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MILAN
07/12/03
MOÏSE ET PHARAON
OU LE PASSAGE DE LA MER ROUGE

Opéra en 4 actes de Gioacchino ROSSINI

Livret de Luigi Ballocchi et Etienne de Jouy

Décors : Gianni Quaranta 
Costumes : Carlo Diappi
Mise en scène : Luca Ronconi
Chorégraphie : Micha van Hoecke
Eclairages : Albert Faura
 

Moïse : Ildar Abdrazakov
Pharaon : Erwin Schrott
Aménophis : Giuseppe Filianoti
Eliézer : Tomislav Muzek
Osiride : Giorgio Giuseppini
Aufide : Antonello Ceron
Anaï : Barbara Frittoli
Marie : Nino Surguladze
Sinaïde : Sonia Ganassi
Une voix mystérieuse : Maurizio Muraro

Danseurs solistes : Luciana Savignano, Roberto Bolle et Desmond Richardson

Choeurs et orchestre du Teatro alla Scala
Direction : Riccardo Muti

Milan, le 13 décembre 2003



REDIFFUSION

Pour cette dernière ouverture de saison au Teatro degli Arcimboldi (la suivante devant retrouver une Scala restaurée), Riccardo Muti a choisi de poursuivre son exploration du répertoire pré-verdien avec la création in loco de la version française du chef-d'oeuvre de Rossini. L'ouvrage n'est d'ailleurs pas inconnu du public milanais, la version traduite en italien (1) ayant été montée épisodiquement à la Scala (la dernière fois en 1979).

Pour l'occasion, le maestro s'est à nouveau entouré d'une brochette de jeunes chanteurs qui défendent l'imposant ouvrage avec des bonheurs divers.

Le rôle de Moïse est sans doute le moins "payant" : pas de grand air ni de véritable scène, beaucoup de déclamation et une présence constante sur le plateau. Il faut donc un présence, une maturité ou un charisme hors du commun pour triompher de ce rôle : à côté de pointures comme Rossi-lemeni, Ghiaurov ou Ramey (jeune, mais déjà idéal), Ildar Abdrazakov fait franchement pâle figure, d'autant que son français est à plusieurs endroits insuffisant. Dans ces conditions, son Moïse n'est plus qu'un faire-valoir sans grand intérêt.

Erwin Schrott est certainement d'une autre pointure en Pharaon ; plus impressionnant, il reste un peu frustre au niveau du style.

Sonia Ganassi aborde Sinaïde dans une vision plutôt belcantiste (pour une fois que le maestro autorise les variations dans les reprises des chanteurs, il faut en profiter) : voix homogène, chant stylé et belle vocalise, mais on serait sans doute davantage convaincu dans un théâtre de dimensions plus modestes ; ici, le Parisien que je suis regrette fort la puissance de Shirley Verrett en 1983.

Fraîchement (et injustement) accueillie à la première, Barbara Frittoli campe une Anaï de grande classe à défaut de grande émotion ; à noter que les aigus parfois légèrement trop couverts sonnent un peu sourds.

Présenté comme un ancien élève d'Alfredo Kraus, Giuseppe Filianoti est la vraie révélation de la soirée : malgré un timbre un peu passe-partout, sa vaillance et sa puissance, notamment dans le suraigu, emportent l'adhésion et soulèvent l'enthousiasme de la salle. Un talent à suivre.

Je ne citerai pas dans le détail les seconds rôles : ils sont excellents.

A la baguette, Muti impose une direction originale en tirant l'opéra vers des ouvrages postérieurs, là où un Georges Prêtre, à l'inverse, l'ancrait dans un romantisme  plus abouti.
La justesse d'une telle vision suppose une continuité de l'évolution des styles, démentie par l'expérience : Rossini n'a jamais composé comme Gluck ou Spontini. La démarche reste intéressante, mais on est loin du coup de génie de son Fidelio. Muti n'arrive pas à instaurer une véritable tension dramatique et la soirée s'en ressent, même s'il est difficile de s'ennuyer avec une aussi belle musique. A noter enfin une "Prière" d'un tempo hédoniste beaucoup trop lent : on a l'impression que Riccardo essaie de nous refaire du "Va pensiero", mais il tombe à côté de la plaque. L'oeuvre est donnée dans sa version intégrale, incluant les ballets (1).

Au sujet des ballets, précisément, nous dirons qu'on a connu l'excellent Micha van Hoecke plus inspiré : quelques gesticulations dans les ensembles, une soliste qui se trémousse et danse avec elle-même sur la partie haute du plateau et une espèce de duel entre les solistes masculins (l'un habillé en Égyptien et l'autre en jupette du Couvent des Oiseaux (2))...  le tout handicapé par un décor inadapté (trop étroit en contrebas, farci de fausses dunes en partie supérieure). 

Le 28 septembre 1983, Massimo Biogankino ouvrait sa première saison à l'Opéra de Paris en ressuscitant le chef-d'oeuvre de Rossini, sobrement renommé "Moïse".Le souvenir de cette soirée qui devait se terminer en triomphe s'est imprimé dans la mémoire : Samuel Ramey dans le rôle-titre, Jean-Philippe Lafont en Pharaon, Cecilia Gasdia en Anaï, Keith Lewis en Aménophis (un certain Chris Merritt en assurait la doublure...), le grand retour de Shirley Verrett en somptueuse Sinaide et celui de Georges Prêtre, étonnant maître d'oeuvre dans un répertoire où on ne l'attendait pas.

Quelle surprise donc de voir le rideau se lever sur... la même production ! (3) Une fois passé cet étonnement, on retrouve avec plaisir le magnifique décor de Gianni Quaranta : pour l'essentiel, l'intérieur d'une sorte de cathédrale envahie par les sables, avec un jeu d'orgues en arrière plan. Seul changement par rapport à l'édition parisienne, l'ouverture de la Mer Rouge à la fin de l'acte IV : à Paris, la partie centrale du décor (surélevé par rapport au plateau) descendait pour laisser le passage aux Hébreux ; ici, c'est toute cette partie supérieure qui pivote pour former des vagues gigantesques, lesquelles s'écartent ensuite devant Moïse.

Les costumes combinent l'hollywoodien pour les Égyptiens, les vêtements juifs traditionnels pour les Hébreux et quelques soutanes (réminiscence de l'expulsion des jésuites ?).

Comme souvent chez Ronconi, la direction d'acteur reste assez statique, ce qui n'est pas gênant pour cet ouvrage et l'ensemble marche aussi bien qu'en 83 : parfois, mieux vaut une bonne rediffusion qu'une mauvaise création ! (4)

Placido CARREROTTI



(1) L'édition de Paris en 1983 ne comportait pas les morceaux chorégraphiques ; le duo Aménophis/Pharaon, entendu à la générale et dont il subsiste une bande, fut coupé à la première car l'Opéra avait peur qu'un ouvrage trop long dans un répertoire si méconnu des Parisiens fut mal reçu !
(2) Le superbe Roberto Bolle, qui n'y perd en rien sa virilité ...
(3) Le programme n'hésite pourtant pas à parler de "nouvelle production" sans aucune référence au travail de Ronconi pour Paris. 
(4) En risquant, par exemple, un rapprochement caricatural avec la situation actuelle au Proche Orient : Sharon en Pharaon et Arafat en Moïse !
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