C O N C E R T S 
 
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PARIS
03/11/03

(© Eric Mahoudeau)
Alban BERG (1885 - 1935)

LULU

Opéra en un prologue et trois actes (1937)

Livret du compositeur
d'après les drames de Frank Wedekind Erdgeist
et Die Büchse der Pandora

Orchestration du IIIe acte complétée
par Friedrich Cehra (1979)

Direction musicale : Bernhard Kontarsky
Mise en scène : Willy Decker
réglée par : Ruth Orthmann
Décors et costumes : Wolfgang Gussmann
Lumières : Hans Toelstede

Distribution
Lulu : Laura Aikin/Marisol Montalvo
Gräfin Geschwitz : Anja Silja
Eine Theater-Garderobiere : Eirian James
der Gymnasiast/ein Groom
Der Medizinalrat/der Professor : Alain Marcel
Der Maler/der Neger : Claude Pia
Dr Schön/Jack : Wolfgang Schoene
Alwa : David Kuebler
Schigolch : Franz Mazura
Der Tierbändiger/Der Athlet : Stephen West
Der Prinz/Der Kammerdiener/Der Marquis : Robert Wörle
Der Theaterdirektor/Der Banker : Alfred Kuhn
Ein Fünfzehnjärige : Karen Wierzba
Irhe Mutter : Elisabeth Laurence
Kunstgewerblerin : Anna Steiger
Journalist : Sergei Stilmachenko
Ein Diener : Yuri Kissin

Opéra de Paris Bastille
Lundi 3 novembre 2003


AMOUR AU PIED LEGER...

Force est de constater que contrairement aux reprises d'Eugène Onéguine, de Cosi fan tutte et des Indes Galantes, le retour de Lulu à Bastille ne s'effectua pas sous les meilleurs auspices, surtout en ce soir de première.

Pourtant, cette production de 1998, reprise l'année suivante - probablement une des meilleures de l'ère Gall - avait de quoi séduire, sans toutefois faire oublier, bien sûr, la mythique mise en scène de Patrice Chéreau pour Garnier en 1979, avec Pierre Boulez au pupitre et Teresa Stratas en Lulu et, last but not least, la création mondiale du IIIe acte complété par Friedrich Cerha. (Ce spectacle extraordinaire a été enregistré et diffusé à la télévision. Espérons qu'il soit un jour reporté sur DVD.)

Pour cette entrée de l'oeuvre à Bastille, Willy Decker, metteur en scène de talent, avait choisi, comme à son habitude, un décor unique, évoquant cette fois un cirque, où le spectateur s'installant à sa place pouvait contempler, avant même que l'opéra commence, Lulu juchée sur un grand escabeau, tel un joli fauve, exposée à la fois aux regards de la salle et à la concupiscence d'hommes anonymes, vêtus de noir et coiffés de grands chapeaux, assis sur des gradins dominant la scène.

La distribution vocale était de haut vol, très homogène, dominée par la Lulu d'Anna Katharina Behnke - quasiment idéale, sensuelle, raffinée et fragile, dotée de moyens vocaux nettement plus importants que Stratas, et la chatoyante direction musicale de Dennis Russell Davies, très lyrique. 

La reprise de ce spectacle pour la dernière saison d'Hugues Gall était très attendue, d'autant qu'on devait y entendre dans le rôle-titre la soprano américaine Laura Aikin, qui avait fait sensation en campant une Zerbinette incandescente au Châtelet, en mars 2002, dans une mise en scène par ailleurs fort contestable de Günter Krämer.

Oui, mais voilà, c'était sans compter un accident regrettable qui entraîna ce à quoi l'Opéra de Paris, aussi bien Garnier que Bastille, nous a habitués depuis un certain temps déjà : la soirée mimée...

Jugez plutôt : trois jours avant la générale, Laura Aikin se casse le pied au cours d'une répétition... Il faut dire que la mise en scène de Willy Decker, toute réussie qu'elle soit, ne ménage pas les chanteurs, et en particulier Lulu : échelles à monter et à descendre, atterrissage contrôlé sur le piano et le bar, etc.

Il fallut donc trouver une remplaçante pour toute la série, ce qui fut fait en la personne de Marisol Montalvo, qui apprit - au pied levé si je puis dire - la mise en scène en deux jours et assura la générale. Cette chanteuse, américaine également, avait obtenu un grand succès en tenant le rôle de Lulu dans une mise en scène plutôt décoiffante de Pet Halmen à Toulouse en janvier 2003.

Mais patatras, coquin de sort, le matin de la première, Marisol Montalvo se réveilla aphone...

