C O N C E R T S
 
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MONTREAL
19/05/2007
 
Pascale Beaudin (Zerlina) Lyne Fortin
(Donna Elvira) Aaron St Clair Nicholson (Don Guivanni)
© Yves Renaud Opéra de Montréal 2007

Wolfgang Amadeus MOZART

DON GIOVANNI


Dramma giocoso en deux actes
Livret de Lorenzo Da Ponte

Mise en scène : René Richard Cyr
Décor : Pierre-Étienne Locas
Costumes : Marc Senécal
Éclairages : Claude Accolas

Don Giovanni : Aaron St. Clair Nicholson
Le Commandeur : David Bedard
Donna Anna : Susan Gritton
Don Ottavio : John Tessier
Donna Elvira : Lyne Fortin
Leporello : Neal Davies
Masetto : Joshua Hopkins
Zerlina : Pascale Beaudin

Les Violons du  Roy
Chœur de l’Opéra de Montréal

Direction musicale : Bernard Labadie
Montréal, Place des Arts, Salle Wilfrid Pelletier
19 mai 2006

Des clans et des couteaux


Parfois considéré comme l’opéra parfait, Don Giovanni contient néanmoins certaines faiblesses largement compensées par la richesse d’une musique qui en rehausse l’éclat. Bien sûr on admettra que les ajouts pour la première viennoise de 1788 étaient de nature à ralentir l’action dramatique. Pour l’événement, Caterina Cavalieri réclama et reçut une scène supplémentaire comprenant l’air  «Non mi dir» alors que «Della sua pace» fut composé pour pallier les insuffisances du ténor, incapable de chanter «Il mio tesoro» . Cela dit, on ne va pas bouder notre plaisir d’entendre ces morceaux qui nous sont devenus familiers et dont rien ne peut justifier la coupure comme cela s’était produit à l’Opéra de Québec en 2002, lorsque, sous prétexte de retenir la version de Vienne, Bernard Labadie, le chef d’aujourd’hui, avait amputé «Il mio tesoro» de la représentation.

Avec les qualités et les défauts qu’on lui a trouvés, cet opéra n’en demeure pas moins une des plus colossales réalisations de l’histoire de l’Art. L’agencement naturel des développements harmoniques et contrapuntiques qui foisonnent dès l’ouverture et tout au long de l’œuvre et qui culminent dans la géniale descente chromatique du sextuor final, provoque l’émerveillement. Une orchestration à couper le souffle, l’alternance des épisodes comiques et dramatiques si intensément caractérisés et l’utilisation idoine des instruments qui crée un arrière-plan sonore très contrasté parent l’œuvre d’une irrésistible puissance évocatrice. Il appartient aux gens de théâtre et aux interprètes d’en livrer les splendeurs.

Dans cette production, les costumes sont de différentes époques, mais majoritairement du XIXe siècle, tandis que les décors se réduisent à une rangée de six cabines que des figurants retirent les unes à la suite des autres après la mort du commandeur jusqu’à l’identification du coupable par Donna Anna. La scène montre ensuite une passerelle à fonctions multiples qui servira, entre autres, à aligner toutes les belles de la place et la servante de Donna Elvira attirées par le «Deh vieni alla finestra» de Don Giovanni. Tout cela est bien fonctionnel et échappe à la tradition.  Il importe peu au fond que ce ne soit pas du tout conforme aux indications du livret.

René Richard Cyr, issu du milieu théâtral, n’en est qu’à sa deuxième mise en scène d’opéra, la première ayant été «The Turn of the Screw», produite en avril 2006 pour l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal. Son approche résolument intemporelle, plonge alternativement dans ce qui pourrait être les bas-fonds d’une importante cité et la demeure décadente d’un chef de clan toujours à la recherche de conquêtes féminines. Ce sont d’ailleurs des clans qui s’affrontent et qui jouent du couteau pendant tout l’opéra. Le clan de Don Giovanni  contre celui de Donna Anna et de Don Ottavio puis contre le clan de Zerlina et de Masetto. Lutte de classes oblige, nous informe le metteur en scène.

Les chanteurs jouent de façon crédible. Pas un seul moment d’ennui et surtout aucune surcharge dans l’expression des passions ce qui n’est pas un mince mérite lorsqu’on est confronté à une intrigue aussi pleine de rebondissements. Le metteur en scène donne au héros éponyme des possibilités d’interaction notamment en lui faisant battre la mesure pour indiquer au chef le tempo désiré dans l’air du champagne ou en lui permettant de commander l’augmentation des applaudissements à la fin du même air. Au premier acte, dans la scène du bal, on verra encore Don Giovanni partager un morceau de nourriture avec un musicien de l’orchestre. Voilà une façon nouvelle, du moins à l’Opéra de Montréal (OdM), d’intégrer au spectacle les musiciens et les spectateurs que le séducteur prend à témoin. Oui séducteur, au point de distribuer pendant l’entracte des roses à quelques jolies femmes des premiers rangs de la salle.  Toujours provocateur, il revient sur scène au terme du sextuor final pour montrer aux autres protagonistes qu’il s’est bien joué d’eux. Il ne s’agit pas de cabotinage injustifié. Le monde de l’opéra buffa, dont Don Giovanni fait partie, autorise certaines libertés ; celles de cette production ne trahissent en rien l’esprit de l’oeuvre.

