OPERAS - RECITALS - CONCERTS LYRIQUES
[ Sommaire de la rubrique ] [ Index par genre ]
 
......
MARSEILLE
30/11/2007
 
© DR Christian Dresse


Hector BERLIOZ (1803-1869)

LA DAMNATION DE FAUST (1846)

Légende dramatique en quatre parties
Livret original de Hector Berlioz et Almire Gandonnière
D’après le Faust de Goethe dans la traduction de Gérard de Nerval

Version de concert

Marguerite : Anna Caterina Antonacci
Faust : Gilles Ragon
Mephistophélès : Nicolas Cavallier
Brander : Eric Martin-Bonnet

Chorale Anguelos
Choeur et Orchestre de l’Opéra de Marseille
Direction musicale : Philippe Auguin

Marseille, le 30 novembre 2007

In Memoriam


Que vaut la vie ? Pas grand-chose pour le solitaire que sa formation intellectuelle a éloigné des plaisirs populaires et des ambitions répandues. Faust semble décidé au suicide quand un chœur lointain lui rend – provisoirement ?- la foi et le dissuade de se tuer. Or croire en Dieu amène aussitôt le Malin, puisque le monde des hommes est le terrain où le Diable se collette avec le Créateur pour lui ravir nos âmes. Comment l’esprit du Mal viendra-t-il à bout de l’homme cultivé ? En jouant sur son sens moral. Le prétexte sera Marguerite, une jeune fille séduite et abandonnée, imprudente victime d’une passion devenue meurtrière sans le vouloir. Lorsque Faust saura qu’elle est condamnée par sa faute il s’en remettra au Diable pour qu’elle ait la vie sauve. En fait il sera englouti dans les abîmes infernaux tandis que le Paradis s’ouvrira pour l’âme de Marguerite.

Tiré du Faust de Goethe ce livret a fait l’objet d’interminables analyses philosophiques. Est-ce l’essentiel ? Si le sujet a de l’importance, puisqu’il continue encore aujourd’hui d’inspirer des compositeurs, le prix pour nous de cette œuvre est dans la composition et l’extraordinaire orchestration où Berlioz déploie un génie que même Wagner ne fait pas pâlir. C’est pourquoi le choix de l’Opéra de Marseille de proposer cette Damnation en version de concert, comme elle fut conçue, délivre heureusement des images importunes qui auraient pu s’interposer entre la musique et les auditeurs.

On n’en apprécie que mieux la qualité du travail de l’orchestre ; si les solistes au hautbois et à l’alto sont brillants, les musiciens dans leur ensemble se donnent de leur mieux et occupent la scène plus que dignement. Flûtes, basses, percussions, trompettes, trombones, cors et cordes, tous les pupitres s’en tirent avec les honneurs. Pourra-t-on cependant regretter que souvent le niveau sonore ait semblé un peu excessif ? On comprend bien qu’il est très difficile d’obtenir sur scène les dosages sonores audibles au disque, surtout avec peu de répétitions. Mais est-il impossible de se fixer par exemple un paroxysme pour le pandémonium et à partir de ce pic en volume et en intensité mettre sur pied une échelle ? Le premier chœur est d’abord perçu par Faust comme un « bruit lointain » ; pourquoi ne pas restituer cet effet ?
Sans doute ce sont des reproches mineurs, eu égard à la qualité de la prestation, y compris de celle des chœurs, nettement plus engagés que dans bien des représentations, mais glissons. Pourtant le bonheur que nous ont donné les solistes chanteurs aurait été sans mélange s’ils n’avaient dû parfois forcer pour soutenir la puissance de l’orchestre. A qui s’en prendre ? A Philippe Auguin, visiblement heureux de diriger cette partition, au tempérament méridional de musiciens emportés à l’excès, ou aux deux ?

En tout cas le quatuor réuni valait le déplacement. Eric Martin-Bonnet a souvent interprété la chanson de Brander ; c’est un plaisir de le retrouver égal à lui-même, précis et incisif. Nicolas Cavallier a la prestance et la désinvolture de ce Mephistophélès moins bon diable qu’il n’y paraît ; il ne cherche pas à assombrir sa voix et c’est pour nous à son crédit. Gilles Ragon démontre une fois de plus sa musicalité et sa sensibilité d’interprète ; une fois dégagée, la voix se délivre de quelques sons nasalisés et c’est vraiment une admirable prestation. Sa Marguerite n’est pas en reste : après une magnifique Cassandre à Genève Anna Caterina Antonacci confirme la qualité exceptionnelle de son élocution en français. Les deux « tubes » de la partition, La chanson du Roi de Thulé et la Romance, plongent l’auditoire dans l’émotion et le ravissement tant l’adéquation des moyens et des intentions s’exprime dans un dosage d’une exquise justesse.

Il faudra néanmoins attendre l’accession de l’âme de Marguerite au Paradis grâce aux séraphins de la chorale Anguelo pour que les spectateurs puissent éclater en d’interminables applaudissements et ovations, effectuant ainsi leur retour à la terre. Un concert dédié à la mémoire d’une autre grande Marguerite, la chère Régine Crespin.


Maurice SALLES
[ Sommaire de la Revue ] [ haut de page ]