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Rencontre avec Ludovic Tézier
"Je suis le José Bové de l'art lyrique"

Ludovic Tézier s'impose aujourd'hui non seulement comme un représentant brillant de la jeune génération du chant français, mais aussi comme un héritier de la grande tradition du baryton héroïque français. Timbre charnu et lumineux, ligne de chant châtiée, intensité vocale, s'imposent dans tous les répertoires et toutes les langues, prise de rôle après prise de rôle. A l'issue des représentations toulousaines de Don Carlo et de son formidable récital parisien, Ludovic Tézier a accordé à Forum Opéra un entretien sans langue de bois.


Comment avez-vous découvert la musique et le Chant en particulier? Quand avez-vous compris et décidé d’en faire votre métier ?

A la maison, on a toujours écouté beaucoup de musique, tout genre confondu, opéra, musique classique, en permanence. Ma famille était très mélomane, en tout cas plus orientée chaîne stéréo que télévision, et les vinyles s’enchaînaient en permanence.

En outre, nous écoutions beaucoup les émissions de Radio France qui étaient alors d’une qualité absolument exceptionnelle. Mes premiers souvenirs musicaux remontent à ma petite enfance, quand j’avais trois ou quatre ans. A cette époque, c’était le disque de Faust qui passait en boucle, dans la version avec Boris Christoff interprétant Méphistophélès. Pour un enfant, une telle interprétation est obligatoirement captivante. On entendait le diable en personne. J’ai naturellement accroché.

Puis le second grand événement musical de ma vie s’est produit alors que j’avais 9 ans, lorsque j’ai reçu comme cadeau le double vinyle des ouvertures de Wagner. J’ai été immédiatement touché par cette musique, que je qualifiais alors d’héroïque, d’autant plus que j’étais plongé dans la lecture des Chevaliers de la Table Ronde de Chrétien de Troyes. Mais mon premier grand choc opératique, ce fut pour mes 13 ans, quand je reçus comme cadeau mon premier billet d’opéra pour entendre Parsifal à Marseille, ma ville natale. Je ne connaissais de l’œuvre que l’ouverture. Je n’avais jamais lu le livret et étais encore moins au courant que cet opéra durait 5 heures. C’était un bon billet, j’étais assis au premier balcon, de face – mon père me prenait pour un fou, mais quitte à aller voir un opéra, surtout la première fois, il préférait m’offrir une bonne place- et ensuite il y a eu l’ouverture…Et après l’ouverture…la magie se produisit et l’effet que Wagner souhaitait produire s’est opéré en moi à 100%, cet enveloppement, cet hypnotisme. Au bout de 5 heures, quand les accords finaux retentirent, je ne pouvais croire que c’était déjà terminé, j’étais persuadé que l’opéra devait continuer. J’étais vexé !

Et alors je suis devenu lyricophage, et me suis mis à exhumer de la discothèque familiale des enregistrements disparus depuis longtemps – nous étions passés depuis un bon moment dans une phase exclusivement symphonique- un retour de 10 ans en arrière. Je dénichais alors entre autre le disque du récital de Franco Corelli. Et c’est grâce à ce premier disque que je commençais à pousser ma voix claire de jeune baryton, en essayant de chanter par-dessus des ténors, car j’adorais monter comme eux. Je me disais : puisque sans cours de chant j’arrive à les suivre en me faisant plaisir, en prenant des cours, je devrais être capable de monter encore plus facilement.

