A C T U A L I T E (S)
 
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Entretien avec Marie-Nicole Lemieux

8 Novembre 2004


(Marie-Nicole Lemieux)
Orlando, c'est moi !

Propulsée sous les feux de la rampe en 2000 avec sa victoire au prestigieux Concours Musical International Reine Elisabeth, la jeune contralto Marie-Nicole Lemieux s'est lancée depuis dans l'une des aventures lyriques les plus excitantes du siècle : la redécouverte des opéras de Vivaldi. Cet automne, sous la conduite électrisante et jubilatoire de Jean-Christophe Spinosi, elle prêtait ses couleurs moirées et son tempérament exceptionnel à la résurrection de La fida Ninfa, avant de reprendre le rôle-titre d'Orlando Furioso, chef-d'oeuvre absolu, mais réputé inchantable, dont Opus 111 vient de publier un nouvel enregistrement. Dans la foulée, un récital de lieder de Brahms paraît également chez ANALEKTA, histoire de rappeler l'éclectisme gourmand de la chanteuse qui ne saurait se cantonner à un répertoire. Rencontre avec une personnalité hors du commun, au franc parler rafraîchissant et au rire inextinguible, mais singulièrement lucide et réfléchie.

Un timbre de contralto, déjà rare en soi, avec en prime un large ambitus couronné d'aigus brillants, c'est un don qui se mérite ?

Qui se travaille ! (Rires). Pour le mériter, il faut le travailler. Quand je suis arrivée chez mon professeur, il n'a pas été décidé comme ça que j'étais alto. J'avais un timbre intéressant, la musicalité était là. Mais je me rappelle très bien que je formais le son, je l'assombrissais volontairement, sans que je ne m'en rende compte. Nous avons travaillé l'égalité du son, la simplicité, la vraie nature du timbre, sans l'assombrir, ni l'éclaircir, ce qui demande beaucoup de travail. Vous parliez de l'ambitus et bien justement, le préjugé à propos du contralto, c'est qu'à partir du fa, du fa dièse, l'aigu soit petit et coincé. Or, le fait que la voix soit naturelle, comme un instrument, égale partout, libre, me permet d'avoir un fa, un sol très à l'aise, très dégagé. Cela en surprend plus d'un, on me dit alors : "Vos aigus sont bons, donc vous êtes mezzo". Tant mieux si mes aigus sonnent bien, mais je n'ai pas encore ceux d'un mezzo...

Qui a besoin de si...

Tout à fait, qui en vocalise doit avoir un contre-ut, mais aussi un superbe si bémol. Et j'en suis loin, peut-être que j'y arriverai un jour, je n'en sais rien.
Tout ce que je sais, c'est que maintenant je cultive la voix comme elle est, j'essaie qu'elle soit saine, égale, cette technique me permet aussi de faire plus de couleurs, parce que je ne suis pas emprisonnée dans une façon d'émettre le son [Et d'imiter un contralto qui poitrine outrageusement et noircit son timbre] pour bien sonner comme un contralto. Je peux faire plein de couleurs et m'amuser ! 

Comme dans le récital Brahms que vous avez enregistré cet été ? 

Oui, parce que Brahms n'est pas seulement dur, il y a beaucoup d'argent - parfois je vois des couleurs - l'argent, le mauve (la couleur de la mort), le doré aussi dans l'opus 91[ Zwei Gesänge], le premier est très doré, l'autre... c'est comme du cachemire ! [Rires]

On sait que vous aimez beaucoup chanter la Rhapsodie pour alto, mais comment est né cet album ? 

J'ai toujours aimé Brahms, j'avais par exemple déjà donné Les Quatre Chants sérieux en tournée avec les Jeunesses Musicales, vingt-sept fois pour être précise. Je les ai beaucoup mûris, ça restait un rêve de les graver. Je devais faire un tout autre programme avec orchestre, mais le projet est tombé à l'eau. Analekta voulait toujours que je sorte un disque, c'était pour moi la meilleure occasion d'insérer mon programme Brahms, qui pouvait être prêt dans les temps. J'avais donc souvent fait et refait l'opus 91 et les Chants sérieux, j'ai voulu ajouter des cycles complets : j'ai eu un coup de foudre pour l'opus 86, écrit pour voix grave, puis j'ai choisi l'opus 69, très éclectique, éclaté, du jeune Brahms avec des textes bohémiens, espagnols, slovaques, etc., un multiculturalisme qui offre autant de possibilité de couleurs et de personnages et apporte une touche plus légère au disque, dont le fond est plus sombre.

Le répertoire d'alto peut sembler de prime abord assez limité, mais le "baroque" n'est-il pas une vraie mine d'or pour une voix comme la vôtre ? 

