OPERAS - RECITALS - CONCERTS LYRIQUES
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STRASBOURG
11/01/2008
 
Nancy Weissbach / Janice Baird
© Alain Kaiser


Richard STRAUSS (1864-1949)

Elektra

Tragédie en un acte
Livret de Hugo von Hofmannsthal

Direction musicale : Daniel Klajner
Mise en scène et scénographie : Stéphane Braunschweig
Reprise de la mise en scène : Georges Gagneré
Costumes : Thibault Vancraenenbroeck
Lumières : Marion Hewlett

Elektra : Janice Baird
Chrysothemis : jouée par Nancy Weissbach,
chantée par Therese Waldner
Klytämnestra : Jadwiga Rappé
Aegisth : Wolfgang Ablinger-Sperrhacke
Orest : Jason Howard
Pfleger : Yves Ernst
Aufseherin : Sophie Angebault
Vertraute : Agnieszka Slawinska
Schleppträgerin : Mayuko Yasuda
Junger Diener : Edmundas Seilius
Alter Diener : Jesus de Burgos
1. Magd : Marie Noële Vidal
2. Magd : Ciara Hendrik
3. Magd : Karine Motyka
4. Magd : Laure Delcampe
5. Magd : Marie-Paule Dotti

Orchestre Philharmonique de Strasbourg

Reprise de la production de 2002
Coproduction avec le Théâtre Royal de La Monnaie, Bruxelles

Strasbourg, Opéra, 11 janvier 2008

De la dynamite


Nous savions qu’il allait dynamiter et magnifier l’œuvre, nous n’avons pas été déçu.
Le formidable chef Daniel Klajner avait proposé l’an dernier une remarquable lecture d’Oedipus Rex de Stravinsky et nous pressentions alors qu’il ferait merveille dans Elektra et ce fut le cas.
Dans la passionnante interview du chef qui figure dans le programme (1), Klajner rappelle combien Strauss dirigeait de manière froide sans aucune indication expressive (on dispose d’un témoignage vidéo, effectivement très surprenant). Il en déduit que la partition a tout prévu : elle est « conçue avec l’idée que le rôle du chef d’orchestre se limite à battre la mesure et à faire jouer les musiciens ensemble. Ce n’est en tout cas pas lui qui doit rendre la musique expressive. L’expressivité est déjà dans la partition ». Question de l’intervieweur (lui même spécialiste de Strauss) : « Est-ce ainsi que vous dirigez la partition ? ». Réponse de Klajner : « Absolument ».
Là, nous devons rectifier car Daniel Klajner se démène par moments comme un beau diable pour galvaniser ses troupes. Mais comment rester de marbre quand vous menez une charge de cavalerie, que vous régissez une éruption volcanique ou une chevauchée des Walkyries puissance 10 ?!... Mais d’autres passages le montrent effectivement étonnamment statique.
Le résultat est stupéfiant. Quelle passionnante lecture (nous avons découvert bien des détails d’orchestration dans cette partition que nous connaissons pourtant fort bien), quel soin du détail qui n’oublie jamais la ligne directrice, quelle urgence dramatique (cette manière de faire avancer les interludes orchestraux et de maintenir l’excitation dans tout le final), quel souci de la cohésion, de l’équilibre fosse-scène et de la mise en place ! Une réussite exemplaire.
Daniel Klajner a visiblement su motiver l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg en très bonne forme et qui maîtrise une partition extrêmement exigeante. La réussite est d’autant plus notable que l’acoustique de la salle strasbourgeoise est assez sèche alors qu’un tel ouvrage réclamerait de l’air.
On regrettera par contre l’absence de chœur dans la scène finale et quelques coupures. Mais Daniel Klajner hérite là des choix des créateurs de la production en 2002.


Janice Baird /
Nancy Weissbach
© Alain Kaiser

Côté voix, nous avons le bonheur de retrouver Janice Baird qui avait été ici une magnifique Turandot en 2001. Commençant prudemment la soirée (le monologue d’entrée est attaqué avec une grande douceur - ce qui est peu commun et très intéressant - mais souffre de quelques aigus bas), elle finit avec une puissance et une aisance décoiffantes.
On regrettera tout de même après le La dièse aigu final, l’absence du Fa dièse grave qui doit lui succéder ainsi qu’une prononciation perfectible. Pourtant, la puissance de l’incarnation et un chant d’une grande précision - ce qui change des voix trémulantes que nous subissons parfois dans ce répertoire - emportent l’adhésion. L’artiste est absolument transcendante dans la scène finale et sidère par son aplomb.

Nancy Weissbach n’est pas non plus une inconnue à Strasbourg. Elle avait déjà incarné Chrysothémis lors de la création de cette production. Nous avions été emballé, c’est peu dire. Aussi, quelle tristesse de la trouver malade pour cette première, jouant malgré tout sur scène mais remplacée vocalement par une Therese Waldner à la voix un peu sourde mais aux aigus percutants. Nous ne pouvons que remercier cette artiste d’avoir sauvé la représentation.

Jadwiga Rappé nous a personnellement déçu en Clytemnestre. Si l’incarnation est forte et réussie, si c’est un bonheur d’entendre une vraie alto dans ce rôle, on regrette une voix manquant de puissance, un grave mat et des aigus faibles.

De même, Jason Howard en Orest nous laisse un peu sceptique. Si le matériau est splendide (quel timbre !), l’aigu nous a paru instable. Il laisse cependant une bonne impression mais la musique qui lui est réservée est tellement splendide...

Excellent par contre l’Aegisth de Wolfgang Ablinger-Sperrhacke (il fut ici un Loge exceptionnel dans le Rheingold de la saison passée) qui marque malgré un rôle des plus courts !

Les seconds rôles masculins sont très corrects. Côté femmes, cela va du très bon (l’Aufseherin de Sophie Angebault) au médiocre (alto trémulante...). Côté chœurs, ah oui, pardon, c’est vrai, ils n’étaient pas là (pourquoi donc, alors que la maison en dispose ?...).

Cette Elektra était donc une reprise d’une production de 2002 qui nous avait rendu enthousiaste notamment au sujet de la mise en scène de Stéphane Braunschweig, qui connaît ici quelques petits changements mineurs.
Pourtant, est-ce par que nous l’avions déjà vue que cette mise en scène nous a paru ici moins percutante qu’à l’époque ? Malgré tout, on apprécie la scénographie qui réserve d’appréciables changements de l’espace scénique (chose rare dans un tel ouvrage), la présence écrasante de la fameuse baignoire, lieu du meurtre d’Agamemnon contenant encore son sang dont se macule Elektra avant de mourir, une image d’une force toujours aussi intense.
On apprécie donc la reprise de cette production (même si sa création nous a laissé un plus grand souvenir) et on espère revoir un jour d’autres spectacles qui ont marqué l’histoire de l’Opéra National du Rhin : les Dialogues des Carmélites de Marthe Keller ou le Peter Grimes d’Alfred Kirchner par exemple !...


Pierre-Emmanuel LEPHAY



(1) Il est à noter que chaque programme de l’Opéra National du Rhin propose une interview du chef d’orchestre proposant une exploration de l’œuvre et des choix interprétatifs, avec le support de reproductions de pages de la partition. Initiative remarquable qui cherche à rendre intelligent le spectateur !

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Prochaines représentations :
Strasbourg : 14, 23, 26 janvier à 20h., 20 janvier à 15 h.
Mulhouse : 3 février à 15 h.
www.operanationaldurhin.fr
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