René Richard Cyr exige également du commandeur un jeu inhabituel. Celui-ci ne meurt pas des suites d’un duel à l’épée, mais d’un coup de couteau porté à l’abdomen et bien assis dans une des cabines tenant lieu de décor. Lorsqu’il reviendra sur scène au moment opportun, il sera toujours vêtu de son long manteau tel qu’on l’a vu au début de l’opéra, errant dans le cimetière entre les pierres tombales, puis debout près d’une colonne figurant la statue qui invite le pécheur au repentir.

Dramatiquement les autres chanteurs ne sont pas en reste. Ils campent des personnages authentiques. Même Don Ottavio, si souvent niais en scène, prend parfois l’initiative de la lutte contre Don Giovanni.

Belle réussite pour une direction d’acteurs très aboutie dont le genre n’est pas familier aux Montréalais qui lui ont quand même fait bon accueil.


Lyne Fortin (Donna Elvira)  Susan
Gritton (Donna Anna) John Tessier (Don Ottavio)
Pascale Beaudin (Zerlina)  Joshua Hopkins (Masetto)
Aaron St Clair Nicholson (Don Giovanni)
Neal Davies (Leporello)
© Yves Renaud Opéra de Montréal 2007

Musicalement la production  ne souffre d’aucune faiblesse importante. Après un début en demi-teintes, Aaron St. Clair Nicholson gagne en projection tout au long de la soirée et incarne un fier séducteur vocalement et scéniquement. Irrésistiblement charmant dans son duo avec Zerlina «La ci darem la mano», superbe dans l’air du champagne  «Finch’han dal vino», enjoleur impénitent dans «Deh vieni alla finestra), ce baryton, dont on avait pu admirer la beauté d’un timbre chaleureux ici même à Montréal (Arlequin en 2004)   et ailleurs, notamment à Ottawa (Mercutio en 2005), laisse une impression très favorable. (1)

Après avoir chanté Donna Anna dans le passé, Lyne Fortin aborde maintenant un personnage qui met davantage en évidence ses talents d’actrice. Son soprano lyrique, parfois strident dans les aigus, se prête mieux à la folle agitation de Donna Elvira dans l’incessante poursuite de celui qu’elle aime encore. Habillée d’une robe rouge, elle est omniprésente sur scène et en brûle les planches. Littéralement déchaînée dans le bref «Ah, fuggi il traditor» du premier acte et bouleversante dans son époustouflant «Mi tradi» du second, elle se mérite un quasi triomphe à en juger par l’ovation de la salle.  Ce soir c’est elle qui caractérise le mieux son personnage. Elle en assure brillamment les différents affects.

En Donna Anna, la Britannique Susan Gritton, à ses débuts à l’OdM, projette un soprano lyrique bien timbré et homogène sur tout l’ambitus. Affublée d’une robe bustier à motifs noirs sur fond blanc, elle livre une performance plus intériorisée. Elle éclate pourtant de rage dans l’air assassin «Or sai chi l’onore» crânement chanté avec ses périlleux sauts de sixtes et les exigences du bel canto qu’il commande. Voilà du Mozart à son meilleur et une interprète qui lui fait honneur.

D’une voix qui paraissait frêle au début de l’œuvre, mais qui s’affermit par la suite, John Tessier surmonte sans trop de  difficultés les longues tenues de notes de «Il mio tesoro». N’est pas Léopold Simoneau qui veut, mais ici la voix et le jeu sont d’un bon niveau. Neal Davies, le Leporello de Québec en 2002, est fidèle à lui-même et incarne à nouveau un valet de bonne tenue. Son air du catalogue montre une réelle maîtrise du legato et une technique exemplaire au niveau du souffle. Joshua Hopkins (Masetto) et Pascale Beaudin (Zerlina) en jeunes fiancés ainsi que l’imposant David Bedard (le Commandeur) participent avantageusement à  cette réussite collective.

Le Chœur de l’OdM est au sommet de sa forme. Pour leur part Bernard Labadie et Les Violons du Roy contribuent admirablement au succès de cette soirée. L’orchestre mozartien est beaucoup plus qu’un ensemble d’accompagnement ; en écoutant avec attention on se rend compte qu’il tient son langage propre tout en s’intégrant harmonieusement aux échanges musicaux. Il précise la psychologie des personnages et accentue ce qu’il y a d’intériorité et de sensuel en eux, entre autres, par le choix des instruments.  Labadie en a largement tenu compte et s’est appliqué à porter une délicate attention à leurs couleurs. Souci du détail si l’on veut, mais jamais au détriment de l’ensemble. Il réussit à établir une belle cohésion chez les instrumentistes et à maintenir  un excellent équilibre  entre eux et les artistes qui évoluent sur la scène.

Entendrons-nous cette phalange dans une autre production de l’OdM ? N’oublions pas que Bernard Labadie a quitté la direction artistique de la compagnie en 2006 à la suite des graves difficultés financières qu’elle éprouvait et que c’est lui qui avait fait le choix de Don Giovanni et de tous les artisans et chanteurs de cette production. Le futur de l’OdM ne lui appartient plus, mais il serait vraiment dommage qu’avec ses Violons du Roy on ne le revoie plus dans la fosse surtout dans un répertoire qu’il affectionne particulièrement.
 

                                                Réal BOUCHER


(1) Il entend d’ailleurs pousser plus loin la connaissance du personnage en le reprenant au New York City Opera et à l’Opéra Lyra d’Ottawa.

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