Je m’inscrivis donc auprès de celle qui fut mon premier et seul véritable professeur de chant, celle qui m’a tout enseigné de cette précieuse boîte à outils qu’est la technique du chant classique, Claudine Duprat. Très fièrement, j’entonnais un air pour ténor. J’entends encore la réponse de mon professeur… « Vous serez peut-être un bon baryton ». Le couperet. J’étais assez dépité, je venais de perdre toutes mes illusions, jamais je ne pourrais chanter. Remis de mes émotions, et sur ses conseils, je commençais à écouter des disques de Blanc, et Michel Dens, et la voix de baryton français se révéla pas si inintéressante que cela…Je me suis mis alors à travailler ma voix comme baryton, qui s’est mise en place, petit à petit. Le virus a pris. J’étais happé par ce tourbillon d’être toujours dans l’attente et le plaisir de découvrir un nouvel air. Je n’ai jamais pris la décision d’être chanteur. Je m’étais pris au jeu, j’étais pris par ce plaisir de découvrir ces airs somptueux…et puis ….

Et puis vous intégrez le Centre de Formation Lyrique …Expérience décisive ?

C’est mon professeur qui m’a conseillé de préparer cette entrée. Elle m’a donné tout ce qu’elle pouvait, déjà des cours gratuits, car j’étais alors étudiant et n’avais pas beaucoup d’argent – c’était tellement généreux de sa part, je connais peu de personnes qui auraient agi ainsi- mais aussi  d’excellents et précieux conseils pour réussir par la suite. Et surtout elle m’a toujours laissé libre, elle n’a pas cherché à me mettre sous cloche, tendance de plus en plus répandue chez les professeurs de chant, ravis de pouvoir crier ensuite sur tous les toits qu’ils sont à l’origine de l’éclosion du petit prodige. Claudine pas du tout. Au bout de quelques mois,  elle m’expliqua qu’elle m’avait donné tous les outils de base, qu’elle ne pouvait plus rien m’apporter et que je devais désormais travailler avec des coachs

C’est là que j’ai réellement commencé à travailler une partition, à apprendre l’italien, l’allemand. Et c’est là que j’ai réalisé que cette passion allait durer et que le chant allait être ma vie. Ce n’était plus du dilettantisme. J’étais payé. Je devais fournir un vrai travail professionnel. Mais là aussi je devais rencontrer un autre « professeur » de la même trempe que Claudine, aussi généreux et honnête, Michel Sénéchal.  Je me souviens encore de sa formule magique le matin quand on arrivait à son cours : « alors, qu’est-ce que tu me chantes aujourd’hui ? » Il était heureux, avait un regard bienveillant et me nourrissait de cette humanité. J’ai beaucoup appris à son contact, en particulier la musicalité d’une partition. Et son dernier geste à la sortie de cette Ecole ce fut de me dire : « Tu as un contrat pour chanter Don Giovanni à Lucerne. Vas-y quitte le CFL qui ne t’apportera plus rien ».

En me retrouvant dans cette troupe, j’ai appris la vraie vie de répétitions en théâtre, quatre-vingts représentations en une saison, exit la couveuse du CFL.  A l’issue de cette première saison, j’étais écoeuré du chant, j’avais perdu l’envie de chanter. Avant Lucerne je chantais tout le temps, tout au long de la journée. Après c’était terminé. Il m’a fallu un repos de deux mois pour retrouver ce goût, cette envie, ce plaisir. La deuxième saison heureusement fut plus légère, la voix était plus posée, je la maîtrisais mieux, elle était donc moins fatiguée. Je n’ai cependant pas souhaité poursuivre notre collaboration une saison de plus car on me proposait des rôles ridicules pour une personne de mon âge.

C’est ainsi que j’ai été engagé à Lyon par Monsieur Brossmann pour interpréter Les Noces de Figaro. Il faisait confiance à un jeune, et a continué de me témoigner cette confiance jusqu’à aujourd’hui. Pendant trois ans, j’ai donc eu la chance d’être intégré au sein d’une troupe professionnelle, j’étais distribué avec bienveillance de la part de la direction dans les grands rôles, des rôles de luxe pour un jeune chanteur, sans compter que le rythme des représentations était considérablement réduit par rapport à Lucerne. Au moment d’entamer la 4ème saison, j’ai préféré partir plutôt que d’attendre qu’on me demande un jour de quitter les lieux et me suis lancé en « freelance »…Tout s’est enchaîné par la suite, et j’espère que ça va encore continuer.