Tout à fait. Je vous avoue que je connaissais mal le répertoire vocal de Vivaldi - évidemment j'ai fait le Stabat Mater, c'est une pièce qui me berçait depuis mes débuts au conservatoire [Voir discographie] - mais je ne connaissais pas ses opéras. C'est avec Jean-Christophe [Spinosi] que j'ai découvert son univers lyrique, qui finalement me touche beaucoup. J'ai eu de la chance de le découvrir avec Jean-Christophe, qui a compris, je crois, Vivaldi. Chez Vivaldi, une pièce peut-être vraiment inintéressante et ennuyeuse, du moins, quand on la lit froidement, on peut se dire : "Mais il n'y a rien là-dedans !" Mais si on cherche et si on trouve le fil conducteur, ça peut devenir génial. C'est extrêmement stimulant de se dire : voilà une pièce, qu'est-ce que Vivaldi a voulu dire ? C'est vraiment un coup de foudre ! Sans parler des rôles cadeaux que Haendel a écrits pour les contraltos, de Bach : être l'alto dans la Passion selon saint Matthieu, mais c'est le bonheur, ce sont les plus beaux airs ! C'est un immense répertoire, c'est vrai que par comparaison, Verdi et Puccini... Puccini nous a un peu oubliés, tant pis pour lui ! [Rires].

Le rôle d'Orlando est tout de même ardu et colossal. Comment l'avez-vous abordé ? 

C'est vrai. D'abord, il faut situer le contexte : ce fut quasi un remplacement de dernière minute, à trois semaines du concert. Je devais faire Bradamante, ce qui était déjà pas mal, on m'appelle et on me dit : "Voulez-vous prendre Orlando ?" J'ai répondu oui, tout énervée, j'ai regardé la partition et j'ai dit oui, c'était un premier rôle. Après, je me suis demandée ce que j'avais fait.
J'ai rappelé et j'ai dit : "je refuse", on m'a dit non, qu'il fallait qu'on discute, et on a discuté [Rires]. Finalement, je l'ai fait. Premier point positif du rôle : Orlando a, au début, trois airs ; deux sont les plus beaux de l'opéra, c'est un cadeau, d'autant qu'ils sont, vocalement, bien écrits. Mais après, il n'y a plus d'airs pour Orlando, et c'est toute l'intelligence de Vivaldi : la folie s'installe, la douleur, les déchirements, pour lesquels il a écrit des scènes de récit entrecoupées d'ariosos avec orchestre, c'est donc excessivement théâtral. Face à ce récitatif, le défi est là : il faut l'être, fou, il faut devenir fou et le transmettre dans la musique, il faut jouer, sinon, si on ne le vit pas, le public s'endort, car l'oeuvre peut alors être d'un ennui mortel. En même temps, en n'écrivant plus d'airs, Vivaldi laisse au chanteur la possibilité de jouer à fond la folie, il faut qu'il devienne fou et, en même temps, que cela soit contrôlé, coordonné avec l'orchestre, le chef... C'est superbement écrit, mais si ce n'est pas mis en place, ça tombe... C'était ma peur, il fallait qu'on travaille et que j'ai la même idée que le chef : pour les récits, il faut savoir où on s'engage tous les deux. Ca devait peut-être arriver, c'est peut-être le destin, mais je suis tombée sur Jean-Christophe Spinosi : c'est comme si c'était mon jumeau musical, on pense la même chose, on a la même vision ! Il m'expliquait "Je vois les choses comme ça", je chantais, et il me disait : "C'est exactement ça". C'est évidemment précieux. Je ne suis pas seule, nous sommes deux Orlando. Jean-Christophe devient aussi fou que moi, c'est très fort. C'est pour ça que j'ai pu le faire avec lui.

Le fait de succéder à Marilyn Horne vous a-t-il intimidée, stimulée ? 

Un mélange des deux, mais j'ai essayé de ne pas trop écouter son enregistrement. Je l'ai écouté une fois, sans les récits, parce que je voulais avoir mon univers. Je les ai écoutés après, j'ai vu le DVD aussi. C'est intimidant et ça ne l'est pas, j'essaie de ne pas y penser. Je respecte beaucoup Marilyn Horne, mais je crois que nous sommes très différentes dans notre approche musicale, dans notre vision. C'est très bien comme ça. On sait le travail fou qu'elle a fait pour le baroque ; mais c'est aussi mieux pour moi, d'un autre côté, que cet opéra n'a jamais été repris depuis, il y a moins de comparaisons possibles [Sourires].

L'ouvrage est tellement riche et beau, nous pourrions en avoir trois, quatre versions...

