans être excessive, qu’elle a de lancer ses imprécations, sur un ambitus que la plupart de ses collègues refusent au Lagide.

Retour aux héros, avec le plus flamboyant d’entre eux : Rinaldo. Les choix souvent contestables de René Jacobs dans cette partition de Haendel sabotent certains de ses airs, notamment un « Or la tromba » au tempo français qui étouffe le morceau dans un corset rythmique incompréhensible. Heureusement pour le « Venti turbini », le chef a choisi de porter sa chanteuse sur les cimes de la virtuosité grisante. On l’entend certes mordre son frein dans la partie intermédiaire, mais la partie principale voit une tornade dialoguer avec basson et violon dans une assomption rythmique tempétueuse.

Après de tels emportements, on peine à l’imaginer en rusée domestique. Elle se montre cependant très fraiche et vive en Lisetta du Mondo della Luna d’Haydn, faisant preuve d’un sens comique et théâtral certains, qui doit beaucoup à la direction d’acteurs de Karoline Grüber. Elle est délicieuse dans « Una donna come », une aria où le personnage vante pieusement ses qualités féminines, amour, fidélité et charité… tout en vidant un poulet avec une allégresse paysanne.

Plus récemment, les barcelonais ont eu la chance de l’entendre chanter Cecilio dans le Lucio Silla de Mozart. Oubliez les a priori que vous pourriez avoir sur ce personnage : un garçon à la voix bucolique auquel le divin Mozart prête des accents éthérés. Cecilio est ici un jeune homme bien incarné avec des graves qui révèlent un trouble abyssal et des vocalises agitées, paraissant instables et précaires alors qu’elles sont tenues au cordeau. Le contraste avec l’orchestration galante n’en est que plus fertile. Et toujours ce phrasé très dramatique et net, par exemple sur ces « pensier » tantôt étranglés par l’effroi, tantôt rassurés.

Pour finir, on vous conseillera un petit tour vers son Eliogabalo de Cavalli : alors qu’on le donne en ce moment même à l’opéra Garnier, elle incarnait déjà il y a 12 ans l’empereur décadent à Bruxelles. Son recitar cantando est d’une expressivité dévorante qui convaincra tous ceux qui craignent un XVIIe chichiteux chanté sur la pointe des pieds. Et pour les amateurs de clairon, laissons-nous aller à écouter la dame dans un Rossini, rare de surcroit: L’Equivoco stravagante et le rondo survitaminé de son héroïne Ernestine. Elle y alterne entre satisfaction apaisée de voir ses peines terminées (elle qu’on accuse d’être un castrat déguisé en femme pour échapper au service militaire) et « Viva la guerra ! » furibonds en chœur avec des soldats napoléoniens.

Vous pouvez suivre l’actualité cuivrée de Silvia Tro Santafé sur son site web: www.silviatrosantafe.com

DISCOGRAPHIE

2003
SCARLATTI A., Griselda – Jacobs (Harmonia Mundi)

2004
HANDEL, Serse – Christie (Virgin Classics)

2009
ROSSINI, Mezzo scenes & arias – Reynolds (Signum classics)
Récital Spanish heroines  – Reynolds (Signum classics)

2010
DONIZETTI, Lucrezia Borgia – Yurkevych (Nightingale)

2012
ROSSINI, Aureliano in Palmira – (OperaRara)
HANDEL, Deidamia – Bolton (DVD Opus Arte)
MASSENET, Don Quichotte – Minkowski (DVD Naïve)

 

Live diffusés uniquement à la radio/télévision

CAVALLI, Eliogabalo – Jacobs (Bruxelles 2004)
CONFORTO, La Festa Cinese – Biondi (Montpellier 2005)
DONIZETTI, Anna Bolena –Barbacini (Dortmund 2009)
DONIZETTI, Lucrezia Borgia – Reynolds (Bruxelles 2013)
DONIZETTI, Linda di Chamounix – Armiliato (Barcelone 2011)
HANDEL, Alcina – Rousset (Paris 2005)
HANDEL, Giulio Cesare – Minkowski (Amsterdam 2001)
HANDEL, Rinaldo – Jacobs (Berlin 2003)
HAYDN, Il Mondo della Luna – Jacobs (Innsbruck 2001)
MOZART, Lucio Silla – Bicket (Barcelona 2013)
ROSSINI, Il Barbieri di Siviglia – Armiliato (Vienne 2005)
ROSSINI, La Cenerentola – Minkowski (Bruxelles 2008)
ROSSINI, La Donna del Lago – Frizza (Lisbonne 2005)
ROSSINI, L’Italiana in Algeri – Zanetti (Berlin 2005)
ROSSINI, L’Equivoca stravagante – Zedda (Berlin 2005)

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