Quels sont vos meilleurs souvenirs à l’heure actuelle, une rencontre avec un artiste, un personnage ?En particulier quels sont les personnages qui vous ont  le plus touché, que vous avez le plus aimé chanter, pourquoi ?  

J’ai aimé pratiquement tous les rôles que j’ai interprétés. Mais il y a deux rôles en particulier que j’aimerais chanter à nouveau :  Don Giovanni et Hamlet. Le rôle de Don Giovanni à tout point de vue est certainement le personnage qui m’a le plus fasciné, probablement parce qu’il m’a marqué à titre privé. Le rôle d’Hamlet aussi fut un grand moment.

Mais j’oublie de citer Tannhäuser et La Fiancée du Tsar de Rimski-Korsakov, hélas rarement donné, mais qui fut un grand moment d’opéra.

En ce qui concerne les artistes, ma rencontre avec Riccardo Muti pour les Carmina Burana fut extraordinaire. Je ne savais même pas qu’un chef de son envergure pouvait exister. Il maîtrise absolument tout, c’est inimaginable. Il est exigeant sans être autocratique mais a tout ce qu’il faut pour se le permettre. J’ai hâte de travailler à nouveau sous sa direction : nous devons nous retrouver à Vienne en décembre pour les Noces de Figaro.

Il y a aussi un metteur en scène que j’apprécie tout particulièrement, Jean-Pierre Vincent. Il fait partie de ces rares talents qui donnent beaucoup. C’est peu courant de nos jours. On vit dans un monde de séduction et de pouvoir, ce qui engendre de nombreuses frustrations. Ce qui est vrai pour le monde en général l’est aussi pour le monde de l’art lyrique.

Opéra et récital. Qu’est-ce qui vous attire dans l’un et dans l’autre ? Pensez-vous à l’avenir continuer à chanter alternativement récital et opéra ou bien avez-vous l’intention de privilégier l’un par rapport à l’autre ?

Je ne privilégie rien du tout. Ce qui me séduit dans l’opéra, c’est la taille du rôle, la confrontation avec un orchestre puissant, les costumes, le théâtre. Le récital c’est tout le contraire. Ce qui est fascinant c’est la proximité que l’on a avec le public, même dans une grande salle. On est seul sur scène avec le piano. On incarne un personnage également, mais sans costume. C’est un exercice beaucoup plus cérébral.

Ce sont deux plaisirs totalement différents auxquels je tiens énormément, et il est hors de question pour moi d’arrêter l’un pour me consacrer à l’autre. En fait c’est comme si vous demandiez si j’étais plus sucré ou salé, je suis les deux.

Vous venez de chanter Don Carlo au Capitole. Je crois que c’était la première fois que vous chantiez cet opéra. Comment avez-vous abordé le rôle de Rodrigo, souvent considéré comme le rôle des rôles pour un baryton verdien? Rêvez-vous d’aborder d’autres grands rôles verdiens ?

Je ne crois pas que l’on puisse considérer, du moins je ne considère pas Rodrigo comme le plus grand rôle de baryton verdien en comparaison de rôles comme Rigoletto ou Macbeth. L’originalité et la puissance de Rodrigo tient au fait que c’est le plus beau rôle d’un certain bel canto, de ce qui demeure du bel canto dans l’écriture verdienne. On reste dans une écriture chantante et léchée, où l’appel au dramatique est moindre par rapport aux derniers opéras de Verdi, à part la scène avec le roi qui annonce la dramatisation de l’écriture.

En fait Rodrigue est un hommage au bel canto avec tout de même des prémices d’accents dramatiques. C’est un rôle clé pour aborder petit à petit le répertoire verdien, qui est extrêmement exigeant, contrairement à ce que l’on entend parfois. Ce que j’ai découvert dans cette œuvre m’a comblé. Il est vrai que j’étais entouré de partenaires sublimes, Béatrice Uria-Monzon en Eboli était tout simplement époustouflante. J’ai donc envie d’aborder d’autres rôles, comme Renato du Bal Masqué par exemple.