Il y a plein de visages de la folie, on a aussi des milliers de versions de Giulio Cesare, mais ce n'est pas grave, chacune apporte quelque chose. L'important, c'est de faire connaître cette oeuvre qui est superbe et très complète : il n'y a pas un personnage noir ou blanc, tous sont complexes et se développent. Tous les personnages changent leur vision des choses, c'est formidable ! Par exemple Alcina : au début, elle incarne la dame, fière, mais elle se détruit progressivement. Elle a un des plus grands airs de l'opéra, Così potessi anch'io : là on la comprend, pendant huit minutes, on voit que, au fond, c'est une femme âgée, qui est juste amoureuse de l'amour, qui veut aimer encore. On voit toute la tristesse de cette femme qui fait boire des poisons, qui ensorcelle les hommes pour qu'ils soient amoureux d'elle et, le pire, c'est qu'elle y croit ! Ca me donne la chair de poule, c'est tellement actuel : combien de femmes se font remonter le visage, gonfler les seins pour que leurs maris les regardent encore, elles savent très bien qu'ils les regardent juste parce qu'elles se sont fait remonter le visage, mais elles y croient en même temps. Ce sont des sentiments universels et intemporels. Orlando, lui, incarne l'homme convaincu de sa force [Marie-Nicole Lemieux gonfle les biceps], excessif, qui croit que tout l'univers lui appartient, qui aime, qui aime tant, c'est un gourmand de la vie, qui a une confiance aveugle en la vie et une vision manichéenne du monde. Son Angelica, s'il l'aime, c'est parce qu'elle est divine, c'est la meilleure, la plus fine. Il se fait trahir et sa réaction ne peut qu'être excessive, proportionnelle à la dimension du personnage : il se détruit complètement et, dans sa détresse, il détruit aussi le pouvoir d'Alcina, mais sans s'en rendre compte. C'est très intéressant, sans parler des autres personnages, qui évoluent aussi.

On peut dire que c'est une oeuvre qui nécessite plusieurs lectures ? 

Oui, tout à fait, il y a même des musiciens de l'orchestre qui disent qu'ils ne comprennent toujours pas [Rires].

Parmi les voix graves féminines que le Canada nous a révélées, figurent Huguette Tourangeau et Maureen Forrester. Vous ont-elles, d'une façon ou d'une autre, influencée ? 

Maureen Forrester, oui, c'est vraiment une de mes idoles. Ses premiers enregistrements m'ont vraiment marquée : quand je l'ai entendue pour la première fois, je me suis dit que c'était comme ça que je voyais la musique.

Dans quelle oeuvre ? 

Un Orfeo, la version française de 1762, mais en fait un mixte des versions italienne et française, comme on le faisait à l'époque. Après, ce fut un disque avec, sur une face, les Quatre Chants sérieux de Brahms et sur l'autre, les Wesendonck-Lieder avec piano, ces derniers sont des bijoux. J'ai ensuite été bercée par la cantate 54 de Bach, avec un orchestre tchèque. Quand j'ai découvert ça, j'ai été deux jours sur mon petit nuage ! Sinon, pour moi, il y a son Chant de la Terre avec Fritz Reiner... Je l'écoutais et je me sentais proche de cette voix, comme avec Christa Ludwig. Ce n'est pas de la prétention, mais je me retrouve dans ce genre de voix-là, alors que je ne me sens pas du tout dans la vocalité de Kathleen Ferrier, que j'aime bien par ailleurs. Je me reconnais dans ces voix-là, je me sens des affinités avec ces deux chanteuses. Je n'en parlais évidemment pas à mon professeur, puis un jour, elle m'a dit que je lui rappelais Maureen Forrester, avec évidemment d'autres qualités, en indiquant que ma voix tendait vers le contralto. Cela faisait un an et demi qu'on travaillait ensemble. Maureen Forrester m'a beaucoup influencée par sa musicalité, ses interprétations m'inspirent toujours. Ce sont des gens humbles par rapport à la musique, mais qui la chantent vraiment, qui la vivent. Il y a aussi un vieux microsillon avec les Zigeunerlieder et les Frauenliebe un - leben, superbe ! Dans ces années-là, les années 60, tout ce qu'elle a fait est beau, je n'ai rien à redire [Rires].

Certaines de vos consoeurs n'hésitent pas à quitter à une production parce qu'elles sont en désaccord avec la mise en scène, voire avec la direction musicale...

Des fois, elles sont aussi carrément mises à la porte, parce qu'elles n'ont pas le physique du rôle, par exemple Deborah Voigt [Rires et moue réprobatrice]...

