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Richard WAGNER

DER FLIEGENDER HÖLLANDER

Direction musicale - Woldemar Nelsson
Mise en scène - Harry Kupfer

Le Hollandais - Simon Estes
Daland - Matti Salminen
Senta - Lisbeth Balslev
Erik - Robert Schunk
Mary - Anny Schlemm

Orchestre et Choeur du Festival de Bayreuth 1985

1 DVD Deutsche Grammophon


Ne jouons pas aux nostalgiques, mais tout de même, quand on songe que ce Vaisseau Fantôme alterna le temps de trois étés avec le Ring de Boulez et Chéreau, cela fait quelque peu rêver sur le niveau artistique du Festival de Bayreuth de ces années-là...

Les esprits chagrins trouveront la partie musicale oubliable, pourtant - est-ce l'influence de l'image ? (nous ne le pensons pas, pour avoir aussi longuement écouté le seul CD) - , nous la trouvons pour notre part superbe, à commencer - cela ne surprendra personne - par des choeurs et un orchestre somptueux (quels cors !).

La direction de Wodelmar Nelsson est épique et met parfaitement en valeur la dureté de la version originale de l'ouvrage (les 3 actes s'enchaînent sans interruption, le thème de la rédemption ne conclut pas l'ouverture ni la fin de l'opéra qui se termine par de violents accords).

La distribution, superlative, est d'une grande homogénéité.

Simon Estes est à son meilleur dans le rôle du Hollandais Volant : timbre prenant, ampleur de la voix, solidité sur les différents registres, incarnation sobre mais d'une grande force. Lisbeth Baslev possède des qualités similaires, une voix superbe qui couvre les différents registres avec la même assurance, la même solidité. Son duo avec le Hollandais est particulièrement puissant. 

Daland est sans doute l'un des meillleurs rôles de Matti Salminen. On n'a plus à vanter les qualités de ce chanteur impressionnant. Là encore, timbre, puissance, assurance, le tout associé à une "bonhomie" de l'incarnation parfaitement adaptée au personnage, font absolument merveille. Robert Schunk campe un Erik fruste et sans grande délicatesse, mais après tout, n'est-ce pas là ce que doit être ce personnage de chasseur dont le drame qui se joue semble le dépasser et qui ne sait pas trouver les mots pour reconquérir Senta ? A ce titre, nous le trouvons parfait. Le Pilote du jeune Graham Clark est lui aussi sonore et installe un personnage moins falot que ceux que l'on a l'habitude d'entendre parfois.
On pourra trouver que l'ensemble manque parfois de finesse, mais l'énergie qui se dégage de cette interprétation est d'une force qui emporte tout, telle une tempête en haute mer, et convient parfaitement à cette version d'un seul tenant.

Même force dans la vision scénique de Harry Kupfer qui installe le personnage de Senta (et non celui du Hollandais) au centre de tout. Présente sur scène en permanence, Senta vit toute l'histoire qui se déroule sous nos yeux en serrant le portrait du Hollandais dans ses bras comme s'il était la clé de l'évasion d'un monde dont elle se sent prisonnière, un monde étouffant, étriqué, fait de rigueur et de morale. Les femmes qui entourent Senta sont toutes plus guindées et inhibées les unes que les autres et sont dominées par le personnage de Mary, d'un hiératisme effrayant, qui trouve ici une réelle consistance. La vision de cette société renfermée sur elle-même vire au cauchemar dans le dernier tableau où tous arborent des visages de morts-vivants. Terrifiant. La jeune fille fuit aussi Erik, son fiancé gauche et pataud, ou même son père dont elle refuse l'étreinte lorsqu'il revient avec le Hollandais.

Senta se réfugie donc dans un rêve symbolisé par ce portrait d'un inconnu et par une passerelle dont elle ne descend que pour affronter ces êtres qui l'enferment davantage dans son rêve. Le point culminant en est la rencontre avec le Hollandais, qui apparaît dans un vaisseau de fleurs très kitsch, comme le prince charmant issu d'un livre de contes pour petites filles. Senta ne sait distinguer la réalité de ses rêves, et même cet homme que lui présente son père, elle ne veut le voir tel qu'il est mais tel qu'elle le phantasme. Aussi, dans le magnifique duo du deuxième acte a-t-on deux Hollandais sur scène : le "vrai", et le "faux". On ne peut être que fasciné par une telle pertinence et une telle intelligence scénique.

Le rêve se mue en cauchemar (l'admirable scène des marins du troisième acte) puis tourne à la folie. Senta reste insensible aux derniers appels du réel, incarné par Erik ou son père. Voyant son rêve s'enfuir, elle se rue en haut de sa passerelle et se jette dans le vide. Nous retrouvons son cadavre dans la rue du village, et dans un dernier effet scénique, les volets des maisons se referment violemment, symbole percutant d'une société aveugle et muette à tout ce qui n'est pas dans l'ordre moral qu'elle s'est fixé.

On pourrait beaucoup dire encore de cette mise en scène confondante d'autant plus convaincante qu'elle est parfaitement réglée (changements de décor, éclairages impeccables), et servie par des chanteurs totalement investis dans leur personnage. On ne peut oublier le visage halluciné de névrosée de Lisbeth Baslev, il nous hante longtemps encore après la vision de ce DVD indispensable à tout wagnérien.
 

Pierre-Emmanuel LEPHAY




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