OPERAS - RECITALS - CONCERTS LYRIQUES
[ Sommaire de la rubrique ] [ Index par genre ]
 
......
MARSEILLE
04/09/2007
 
Angela Gheorghiu & Roberto Alagna
© DR


Vladimir COSMA (1940)

MARIUS ET FANNY

Opéra en deux actes
D’après « Marius » et « Fanny » de Marcel PAGNOL

Livret adapté par Michel Lenglines, Jean-Pierre Lang, Michel Rivegauche, Antoine Chalamel, Michel Arbatz et Vladimir Cosma

Création mondiale

Mise en scène, Jean-Louis Grinda
Décors, Dominique Pichou
Costumes, Christian Gasc
Lumières, Roberto Venturi

Marius, Roberto Alagna (4,7,10,13) Sébastien Guèze (14,16)
Fanny, Angela Gheorghiu (4,7,10,13) Karen Vourc’h (14,16)
César, Jean-Philippe Lafont
Panisse, Marc Barrard
Escartefigue, Eric Huchet
Honorine, Isabelle Vernet
Monsieur Brun, Bruno Comparetti
Piquoiseau, Antoine Garcin

Chœur de l’Opéra de Marseille
Chef du chœur, Pierre Iodice

Orchestre de l’Opéra de Marseille
Direction musicale, Jacques Lacombe

Marseille, le 4 septembre 2007

A bon port !


Après avoir affronté son lot de houles, la création mondiale « Marius et Fanny » adaptée des pièces homonymes de Marcel Pagnol a enfin touché le Vieux Port, où elle a reçu un accueil triomphal.

Disons-le d’emblée, la première écoute ne nous a pas persuadé qu’il s’agisse d’une partition à l’originalité indiscutable. De l’abondante et séduisante production de Vladimir Cosma pour des musiques de films on retrouve échos et procédés ; or si l’habileté incontestable du compositeur à créer des climats à partir d’images est un atout pour les productions audiovisuelles, à l’opéra la musique ne naît pas d’images, elle doit en créer. Nous avons eu l’impression frustrante qu’elle accompagnait les situations et les sentiments exprimés bien plus qu’elle ne les annonçait.

Ajoutons un autre bémol : la langue de Pagnol est riche de formules savoureuses qui condensent de façon drôle ou émouvante la sagesse des nations à la sauce marseillaise. Malgré les efforts des adaptateurs, ce brio de l’expression n’est que partiellement sauvegardé, car mettre ces traits en musique revient à les dilater, donc à les priver de la promptitude qui fait mouche. En outre souvent le texte rédigé pour les airs est d’un prosaïsme accablant et la prosodie relève assez systématiquement des mètres pour chansons de variété mis à la mode par de récentes comédies musicales.

Mais, à ces réserves près, le résultat aussi bien musical que théâtral à de quoi satisfaire ceux qui se sont lancés dans une entreprise hautement périlleuse. Ce Marius et Fanny n’est pas une opérette marseillaise ; les écueils du folklore musical et visuel sont évités avec brio. Le chœur, qui intervient surtout dans le premier acte, crée une couleur locale discrète ; à l’antique il présente les personnages et sert de témoin aux situations graves ou cocasses. Le cadre urbain est évoqué par la silhouette de monuments familiers, l’activité du port par des ballots empilés et des noms exotiques peints sur des caisses, le bar de la Marine et le magasin de Panisse sont réduits à l’essentiel. Costumes stylisés et discrètement colorés, éclairages efficaces et soignés, contribuent au plaisir des yeux et à la cohérence de l’ensemble. Cloisons coulissantes, pivotantes ou escamotables font évoluer l’espace scénique en continuité, et le découpage du texte ménage les épisodes principaux des pièces de Pagnol sans temps mort. Les formes consacrées à l’opéra, air, duo, trio, ensemble, figurent parmi les numéros musicaux et fournissent aux solistes des occasions de faire vivre leur personnage et de briller.

Cette création, pour laquelle la Ville et l’Opéra de Marseille ont beaucoup investi, bénéficie du concours de deux « monstres sacrés » du théâtre lyrique. Dans un rôle qui semble écrit sur mesure pour lui permettre de délivrer çà et là des aigus sonores Roberto Alagna s’expose et semble y prendre plaisir mais quand il reste sobre, au deuxième acte, il devient émouvant. Angela Gheorghiu, sa célèbre compagne, réussit le tour de force d’incarner de façon crédible une jeune fille pudique et réservée ; la séduction vocale – hormis les passages laidement poitrinés – indiscutable fait oublier les à peu près de la diction. Jean-Philippe Lafont est un César imposant grâce à son physique ; l’émission, pas toujours très nette, parfois engorgée, parfois nasale, s’améliore au cours de la représentation en particulier lorsqu’elle n’est pas forcée. Désagréments auxquels le Panisse de Marc Barrard échappe entièrement ; c’est d’une leçon de chant et d’interprétation que cet artiste (parfois entraîné par son tempérament à forcer le trait mais qui se contrôle ici magnifiquement) nous gratifie. Bravo !
Auprès d’eux Isabelle Vernet endosse la verve de la truculente Honorine ; quand l’orchestre est riche la voix peine à se faire entendre, mais le personnage est bien campé. Eric Huchet, Bruno Comparetti et Antoine Garcin, respectivement Escartefigue, Monsieur Brun et Piquoiseau, sont tout à fait honorables dans leurs emplois.

Conduit par un Jacques Lacombe à l’attention infatigable l’orchestre de l’Opéra de Marseille sert le lyrisme et le dynamisme de la partition. Tandis que Fanny-Angela qui vient de consacrer le sacrifice de son unique amour s’effondre sur elle-même l’explosion des applaudissements submerge les derniers accords. Le triomphe va durer longtemps, celui du couple vedette évidemment, mais aussi celui, du compositeur au metteur en scène et aux machinistes, de tous les participants d’une aventure enfin arrivée à bon port. Nul doute que ce séduisant spectacle affrontera bientôt le large. Bon vent !

Maurice Salles


PS : on suivra avec intérêt les représentations du 14 et du 16, privées de l’éclat des stars, avec Sébastien Guèze et Karen Vourc’h.

[ Sommaire de la Revue ] [ haut de page ]