Catherine Scholler

1- Ex nihilo

Les renseignements directs sur la genèse de Cosi fan tutte sont quasi-inexistants. Il est communément admis qu’il s’agit d’une commande de l’empereur Joseph II, basée sur une histoire réellement survenue à Vienne à l’époque. En fait, rien ne prouve la véracité de cette rumeur.
Il serait en effet assez curieux que Mozart, toujours exigeant quant aux qualités dramatiques des livrets qu’il mettait en musique, ait pu accepter ce sujet sans discussion, s’il ne s’agissait que de mettre en musique une vulgaire histoire de travestissement, sans l’objectif de transcender cette intrigue un peu simplette.
Si l’on se penche sur les références théâtrales et les précédents à Cosi, on aboutit à quelques œuvres, en particulier Céphale et Procris, tiré des métamorphoses d’Ovide, et l’opéra la grotta di Trofonio de Salieri, que tout le monde cite mais que personne n’a jamais entendu.
Toute filiation directe apparaît ainsi improbable. Les opéras précédents du tandem Mozart – Da Ponte : Don Giovanni, les nozze di Figaro, sont inspirés d’œuvres célèbres, Cosi, lui, semble sortir du néant.
On peut raisonnablement en déduire que son origine est tout simplement dans l’air du temps, celui du siècle des lumières. Et de quoi est-il donc fait, l’air du temps, à la fin du XVIIIème siècle ?

 

Eh bien, songeons au film « ridicule », aux liaisons dangereuses…L’air du temps est cynique, épris d’équivoque, basé sur le goût du jeu, et du jeu à l’intérieur du jeu. L’ambiguïté est une composante fondamentale de la culture des lumières. C’est ainsi que la vraie nature des sentiments de Ferrando pour Fiordiligi demeure et demeurera pour toujours un mystère.
La fin de l’opéra laisse l’auditeur en pleine incertitude quant aux pensées réelles des protagonistes. Ne subsistent qu’une impression de cruauté, une atmosphère de désenchantement et d’amertume. Ecrit par un Mozart en pleine détresse morale, abandonné de tous, qui a de gros soucis financiers et dont la santé décline, l’opéra entier paraît placé sous le signe d’un désespoir feutré.
Nous ne sommes également pas si loin de l’époque de Rousseau et de l’Emile. On parle beaucoup d’éducation. Cosi est aussi un opéra initiatique, à l’issue duquel les quatre protagonistes devront être guéris de leurs a priori ridicules sur l’amour. Cette composante devait être importante dans l’esprit de Mozart, il nous appartient de ne pas la sous-estimer, ne considérant le livret qu’à travers le prisme de notre époque.