Vous allez d’ici quelques mois reprendre le rôle d’Onéguine à la Scala. Comment votre vision du personnage a-t-elle  évolué depuis que vous l’avez chanté la première fois ?

Onéguine est un personnage très complexe qu’il est difficile de cerner car il n’est pas défini du tout. J’entends souvent dire qu’Onéguine serait homosexuel. Je crois que c’est dans l’air du temps. Dans le livret rien de tel ne transparaît. Si c’était le cas, je serais le premier à le dire et à le défendre. Onéguine est indéfini. Sa relation à la vie est complexe. C’est quelqu’un qui s’ennuie profondément. Il est indifférent à tout et à la suite de ce choc qu’est le duel avec Lenski, il perd l’unique personne qui lui donnait de la valeur, qui procurait un peu d’amusement dans sa vie. De surcroît, il le tue pour une raison stupide, un pseudo-honneur à défendre. Suite à cela, il est complètement décalé par rapport à la vie.

En fait il est en permanence décalé par rapport au monde dans lequel il évolue. A la campagne, il est décalé de par la vacuité intellectuelle, artistique et culturelle qui règne dans la steppe déserte. Il se sent au-dessus de tout cela. Ensuite il arrive chez le Prince Grémine, où il est également décalé, car le Monde lui renvoie au visage cette image du faste dans lequel il n’est pas non plus à sa place. Alors une espèce de nostalgie de cette époque bénie où il avait un ami lui remonte à la gorge avec la vision de cette femme embellie qu’est devenue la princesse Tatiana. Elle lui renvoie l’image de ce passé, de cette tranquillité révolue sur laquelle il crachait à l’époque. Ce fantôme du passé lui fait réaliser qu’il a mésestimé tous ces gens. Quand il a rencontré Tatiana la première fois, c’était une jeune fille innocente, pour ne pas dire godiche dont il n’aurait jamais pu soupçonner l’évolution. Comment, une paysanne transformée en sublime princesse ? Cette seconde confrontation avec Tatiana lui fait prendre conscience de son échec dans sa vision du monde et de la vie en général. Alors oui se produit également un choc de désir et d’amour, ce besoin inexorable de se rapprocher d’elle, de la seule personne en mesure de le ramener à cette vie d’avant. En fait Onéguine est un personnage extrêmement indécis. Il est bourré de certitudes, mais ce ne sont pas les siennes, ce sont des certitudes de principe, inculquées et non réfléchies, et tout cela éclate lors de la scène finale.

Ce personnage est tellement complexe qu’il vaut mieux moins le penser et plus le ressentir. Tout passe à travers lui. C’est très particulier à chanter.

En outre, lors de cette production à la Scala, j’aurai pour partenaire Olga Guryakova et serai sous la direction de Vladimir Jurowski. Je n’ai pas encore eu la chance de les rencontrer mais j’en ai entendu le plus grand bien, ce qui rend cette reprise encore plus exaltante.

Quels grands rôles aimeriez-vous et allez-vous aborder, scéniquement ou au disque ?Quels sont vos grands projets ?

Au disque, absolument rien, ce qui ne me gêne en rien puisque mon métier c’est de chanter sur scène sans micro, face à un public.

Des rumeurs persistantes laissent entendre que vous allez interpréter très prochainement de grands rôles italiens à Bastille…Pouvez-vous les confirmer ?

Absolument. Je vais chanter Renato du Bal Masqué à Bastille. Puis je vais aborder le rôle d’Enrico, d’abord à la Scala en juin-juillet puis à Bastille aux côtés de Natalie Dessay.

