Catherine Scholler

2- C’est beau comme les mathématiques…


Le sujet est si simple qu’il peut se résumer en deux phrases : pour satisfaire un pari stupide, deux freluquets échangent leurs fiancées, perruches gâtées qui n’ont jamais souffert, à la faveur d’un déguisement. A la fin, les couples initiaux se reforment, tout rentre dans l’ordre.
Le monde de Cosi est complètement artificiel. L’intrigue proprement dite est invraisemblable, Il n’y a pas de contexte social, pas de liens familiaux, aucune action secondaire, rien d’autre qu’un cadre logique et irréaliste. Cet opéra a la beauté de l’épure : il correspond à un modèle, au sens de modèle mathématique, destiné à illustrer un théorème. Les situations sont délibérément archétypales, afin de donner plus de beauté à la démonstration.
Et comme des archétypes, les personnages cessent de souffrir au finale (fortunato l’uom che prende ogni cosa pel buon verso…heureux celui qui voit toujours les choses du bon coté, chantent-ils en cœur), ils n’ont plus de sentiments, la démonstration est terminée. Les hommes sont guéris de leur vanité, les filles de leur inconstance, tous le sont de leur ignorance de soi et du monde. Ils sont rendus à la raison, ils sont devenus adultes. L’amour ne vaut rien sans la raison, CQFD, fin, passez votre chemin. N’oublions pas que le titre complet de l’œuvre est : « Cosi fan tutte, ossia la scuola degli amanti ».
D’où nous vient alors ce mauvais goût d’amertume sitôt la dernière note envolée ?
En fait, si les situations sont caricaturales, par la grâce de la musique, les quatre amoureux, eux, sont dotés de sentiments humains, trop humains. Ils nous semblent vivants, faits de chair et de sang, ils souffrent…Et une expérimentation comme celle-ci effectuée sur des personnes vivantes, c’est une vivisection !
Cette expérimentation au scalpel sur êtres vivants aboutit également à la conclusion suivante : l’amour, l’amour heureux tout du moins, n’existe pas. Les cœurs sont aveugles et l’amour n’est que dérision. Toutes choses que nous n’aimons guère entendre. Il y a de quoi être atterré.
Un autre aspect du livret, bien souvent occulté, est qu’il s’agit d’une histoire libertine, voire grivoise. Da Ponte a truffé son texte d’allusion : la coda del diavolo, les « moustaches » de Guglielmo, le caldo desio, allusions recherchées que nous sommes de nos jours difficilement à même de détecter instantanément. Cette grivoiserie était perçue par les contemporains, elle était peut être même un des ressorts du livret. C’est à partir du XIXème siècle, qui avait déjà rabaissé Cosi au rang d’opérette, qu’on ne comprend plus que les couples ont « consommé »…