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NEW YORK
10 & 13/03/04

© New-York Times
Tosca

Opéra en 3 actes de Giacomo Puccini
D'après la pièce de Victorien Sardou

Production : Franco Zeffirelli
Costumes : Peter J.Hall

Floria Tosca : Carol Vaness / Cynthia Lawrence*
Luciano Pavarotti : Mario Cavaradossi
Samuel Ramey : Barone Scarpia
Paul Plishka : Le sacristain
James Courtney : Angelotti
Charles Anthony : Spoletta
Richard Vernon : Sciarrone
Sara Appleton : Un berger
LeRoy Lehr : Le geôlier

* Le 10 mars, Carol Vaness indisposée
est remplacée à l'acte III par Cynthia Lawrence

Orchestre et Choeurs du Metropolitan Opera de New-York
Direction : James Levine
 

New-York, Metropolitan Opera,
les 10 et 13 mars 2004.

La soirée du 13 mars marque les adieux de Luciano Pavarotti
à la scène du Metropolitan Opera
et sans doute à toute représentation scénique...


E LUCEVAN LE STELLE

20h06 : le chanteur d'opéra le plus célèbre de tous les temps entre pour la dernière fois sur la scène du Metropolitan Opera, un des théâtres lyriques les plus prestigieux au monde.
Et c'est aussi sans doute, et pour longtemps, la fin de toute une époque : celle des jeunes premiers sexagénaires et des sémaphores aux voix d'or. Une époque où la beauté d'un timbre, la pureté d'un chant, suffisaient à nous faire croire à l'Opéra.
23h11 et le rideau se baisse définitivement sur le Mario Cavaradossi de Luciano Pavarotti.

Chantera ? Chantera pas ? Chantera !
Près de deux ans après ses annulations de dernière minute en ces mêmes lieux et alors que Pavarotti n'est plus remonté sur une scène de théâtre depuis décembre 2002, il n'était rien moins que sûr que l'artiste se produirait.
Quand, à l'issue du second entracte de la représentation du 10 mars, John Volpe vint devant le rideau éclairé faire l'annonce tant redoutée, le public n'eut qu'un soupir un peu las ; mais, surprise ! C'est Carol Vaness qui venait d'annuler le dernier acte pour laisser place à Cynthia Lawrence (dans ces cas là, il vaut mieux ne pas être cardiaque).

30 minutes pour convaincre
N'ayant qu'un acte à chanter, Cynthia Lawrence y mettra tous ses moyens : puissance, véhémence, sans sacrifier la ligne vocale et composant un vrai personnage ; avec tout ça, une véritable bête de scène.
Pour qui apprécie les sensations fortes, voilà une jeune artiste à suivre et qui nous gratifie du saut de la mort le plus spectaculaire qu'il m'ait été donné de voir (et j'ai plus de 30 Tosca au compteur !) : ça démarre par un dégrafage de corsage (jeté à la figure de Spoleta) puis par une espèce de "Ola" comme dans les stades chers à Luciano (on touche les pieds avec les mains puis on se relève en tendant les bras vers le ciel), pour finir par un saut périlleux arrière qui soulève un triomphe d'applaudissements mêlés de cris divers (exclamations horrifiées, commentaires, cris de stupéfaction joyeuse...). Au moins, on reste dans l'ambiance Barnum : après le phoque blessé à mort, la femme canon.

Une Floria idéale... pour Luciano !
Remise de sa méforme, Carol Vaness ne convainc pas vraiment le 13 : principalement préoccupée par le désir de ne pas rater ses notes, l'artiste peine à incarner une diva ; à vrai dire, même en pleine possession de ses moyens, Carol Vaness n'était déjà pas une Floria Tosca, que dire aujourd'hui, alors que la voix a beaucoup perdu de sa fraîcheur... D'autant que Vaness n'a pas su évoluer à l'instar d'une Olivero ou d'une Scotto, capables de compenser leurs problèmes vocaux par la magie, unique, de véritable "diseuse" de texte.
Au global, une performance ni indigne, ni inoubliable, certainement pas à la hauteur de l'événement... mais peut-être aussi la partenaire qu'il fallait pour ne faire ombrage à un ténor finissant.

Les vieux de la vieille
Saluons enfin des comprimari exceptionnels et en particulier quelques vétérans : James Courtney (un perdreau de l'année, toutefois, à côté des suivants), l'impayable sacristain de Paul Plishka et surtout l'inusable Charles Anthony qui, à la première représentation (le 6 mars), verra fêter le 50ème anniversaire (1) de ses débuts au Metropolitan !