Rodrigo, Renato, Enrico…Pensez-vous orienter votre carrière vers des grands rôles verdiens (et italiens) à l’instar d’un Cappuccilli ? Ou bien avez-vous l’intention de continuer à l’avenir de chanter alternativement des rôles du répertoire italien, germanique, français ?

De la même façon qu’il est hors de question pour moi de privilégier le récital ou l’opéra, j’ai l’intention de continuer de chanter tous les répertoires dans toutes les langues. J’ai horreur des étiquettes. Une étiquette, c’est bon pour les produits de supermarchés.

Comme je suis curieux, j’aime goûter à tout. Et je pense de toute façon qu’étudier un répertoire, une langue permet d’enrichir l’autre. On découvre d’autres gens, d’autres cultures. On s’ouvre donc on s’enrichit. Mais bien sûr il faut faire l’effort d’apprendre à prononcer les langues étrangères correctement en maintenant leur saveur, leur spécificité. Il ne faut pas modéliser le formant vocal comme cela a trop souvent tendance à être le cas.

Je suis le José Bové de l’art lyrique : il ne faut pas de voix transgénique, ne pas plaquer un formant vocal universel sur toutes les langues de telle sorte qu’on entende un chanteur chanter en russe quand il chante en français ! J’aime bien quand on me dit qu’en italien je sonne italien et qu’en français je sonne français. Ca veut dire que j’ai bien posé ma voix.

Par exemple, alors que j’ai découvert Posa en italien, je vais le reprendre dans sa version française à Strasbourg, et la musicalité sera différente puisque les langues sont différentes. De toute façon, lorsque l’on dispose d’une bonne technique vocale on doit être capable de chanter distinctement dans n’importe quelle langue. Le comble, c’est les surtitrages en français pour les opéras français.

Le texte même s’il est moyen, lorsqu’il est bien dit, devient intéressant car on le goûte. Le chanteur qui ne dit pas le texte ne chante pas, il fait des vocalises, et en plus il le fait pour lui tout seul… Dans le répertoire italien, les grands rôles qui me font rêver sont les grands rôles verdiens, mais pas tout de suite dans 10 ou 15 ans. Ce sont des rôles intrinsèquement fabuleux. Mais pour les incarner justement, il ne s’agit pas d’être seulement crédible scéniquement, encore faut-il avoir la couleur vocale appropriée, et ça je ne peux pas savoir aujourd’hui si je l’aurais demain. On verra.

En ce qui concerne le répertoire allemand, j’ai déjà abordé le rôle de Wolfram, mais je crois que je ne pourrais jamais aborder le rôle de Wotan, ou alors, je devrais suivre un traitement hormonal de choc ! Et je le regrette amèrement, je suis fou de cette musique qui me berce depuis toujours. Je crois que le rôle d’Amfortas serait plus abordable pour moi, si un jour ma voix me le permet. Pour l’instant, je préfère l’entendre par d’autres artistes que le faire moi-même.

Sur son site Béatrice Uria-Monzon se bat pour la promotion de l’art lyrique auprès des plus jeunes. Comment voyez-vous la situation de l’art lyrique aujourd’hui en France?

La question de l’art lyrique en France est une question politique, qui pourrait se régler au niveau des municipalités tout d’abord. On pourrait déjà initier plus d’enfants en ouvrant systématiquement les générales et les pré-générales aux écoles. De la sorte, on offrirait à tous les enfants les mêmes choix les mêmes rêves que ceux offerts aux enfants de mélomanes. Mais ça ne suffit pas de les faire venir avec un professeur qui va chercher à les tenir, à les surveiller pour qu’ils ne dérangent pas. Il faut que les artistes aillent aussi  à la rencontre des enfants, en dehors de la relation professeur-élèves.

Je me souviens de la réaction d’enfants à la sortie d’Orphée aux Enfers dans une mise en scène totalement déjantée, ils avaient trouvé cela génial. Si directement après, ils avaient pu rencontrer Natalie Dessay et Laurent Naouri, on gagnait une classe entière d’adeptes !!