Et voilà que le spectateur incrédule, se pinçant pour se demander s'il ne rêvait pas, assista à cette chose hallucinante : Lulu chantée à l'avant-scène par la titulaire du rôle à l'origine, Laura Aikin, s'appuyant soit sur une chaise, soit sur un déambulateur, et remplaçant en quelque sorte sa remplaçante, laquelle, dans l'incapacité d'émettre un son, se démenait cependant sur scène en mimant le rôle et en feignant de chanter comme au bon vieux temps du play-back à la télé, des émissions de variétés où se produisaient Claude François et ses Claudettes...

Quand l'Opéra de Paris cessera-t-il de faire fi du public en lui infligeant ces soirées qui semblent échappées tout droit des écoles de Félicien Marceau et de Jacques Lecoq ? Quand se décidera-t-il à procéder comme dans tous les grands opéras du monde, où l'on dispose non pas d'une, mais parfois même de plusieurs doublures ? D'autant que, souvenons-nous, ce n'est pas la première fois : il y avait eu Ariodante en 2001, où l'on vit un soir von Otter se mimant elle-même et chantant avec la voix de Della Jones (!!!) sans oublier les inénarrables péripéties de Giulio Cesare en 2002, où, après la défection de David Daniels, on eut droit à des soirées du même genre au cours desquelles - lorsque le formidable Flavio Oliver ne chantait pas - Mariana Mijanovic, selon son humeur, montait certains soirs sur scène ou préférait demeurer dans la fosse, l'assistant du metteur en scène assurant alors sa doublure.

Il est vrai que dans le cas de Lulu, la malchance sembla poursuivre les protagonistes, mais en de telles circonstances n'eût-il pas mieux valu annuler purement et simplement la soirée ? En effet, comment juger une telle représentation ?

Il est clair que malgré la qualité du reste de la distribution, à commencer par l'extraordinaire Anja Silja (qui fut aussi une grande Lulu) en comtesse Geschwitz et le vétéran Franz Mazura qui chantait déjà le Doktor Schön et Jack l'Eventreur en 1979, à Garnier - tous les autres, sans exception, n'appellent que des louanges - une telle situation ne pouvait que perturber le plateau. D'autant que la direction musicale de Kontarsky s'avéra bien lourde, voire pesante et même parfois confuse, et que la mise en scène de Decker révéla soudain des faiblesses imperceptibles lors des séries précédentes. On sentit d'ailleurs la salle retenir son souffle quand Anja Silja, qui n'a plus vingt-cinq ans, dut à son tour gravir l'échelle...

Nous n'avons pas pu entendre - et pour cause - la voix de Marisol Montalvo, mais sa prestation scénique est assez décevante : en résumé, elle en fait trop, gesticule, court dans tous les sens, passe son temps à ouvrir les cuisses, qu'elle a fort belles, fermes et musclées, et sa gestuelle fait plus penser à celle d'une gymnaste ou d'une meneuse de revue à Broadway qu'à la troublante et délicieuse Lulu. De plus, quand elle minaude, elle devient un petit animal lubrique assez déplaisant, fort éloigné de ce personnage ambigu et enfantin dont Louise Brooks avait donné au cinéma une interprétation inoubliable. En conclusion, malgré sa plastique irréprochable, Marisol Montalvo est bien loin de posséder le charme ravageur et la candeur envoûtante de cette femme hors du commun...

D'ailleurs, au fil de cette étrange représentation, l'attention du public se déplaça imperceptiblement vers l'avant-scène où se trouvait la formidable Aikin, arc-boutée sur son déambulateur, électrisante, magnétique, malgré son handicap, et dégageant une énergie irrésistible. Incontestablement, on tenait là une superbe Lulu, alliant beauté, charme, séduction et les moyens exacts du rôle : une voix ronde fruitée, puissante et des suraigus d'airain. De tels atouts ne pouvaient que convaincre, pour finalement séduire. Aux saluts, en équilibre instable sur un pied et soutenue par ses collègues, elle fit un véritable triomphe, amplement mérité.

Et lorsque finalement un des chanteurs la porta dans ses bras, l'enthousiasme tourna au délire, ce qui déclencha chez elle une crise de larmes où l'émotion se mêlait à la joie.

On ne peut que s'incliner devant le courage extraordinaire dont Laura Aikin fit preuve pour réaliser une telle performance pendant presque quatre heures et regretter d'autant plus amèrement de devoir être privés d'une aussi belle artiste pour le reste des représentations.

Il restera à Marisol Montalvo la lourde tâche de convaincre à son tour et, on le lui souhaite, 
de triompher... 

Bizarre soirée, assurément...
 
 

Juliette BUCH
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