Et le Diable dans tout ça ?
Je n'avais pas vu Samuel Ramey incarner Scarpia depuis plus de 10 ans ; en 1991, à Londres, face à Behrens et Schicoff véritablement déchaînés, il m'avait fait l'impression d'un diablotin trop noble et trop bien chantant pour un aussi sinistre personnage.
Le contraste avec ce souvenir est saisissant : la voix est noire, dure, un peu métallique, en accord avec un personnage simplement et purement mauvais. Ici, pas de sadisme raffiné : Ramey reste un chanteur instinctif, animal, qui incarne ici la noirceur à l'état pur.
Etonnamment, la voix a également perdu une partie du vibrato envahissant qui l'affectait récemment (et ne parlons pas du volume : un torrent de décibels !).

Au passif, les aigus sont plus difficiles (et le second "Mia !" carrément hors d'atteinte) : d'ailleurs, ayant sans doute trop forcé le soir du 10, le grand Sam se trouvera carrément, le 13, en grande difficulté à la fin de l'acte II, obligé de descendre une ou deux répliques à l'octave.

Il n'en reste pas moins qu'il offre là une composition absolument remarquable et montre ainsi une capacité de renouvellement comme seuls en sont capables les plus grands artistes, transformant en qualités dramatiques les défauts liés à son indéniable usure vocale.

Et Dieu dans tout ça ?
Salué à son entrée par un tonnerre d'applaudissements, Pavarotti apparaît très diminué physiquement : il a de nouveau grossi et ses jambes refusent clairement de le porter trop longtemps (2). L'illustre ténor ne fait donc plus que les quelques pas strictement nécessaires : ainsi, au premier acte, il s'installe, dès son entrée, à moitié assis devant son chevalet ; il n'en bougera pratiquement plus jusqu'à sa sortie (3).Au fil des actes, des verres remplis d'eau sont même placés aux endroits stratégiques pour lui permettre de se désaltérer à intervalles réguliers !

Vocalement, le déclin est plus qu'indéniable : il y a un abîme entre ces représentations et les précédentes, lesquelles ne témoignaient que d'une usure régulière d'un spectacle à l'autre.
Le souffle est court, qui l'oblige en permanence à accélérer des fins de phrases en anticipation de l'orchestre (et Levine, qui roupille gentiment dans la fosse, ne l'aide pas beaucoup (4)) ; quelques phrases sont transposées vers le bas ; surtout, le volume est devenu extrêmement ténu, comme si Pavarotti chantait pour le micro (heureusement, grâce à l'acoustique exceptionnellement favorable du Metropolitan, la voix passe toujours miraculeusement la rampe), et Luciano ne donne vraiment de la voix que sous la pression (par exemple lors du duo final).
Et pourtant, ce timbre unique est toujours là : incomparable malgré les outrages du temps et qui nous renvoie à nos souvenirs, ceux d'un Luciano à son zénith.
Plus important encore, Pavarotti donnera tout pour cette dernière représentation : pleure-t-il effectivement lorsqu'il chante son dernier "E lucevan le stelle" ? Nous ne le saurons vraisemblablement jamais. Il n'en reste pas moins qu'il le chante comme jamais il n'aura essayer de le faire : certes, les moyens ne sont pas au rendez-vous des intentions, mais celles-ci, Luciano nous en fait cadeau pour la première et la dernière fois, réservant au public de cette soirée unique des accents désespérés qu'on n'espérait plus de lui.
Pour ces quelques secondes uniques.
Pour votre carrière exceptionnelle.
Merci Maestro.
  


Placido Carrerotti
Notes

1. 2880 représentations et 110 rôles : un véritable record pour ce pilier de l'institution !

2. Au moins se déplace-t-il tout seul : lors de ses Calaf de 1997, de solides figurants le soulevaient de terre pour le planter devant le trou du souffleur ; et revenaient le chercher à la fin de chaque scène, ce qui donnait une aura véritablement pathétique à ses interventions (on pense aux dernières heures de Sarah Bernhardt). 
Lors de l'Aida de 2001, une chaise faisait partie du butin porté en triomphe : et Luciano-Radames d'étrenner cet étonnant fruit de l'artisanat éthiopien pour attendre tranquillement la fin du défilé !

3. Je ne reviendrai pas sur la mise en scène : si Dieu me prête vie, j'aurai encore maintes fois l'occasion de le faire dans ces colonnes, tant la production parait vissée aux murs !

4. Je n'ai pas un mot à changer à ma critique de mai 2002 : "Au pupitre, James Levine déçoit. Certes, il fait ressortir des richesses inédites d'orchestration, mais il se complait dans des tempi lymphatiques qui enlèvent toute tension dramatique à l'oeuvre" ; on pourrait même ajouter qu'il ne rend guère service à Luciano : "le premier routier de théâtre venu" aurait su composer avec les faiblesses de Pavarotti en l'accompagnant amoureusement comme un pianiste de récital : par sa direction anti-théâtrale, James Levine souligne, au contraire, tous ses défauts.

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