Ensuite à la télévision. Pour promouvoir l’art lyrique et le rendre accessible quoi de mieux qu’un opéra en direct à 20h30 ? Dans les années 70, ça se faisait. Je me souviens ainsi d’une Bohème avec Placido Domingo et Kiri Te Kanawa retransmise en direct à la télé. Le Grand Echiquier avait énormément contribué à la vulgarisation de l’art lyrique. Par la suite on était arrivé à maintenir quelques petites pages classiques. Je râlais parce qu’elles ne duraient que 5 minutes, aujourd’hui on n’a plus rien.

Plus facilement identifiable, ce qu’il ne faut pas faire : le cross-over, principe selon lequel tout le monde peut faire tout et n’importe quoi. Il faut arrêter la démagogie. Florent Pagny, je l’aime bien, c’est bien qu’il s’amuse à chanter de l’opéra, cela fait connaître des airs à des personnes qui ne les auraient peut-être pas connus autrement, mais qu’on arrête de le cataloguer chanteur lyrique. Je suis désolé, je vais paraître orgueilleux, mais l’art lyrique c’est une aristocratie, c’est un produit de luxe, que l’on peut se payer cependant au prix d’un ticket de cinéma, pour les places les moins chères !

Si une grande marque comme « Louis Vuitton » s’amusait à commercer ses sacs au marché aux puces local, ce serait fichu pour elle. Pour l’art lyrique c’est pareil : l’opéra se vend à l’opéra ; le travail vocal est considérable, la prise de risque est terrible, on chante sans micro. On parle beaucoup d’acoustique aujourd’hui, le seul vrai spectacle acoustique aujourd’hui, c’est le chant l’opéra. Oui, c’est un privilège et un orgueil d’être placé sur scène et de chanter par-dessus 70 à 100 musiciens.

J’invite tous les Florent Pagny et Andrea Boccelli à venir chanter dans les mêmes conditions que ceux qui exercent ce métier, sans micro et sans amplificateur, s’ils le font et qu’ils parviennent à projeter leur voix, je leur serre la main et leur «décerne » le label de chanteur lyrique. Ceux qui font des spectacles sonorisés ne font pas le même métier. Je refuse tout ce qui est micro sur scène. Si un jour vous en voyez un sur scène pendant que je chante, vous pourrez être certaine qu’il s’agit d’un micro de prise de son pour un enregistrement et en aucun cas d’un amplificateur. C’est sûr si on se met à mettre des micros à l’opéra, tout le monde pourra en chanter 

Le problème aujourd’hui, c’est l’acculturation du public pour faire la différence entre une voix lyrique et une voix de variétés. Je suis désolé, mais chanter , en tant qu’artiste lyrique à la Star Academy, même merveilleusement, c’est brouiller les points de repère des gens en se mettant sur un pied d’égalité avec un jeune stagiaire, peut être par ailleurs bourré de talent, mais dans un autre domaine. La comparaison aujourd’hui avec le grand échiquier ne tient plus car on n’a plus le même public et ça ne s’arrangera pas tant que l’opéra sera absent des média.

Pour moi, pour vendre de l’opéra aujourd’hui, il n’y a que deux solutions : le bouche à oreille, et là ne viendront que les gens qui ont envie de venir, tant pis si c’est un public restreint, et la télévision en direct des théâtres. De toute façon, on ne fera jamais venir des gens qui n’ont pas envie de faire l’effort de venir, de faire l’effort de se dire, tiens, je vais voir à quoi ça ressemble l’opéra. Et puis, pour le moment, les salles ne sont pas si mal remplies que ça en matière d’opéra. Pourtant on a 4 salles d’opéra à Paris ! Alors que le théâtre lui connaît une désaffection plus importante. C’est donc que ça ne marche pas si mal que ça !

S’il ne devait rester que 3 opéras, lesquels choisiriez-vous ?

