OPERAS - RECITALS - CONCERTS LYRIQUES
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LONDON
26/01/2008


Anna Netrebko © DR
 

Giuseppe VERDI

LA TRAVIATA

Livret de F.M. Piave d’après Dumas Fils


Production : Richard Eyre
Reprise par : Patrick Young
Décors : Bob Crowley
Dramaturgie : Jane Gibson
Lumières : Jean Kalman

Direction : Maurizio Benini


Orchestre et Chœurs du Royal Opera


Violetta : Anna Netrebko
Alfredo Germont : Jonas Kaufmann
Giorgio Germont : Dmitri Hvorostovsky
Baron Douphol : Eddie Wade
Docteur Grenvil : Mark Beesley
Flora : Monika-Evelin Liiv
Marquis D'Obigny : Kostas Smoriginas
Gastone : Ji-Min Park
Annina : Sarah Pring
Guiseppe : Neil Gillespie
Un messager : Charbel Mattar
Un domestique : Jonathan Coad

Londres, le 26 janvier 2008

VIOLETTA TIENT LA FORME


L’hyper médiatisation d’Anna Netrebko a transformé en événement cette reprise de La Traviata : après les billets pris d’assaut, les critiques de la presse non spécialisée ont jailli dès la première, unanimement dithyrambiques, insistant davantage sur la jeunesse, la plastique et le tempérament de la jeune diva que sur ses qualités vocales. De quoi laisser perplexe quand on a été refroidi par des performances mitigées comme celle des Puritani ou de Roméo et Juliette.

Disons le tout de suite, nos appréhensions ont vite été balayées par la performance du soprano russe. Dès son premier duo avec Alfredo, la chanteuse fait montre d’une remarquable qualité d’expressivité, variant les couleurs et la dynamique avec une grande intuition dramatique, évitant le piège du maniérisme. Il en sera de même tout au long du spectacle, la qualité essentielle de sa Violetta étant qu’elle est profondément « naturelle ». Nous lui pardonnerons donc ses habituelles approximations techniques, essentiellement perceptibles dans le grand air du premier acte. Dans cette page plus technique, le chant n’est pas toujours très juste, les vocalises un peu savonnées, et le souffle mal géré : Netrebko reprend ainsi deux fois sa respiration dans les glissades chromatiques de « I voluttà ne’ vortici perir ». Néanmoins, l’artiste sait insuffler une passion irrésistible, ne serait-ce que par un volume sonore décoiffant ! Il ne manque que vraiment que le mi bémol final (une note qui ne lui posait pourtant pas de problème il y a un an) qui aurait couronné la scène.
C’est sans doute le deuxième acte qui convient mieux à la chanteuse, le livret lui donnant l’occasion d’un jeu en demi-teinte. Au troisième acte, on appréciera les deux couplets bien différenciés de l’ « Addio del Passato », précédés d’une lecture de la lettre sobre et émouvante. On aurait toutefois préféré que les énormes moyens de la chanteuse soient un peu canalisés afin que notre Violetta n’apparaisse pas à ce point en pleine forme au moment de mourir ; de même, il n’est pas nécessaire d’apparaître hilare et rouge de plaisir dès le premier salut. En conclusion, une belle interprétation, sans doute pas à la hauteur du délire médiatique qui l’accompagne, mais parmi les meilleures qu’on ait pu entendre ces dernières années.

Après Paris et New-York, nous retrouvons Jonas Kaufmann en Alfredo. Bénéficiant de l’acoustique favorable de Covent Garden, le ténor est un peu plus percutant que lors de ces précédentes performances, sans pour autant convaincre véritablement. Le premier acte est d’ailleurs à peine audible. Au deuxième acte, « Dei miei bollenti spiriti » manque comme d’habitude de legato mais est racheté par une cabalette chantée avec l’urgence dramatiquement nécessaire (1). C’est surtout dans la seconde partie de l’acte et dans le troisième que le chanteur convainc finalement, plus à l’aise sans doute dans les pages dramatiques que dans ceux plus belcantistes.

Dmitri Hvorostovsky est, pour moi, la vraie grande surprise de la soirée : certes, les talents de l’artiste sont connus, y compris dans Verdi, mais le rôle de Germont est autrement plus tendu que celui de Posa ou de Boccanegra. Or, l’aisance dont fait preuve le baryton russe est tout simplement confondante. Timbre intact, legato unique, maîtrise du souffle, insolence de l’aigu (2) … c’est tout simplement exceptionnel : son « Di Provenza », complété d’un couplet de la cabalette, habituellement coupée, est absolument unique : il valait à lui seul le voyage. Ajoutons à cela une évidente complicité avec sa compatriote qui fait de leurs duos de grands moments de théâtre et de musique.

On en rentrera pas dans le détail des comprimari, généralement bien tenus, soit par de vieux routiers de la maison soit par de jeunes artistes bénéficiant du programme de formation de la maison.

Dans la fosse, Maurizio Benini déçoit un peu par une rudesse de tempo mal maîtrisé (les décalages avec le plateau sont fréquents) : face à de tels fastes vocaux, on souhaiterait plus de rubato et d’abandon hédoniste.

La mise en scène est de facture classique, avec des décors superbes mais sans faste écrasant. Elle vaut surtout par une dramaturgie particulièrement aboutie, fourmillant de détails (un regard, une hésitation…) d’une incroyable richesse et d’une profonde justesse.

La Traviata est l’un des ouvrages les plus joués du répertoire et il est facile d’en être blasé : mais cette soirée a su renouveler la magie de ce chef d’œuvre. Grace à Dmitri et à la belle Anna.


Placido Carrerotti

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(1) Précisons pour les amateurs de notes aigues que la cabalette est ornée d’un contre-ut pour une fois stable et généreux ; mais qui Kaufmann croit-il tromper (dans la salle) en murmurant les phrases qui précèdent afin d’économiser son souffle ? Il est vrai que la soirée était enregistrée par la BBC et que cet artifice « passera » sans doute à la retransmission.
(2) Le baryton s’amuse même à des variations sur « Deh, non mutate in triboli, le rose dell’amor » dans son duo avec Violetta.

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