De manière fort peu élégante, effectivement ; vous vous dites justement la jumelle musicale de Jean-Christophe Spinosi, imaginez que vous tombiez sur votre contraire, sur ,votre antithèse musicale, comment réagiriez-vous ? 

Je m'adapte, c'est la magie de la musique. Je me considère surtout plus comme une instrumentiste que comme une chanteuse. Je vais essayer jusqu'au dernier retranchement de trouver le fil conducteur. Ca ne m'est jamais arrivé que cela ne fonctionne vraiment pas avec un chef.

Et avec un metteur en scène ? 

Non plus. C'est arrivé une fois avec une assistante metteur en scène. Non, au départ, si le metteur en scène trouve que mon physique ne convient pas, il n'a qu'à le dire et faire en sorte que je ne sois pas engagée. Je n'ai pas encore fait beaucoup d'opéras, mais j'essaie, pour la mise en scène, d'être hyper ouverte. J'aime jouer, j'aime devenir, c'est pour ça que j'adore le récital, parce que j'ai plein de personnages. J'adore jouer, je n'ai pas de pudeur et je me lance. Je peux aller très loin, vraiment très loin quand on me fait confiance.

Quel regard portez-vous sur le microcosme lyrique, ses controverses autour de metteurs en scène à la mode ou de directeurs, la médiatisation et la starification, de plus en plus fulgurante, des chanteurs ?

Ce sont moins les chanteurs que les metteurs en scène qui sont des stars, c'est ce que je vois en tout cas. Mais je suis très contente de voir qu'il y a encore des chanteuses stars : je suis ravie que Bartoli, Fleming soient des stars, parce que cela veut dire qu'on parle de la musique.

Mais l'opéra n'est-il pas aussi, comme la variété, victime du marketing qui fabrique de toutes pièces des stars ?

C'est le danger, oui. Mais, dans les années 60, l'espèce de rivalité que l'on a créée entre Callas et Tebaldi, a servi le monde de l'opéra. C'est vrai que les gens étaient sans doute plus intéressés par le personnage de Callas que par la musique, mais cela a quand permis de faire connaître Tosca ou Norma. Je trouve que c'est bien que des gens aujourd'hui encore aient la Tosca, la Norma de Callas, parce qu'elle les touche. C'est ainsi qu'ils peuvent découvrir la musique. Cela ne me dérange pas, il faut parler de la musique, c'est par la démystification qu'on peut sauver la musique classique. C'est aussi en allant vers les jeunes, dans les écoles, pour leur parler. Nous, les chanteurs d'opéra, nous ne sommes pas des snobs. La plupart sont extrêmement sympathiques, extravertis. On n'en parle pas assez ! [Rires].

Nous parlions de Brahms tout à l'heure, vous allez chanter dans quelques jours Les Nuits d'été de Berlioz. Reynaldo Hahn est aussi à l'affiche de certains de vos récitals. Avez-vous plus d'affinités avec le lied ou avec la mélodie ?

Les deux. Les deux langues que je préfère chanter sont le français et l'allemand, vraiment, l'italien vient après le russe [Rires]. Cela surprend bien des gens. La mélodie et le lied ont la même importance à mes yeux, j'adore chanter Duparc.

C'est votre Brahms français ?

Tout à fait ! Et Berlioz est mon Wagner français ou plutôt non, Wagner est mon Berlioz allemand, parce que Berlioz l'a précédé. Quand on écoute Roméo et Juliette, c'était avant Wagner, mais Berlioz a été un incroyable visionnaire.

Et c'est aussi sensuel que la musique italienne...

Non, pour moi c'est aussi sensuel que Wagner, sa musique est excessivement sensuelle, excessivement, je ne trouve pas la musique italienne tellement sensuelle, ce n'est pas comme ça que je la vois. C'est drôle, non ? Quand je chante Brahms, Duparc ou Berlioz, je le vis extrêmement sensuellement. Wagner, pour moi, est vraiment hyper sensuel, c'est l'acte d'amour, par exemple, le prélude de Tristan et Yseult, la fin du Götterdämmerung, c'est très physique.

Peut-on dire que la musique vous aide à vivre, pleinement, à vous réaliser ?

Je ne pourrais pas vivre sans musique. Je suis contente de la carrière que j'ai, mais je suis aussi consciente que c'est éphémère. Même si je ne pouvais pas poursuivre cette carrière, je chanterais, de toute façon, je serai dans des choeurs, je dirigerais une chorale. C'est vraiment un besoin. Quand cela fait trois semaines que je ne chante pas, j'étouffe. Quand je chante la Rhapsodie pour alto, Les Nuits d'été, surtout des oeuvres très lyriques, j'ai l'impression que là enfin je respire, et je me sens directement connectée avec la terre, les pieds ancrés dans le sol. 