Otello, Parsifal et Rigoletto…. trois opéras du XIXème…C’est un siècle que j’affectionne particulièrement, parce qu’il est dramatique et porte en lui tous les problèmes du XXe siècle. En dépit des nationalismes naissant, il existait un grand sentiment européen à l’époque bien plus présent qu’aujourd’hui, car il était d’ordre culturel. Pour s’en convaincre, il suffit d’écouter une œuvre de Brahms. Aujourd’hui l’Europe c’est devenu un « machin » comme dirait de Gaulle.

Si vous le permettez, afin de vous connaître parfaitement, je voudrais vous poser le questionnaire de Proust…que j’ai revisité légèrement pour la partie musicale…

Ma valeur préférée : honnêteté et justice

Le principal trait de mon caractère : honnêteté

La qualité que je préfère chez les hommes : générosité

La qualité que je préfère chez les femmes : la féminité avec tout ce que cela englobe

Mon principal défaut : une sensibilité extrême qui peut parfois obstruer mon discernement. Sinon, je conduis trop vite !

Ma principale qualité : tolérance

Ce que j'apprécie le plus chez mes amis : leur essence même

Mon occupation préférée : la photographie

Mon rêve de bonheur : que tout aille bien et pas que pour moi

Quel serait mon plus grand malheur ? Qu’il arrive quelque chose à mes enfants.

A part moi -même qui voudrais-je être ? personne ne me fait rêver et je suis plutôt bien dans ma peu….

Où aimerais-je vivre ? Dans le Sud et en Norvège…Dans plein d’endroits différents et pouvoir tourner. 

La couleur que je préfère : le bleu

La fleur que j'aime : les catleyas

L'oiseau que je préfère : le goëland

Mes auteurs favoris en prose : Victor Hugo, Jules Vernes

Mes poètes préférés : François Villon qui est à la poésie ce que Bach est à la musique, et Verlaine bien sîr.

Mes héros dans la fiction : Enfant, Lancelot du Lac, et adulte Cyrano.

Mes héroïnes favorites dans la fiction : toutes les femmes…sauf Emma Bovary

Quels compositeurs admirez-vous le plus? Beethoven, Verdi et Wagner

Quel personnage d'opéra aimeriez-vous incarner ? Iago pour jouer au méchant sur scène

Quel personnage d'opéra vous ressemble le plus ? Posa et Hamlet

Quel opéra auriez-vous aimé écrire ? Otello

Quel héros/quelle héroïne d'opéra vous charme le plus ? Butterfly

Quelle oeuvre littéraire aimeriez-vous mettre en musique ?en fait c’est déjà fait mais pas comme je le voudrais : Cyrano de Bergerac

Si vous étiez une symphonie ?La 7ème de Beethoven

Un concerto ?Le concerto pour violon de Sibélius.

Mes peintres préférés : Van Gogh

Mes héros et héroïnes dans la vie réelle : De Gaulle, Mère Téresa et toutes les femmes anonymes qui au quotidien dans des pays difficiles pour elles se battent pour leur liberté.

Ma nourriture et boisson préférée : la bonne cuisine française dans sa diversité, la bonne cuisine italienne avec le bon vin qui va avec.Le grand vin, quelle gourmandise pour partager les grands moments avec des amis !!!

Ce que je déteste par-dessus tout :  injustice

Le don de la nature que je voudrais avoir : savoir dessiner.

Comment j'aimerais mourir : vieux et en forme

L'état présent de mon esprit : bonheur et confort

La faute qui m'inspire le plus d'indulgence : si j’ai de l’indulgence, c’est que ce n’est pas une vraie faute, disons les faute de jeunesse globalement, car lorsqu’on est jeune, on ne peut pas tout savoir, tout maîtriser.

Ma devise : c’est bien de regarder loin, mais pour y aller, regarder aussi ce qu’il y a devant moi, à mes pieds !!

Propos recueillis par Audrey Bouctot

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