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MONTPELLIER

30/07/02

 
Die Rheinnixen
(Les Fées du Rhin)

Opéra romantique en 4 actes de Jacques OFFENBACH
Livret de Charles Nuitter
Traduction en allemand du Baron Alfred von Wolzogen
(Edition critique de Jean-Christophe Keck)
Créé à Vienne le 4 février 1864

Armgard : Regina Schörg
Hedwige : Nora Gubisch
Franz : Piotr Beczala
Conrad : Dalibor Jenis
Gottfried : Peter Klaveness
Un militaire, un paysan : Uwe Pepper
La fée : Gaëlle Le Roi

Orchestre National de Montpellier L. R.
Choeur de la Radio Lettone

Direction musicale : Friedemann Layer

Version de concert donnée le Mardi 30 Juillet 2002
A l'Opéra Berlioz-Le Corum
Dans le cadre du festival de Montpellier
Création mondiale

 


La création de l'intégrale des Fées du Rhin d'Offenbach constitue à coup sûr l'événement musical de cet été 2002 .Grâces soient rendues à Jean-Christophe Keck pour avoir reconstitué cette partition et à René Koering pour l'avoir programmée dans le cadre du Festival de Montpellier.

A l'origine, l'oeuvre est une commande du Hofoperntheater de Vienne où elle fut représentée en 1864 dans une version abrégée en trois actes. La même année, La Belle Hélène triomphait au Théâtre des Variétés et le compositeur, très sollicité, abandonna peu à peu tout projet de reprise de son opéra à Paris. Plus tard, il en réutilisera des fragments, en particulier dans Les Contes d'Hoffmann. Ainsi, le chant des elfes, véritable leitmotiv qu'on entend dès le début de l'ouverture, deviendra la célèbre barcarolle de l'acte de Giulietta, où les couplets bachiques du héros sont une transposition de la chanson à boire de Conrad.

L'échec de ces Rheinnixen fut parfois imputé à la médiocrité du livret, voire à l'incapacité du musicien à exceller dans le genre sérieux, mais à l'audition, ces arguments ne tiennent pas. En réalité Wagner, qui méprisait Offenbach, ne supporta pas que le Hofopern ait monté cet ouvrage en lieu et place de son Tristan, et ses partisans ne pouvaient admettre que cet amuseur du Tout-Paris, juif de surcroît, pût composer un opéra germanique : "Beaucoup de morceaux ont été vivement applaudis [...] ce qui n'a pas empêché les journaux wagnériens de m'anéantir", constate l'auteur dans sa correspondance. L'antisémitisme ambiant et la politique militariste de Bismarck allaient faire le reste. Malgré un succès public indéniable, l'ouvrage ne fut jamais redonné et tomba rapidement dans l'oubli.

Pourtant, le sujet et la musique inscrivent sans conteste ces Rheinnixen dans la tradition de l'opéra romantique allemand.. L'influence de Wagner y est même perceptible : la prière de Gottfried au premier acte n'est pas sans rappeler la romance à l'étoile de Tannhäuser et certains choeurs de soldats font écho aux marins du Vaisseau fantôme. Le chant des elfes dans le lointain crée un climat fantastique à l'instar des voix d'esprits invisibles du Freischütz. La partition doit aussi beaucoup à Halévy et même au Berlioz de La Damnation de Faust ( le début du troisième acte). Ces réminiscences - on parlera plutôt de filiation, ne sauraient obérer l'originalité d'une oeuvre passionnante où foisonnent airs, duos, trios et ensembles sans parler des nombreux choeurs. Trois heures trente de bonheur total !

Le livret en vaut bien d'autres de la même époque et propose un dénouement inattendu : l'action se situe sur les bords du Rhin, en 1522, au temps des Guerres des Paysans. Ces luttes sont à l'origine des malheurs d'Hedwige, jadis séduite et abandonnée par un militaire sans scrupule, et de sa fille Armgard amoureuse de Franz, un voisin disparu au début du conflit. Arrive une troupe de lansquenets conduits par Conrad qui investissent la ferme d'Hedwige. Parmi eux se trouve Franz, blessé à la tête et amnésique. Les soudards jettent leur dévolu sur les villageoises, Armgard brave leur violence en leur chantant un air patriotique jusqu'à en perdre connaissance. On songe ici à l'Hélène des Vêpres siciliennes de Verdi ainsi qu'à Antonia. Après bien des vicissitudes, les fées du Rhin attirent les soldats dans l'abîme où ils périssent. Alors, tout rentre dans l'ordre : Conrad, qui n'est autre que le père d'Armgard, implore le pardon d'Hedwige et reconnaît son enfant. Frantz recouvre avec la mémoire ses sentiments pour la jeune fille. Cette fin heureuse consacre le triomphe des femmes et prône la suprématie de la paix et de l'amour sur la guerre plus d'un siècle avant les hippies !

La distribution, d'une belle homogénéité, est tout à fait à la hauteur de l'entreprise :
Peter Klaveness donne du rôle ingrat de Gottfried, l'amoureux transi d'Armgard, une interprétation sobre et digne. Piotr Beczala est un Franz tourmenté et ombrageux. Ses trois airs, au demeurant superbes, sont fort bien chantés, en particulier l'émouvante romance "Die Nacht, die meine Seele" au deuxième acte.

Applaudi au printemps dernier dans Le Barbier de Séville à l'Opéra Bastille, Dalibor Jenis crée avec brio un personnage bien éloigné de Figaro. Son Conrad, macho et fat à souhait jusqu'à la rédemption finale, révèle la diversité de son talent. 

Armgard demande un soprano capable tout à la fois de vocaliser (l'air d'entrée) et de faire face à un orchestre pléthorique : une sorte d'Olympia mâtinée d'Elsa ! Regina Schörg assume crânement sa partie jusqu'aux limites de ses possibilités. Son timbre lumineux lui permet de dessiner une figure féminine touchante, à la fois volontaire et fragile comme en témoignent les affects différenciés de son chant patriotique et de sa romance du quatre "Ein Traum nur war es".

Nora Gubisch affronte avec brio la tessiture hybride d'Hedwige, aux écarts terrifiants comme ceux d'Ortrud. On lui pardonnera quelques aigus tirés en début de soirée et l'on saluera une prestation de haut vol. Son air "Leb'wohl, o theure Tochter" au début du deux, tout en émotion contenue offre un contraste saisissant avec ses imprécations du dernier acte face à Conrad. 

Les Choeurs de la Radio Lettone sont au-dessus de tout éloge dans un répertoire bien différent de La Donna del Lago qu'ils chantaient une semaine plus tôt et qui leur fait tout autant la part belle : paysans, soldats, fées sont campés avec conviction dans un allemand aussi impeccable que leur italien.

Le maître d'oeuvre enfin de cette soirée est Friedeman Layer qui dirige avec éclat et précision cette partition qu'il porte à bout de bras : témoin le ballet au rythme lancinant de valse, subtilement dosé qui déchaîne une ovation on ne peut plus méritée. Ajoutons un Orchestre National de Montpellier des grands jours et l'on comprendra à quel point cette soirée fut enthousiasmante. On attend déjà avec impatience le CD annoncé. 

Le Festival de Montpellier peut s'enorgueillir d'avoir donné à entendre cet ouvrage essentiel qui révèle une facette peu connue du talent de Jacques Offenbach. Il reste à espérer que dans un avenir proche un directeur d'Opéra nous le donne aussi à voir.
 
 

Christian Peter
(Dominique Vincent)
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