Si vous pouviez rencontrer un compositeur, quel serait votre choix ?

N'importe lequel ? Je n'oserais même pas lui parler, mais il faudrait que je le voie : Mahler. Je l'aime énormément... Juste le voir.

Quel rôle, quelle partition rêvez-vous d'interpréter un jour ?

Sans limite, le rêve absolu ? 

Oui ? 

Isolde. C'est pas gagné du tout ! [Rires]

En tant qu'artiste, vous sentez-vous investie d'une mission, d'un rôle particulier dans la société ? Vous sentez-vous dans la réalité ?

Oh oui ! Le fait de savoir que le métier est éphémère vous permet de rester les pieds sur terre. Il faut savoir que quand vous chantez, ce n'est pas la fin du monde. Vous n'allez pas faire souffrir la moitié de l'humanité parce que vous donnez un concert ! Je crois, d'après ce que je vois, que tout ce que je peux faire, c'est soulager, j'essaie de donner pour un peu soulager, un peu, même une seule personne. Comme citoyenne, avec ma musique, c'est tout ce que je peux faire. C'est terrible en même temps, car je me dis parfois que ce sont des plaisirs coupables : on soulage, mais on a du plaisir à donner, les gens vous disent merci, mais merci aussi de me laisser chanter ! Les gens ont du plaisir à voir que vous avez du plaisir. C'est fou !

Si vous n'étiez pas musicienne, que seriez-vous ?

Animatrice, probablement dans une émission de radio : avoir des invités, discuter, poser des questions. A une époque, si je n'avais pas eu le chant, j'aurais aimé être optométriste, dans les sciences... Mais j'aimais trop parler. Animatrice, j'aurais aimé ça. Ou agent d'immeubles [Rires]. Parce que j'adore les maisons, les visiter.

Quels sont les projets les plus excitants qui se profilent à l'horizon ? 

Mes débuts au Staatsoper, dans Le Retour d'Ulysse, et à la Monnaie, dans le Couronnement de Poppée, avec Jacobs, en 2006. Des nourrices (Ericlea et Nutrice), mais j'aime mieux commencer par de petits rôles. Je n'ai pas encore chanté à la Monnaie, sur scène du moins. Il y a d'autres projets dans l'air, des Geneviève, Les Troyens (Anna), Orfeo, Rodelinda (Eduige) à Toronto.

Et au disque ?

C'est en discussion. Il y a des Passions et des Messes. Je suis chanceuse. On me laisse attaquer sur tous les fronts. [Rires].

Et le répertoire russe ?

Oui, j'aimerais drôlement chanter La Dame de Pique (Paulina), Eugène Onéguine (Olga), l'opéra russe fait aussi partie de mes projets. Alexandre Nevsky aussi. Le répertoire russe, c'est un autre volet de ma personnalité [Rires]. J'aimerais beaucoup aussi faire un disque de mélodies russes.

A ce propos, n'avez-vous pas déjà chanté avec Ewa Podles, qui se consacre aussi à ce répertoire ?

Oui, dans Giulio Cesare, elle chantait le rôle-titre et j'étais Cornelia, il y avait aussi Daniel Taylor, en Tolomeo, Isabelle Bayrakdarian, en Cleopatra... Je suis supposée rechanter avec Ewa Podles d'ailleurs. Nous sommes deux contraltos, mais c'est la rencontre de deux univers parallèles. C'est vraiment autre chose, un vrai feu d'artifices sur scène ! C'est aussi une femme très forte, très gentille, professionnelle, qui sait ce qu'elle veut, très prudente avec sa voix.
 
 

Bruxelles, 8 novembre 2004
Propos recueillis par Bernard Schreuders

Prochain concert

Paris, Châtelet
14 novembre 2004, 11 heures
Avec Gérard Caussé, alto et direction
Et l'Orchestre de chambre national de Toulouse
Weber : Andante et Rondo, Op. 35
Berlioz : Les Nuits d'été
Mendelssohn : symphonie n° 3
 

Discographie sélective

Brahms (nouveauté)
Sechs Lieder, Op. 86 ; Neun Gesänge, Op. 69;
Zwei Gesänge, Op. 91 ; Vier ernste Gesänge, Op. 121
Analekta

Avison, Scarlatti, Vivaldi
Salve Regina, Stabat Mater, Concerti per archi
Analekta

Vivaldi
Orlando furioso
Naïve Opus 111

A paraître : 

Haendel
Rodelinda
Deustche Grammophon (Archiv)

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