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Giovanni PACINI (1796-1867)

Alessandro nelle Indie


« Dramma per musica » en deux actes de Giovanni Schmidt et Andrea Leone Tottola
d’après Pietro Metastasio, créé au Teatro San Carlo de Naples, le 29 septembre 1824

Alessandro : Bruce Ford
Poro, Re d’una parte dell’Indie : Jennifer Larmore
Cleofide, Regina d’un’altra parte dell’Indie : Laura Claycomb
Timagene, confidente d’Alessandro : Dean Robinson
Gandarte, generale delle armi di Poro : Mark Wilde

Geoffrey Mitchell Choir
London Philharmonic Orchestra
David Parry

Enregistré au « Henry Wood Hall » de Londres, novembre 2006

Durées : Cd 1, 47’29 &  Cd 2, 46’11 (Acte I)
Cd 3 (Acte II), 67’55
(Durée totale : 2h. 41mn. 35s.)

Texte de présentation en anglais ;
résumé de l’intrigue en anglais, français, allemand et italien
texte chanté du livret en italien et anglais,
didascalies en anglais seulement

Opera Rara ORC35




Giovanni Pacini ou comment se dégager du « rossinisme »


Le 19 novembre 2006 avait lieu le concert de la première reprise moderne de cet Alessandro nell’Indie (ou Alessandro nelle Indie) que nous propose Opera Rara, avec sa passion habituelle. On découvre une précieuse plaquette, riche d’illustrations mais également des vingt-et-une pages du précieux commentaire de Jeremy Commons, spécialiste de l’opéra romantique italien. Peut-être, tout au plus, Opera Rara pouvait-elle mettre l’œuvre plus à la portée de l’auditeur en l’éditant en seulement deux CDs de 80 minutes…

Giovanni Pacini et l’émouvante création de Alessandro nelle Indie
Giovanni Pacini est très probablement le seul compositeur d’opéra du Romantisme italien ayant laissé des mémoires et il se trouve qu’il a consacré un long récit à ses débuts sur cette « très difficile scène », selon son expression, du fameux Teatro San Carlo de Naples. Selon deux listes d’oeuvres établies, cet opéra serait soit le 25e des 73 de son auteur (Thomas G. Kaufman), ou le 26e sur 74 (Thomas Lindner). Autrement dit, Pacini avec Alessandro, en était au tiers de son importante production et n’avait donc pas encore débuté avec une commande officielle pour Naples. Il lui fallait affronter le climat d’une création, c’est-à-dire l’absence de réaction du public, se consolant comme il le pouvait, avec le fait que « le géant pésarais [Rossini] avait subi le même sort ». Avec ce mélange de sagacité bonhomme et d’autodérision romantique que l’on retrouve notamment dans les lettres de Donizetti, Giovanni Pacini raconte : « On commence les répétitions. Un silence décourageant se maintient de la part des exécutants ». Il poursuit, en proie à la même émotion : « l’orchestre était dirigé par l’empereur des chefs, Giuseppe Festa, lequel […] observait la même réserve muette que les artistes, veillant pourtant à ce que l’exécution fût parfaite. Ce fut à vrai dire seulement alors que j’appris en quelle manière on devait accompagner les chanteurs, attendu que 30 violons, 8 altos, 8 violoncelles et 12 contrebasses semblaient un seul instrument. »
Ce passage nous montre que le concept de chef d’orchestre ne naît pas au tournant du XIXe siècle, à l’époque de Verdi et avec notamment le fameux Angelo Mariani, mais existait dès 1824. Du reste Pacini ajoute une note fort intéressante, expliquant comme Festa « assistait à toutes les répétitions au clavecin, et lorsqu’il avait compris les intentions de l’auteur, il pensait à en tirer des effets tels que le compositeur lui-même n’en avait jamais imaginés. »

« Un silence parfait règne durant l’exécution tout entière !… Aucun applaudissement aux artistes, et par conséquent non plus au pauvre maestro. », poursuit le compositeur qui vient de se nommer ainsi. Plus anxieux encore au moment de la deuxième représentation, le « povero maestro » (qui n’avait pas dormi de la nuit) voit arriver le chargé de communication, dirait-on aujourd’hui, annonçant la présence du roi ce soir-là dans la salle. Se tournant vers Pacini, le chambellan ajoute : « Maestro, pour ce soir tu n’auras pas de sifflets. », et Pacini de répondre un « Ah ! » que l’on imagine de piètre consolation. L’étiquette interdisait en effet les manifestations lors d’une présence royale, donc, pas de sifflets, certes… mais pas d’applaudissements non plus ! Par chance pour Pacini, le roi apparemment enthousiasmé par la manière dont la célèbre Adelaide Tosi chanta le récitatif de son air d’entrée, exclama « un sonore Brava ! », note Pacini, bientôt répercuté dans toute la salle par les spectateurs. On en arrive à « la proposition de la cabalette, exécutée de manière incomparable par l’orchestre ; dont le motif plutôt charmant et élégant (qui devint ensuite très populaire) plaît, par conséquent l’auditoire redouble d’attention. – La cantatrice s’anime, et un retentissant Brava ! et Bravo maestro ! est unanimement prononcé à la fin de la période. » Il faut préciser, et nous en reparlerons plus loin, que ce motif renferme, en ses quelques secondes d’exécution, la signature, la « patte », en quelque sorte, irrésistible de séduction, de Giovanni Pacini ! Le da capo ou reprise de la cabalette a lieu, puis « S. M. donne le signal de l’applaudissement, et tout l’auditoire de cette salle comble exclame un cri de véritable enthousiasme. A une telle métamorphose imprévue je croyais rêver ! Je ne puis cacher mon émotion ».
C’est alors que le premier contrebassiste le congratule en lui disant qu’il a gagné une grande bataille et qu’il demeurerait longtemps parmi eux. Quarante-trois années de collaboration avec le Teatro San Carlo devaient confirmer ces dires, nous laissant des titres connus, comme la splendide Saffo (1840), ou qui nous font rêver, car souvent composés sur un livret dû à la plume romantique au possible de Salvatore Cammarano, comme Stella di Napoli (1845), Malvina di Scozia (1851)… jusqu’à Berta di Varnol (1867), le dernier opéra du Maestro, créé jour pour jour, huit mois avant sa disparition.

Quel style pour Alessandro nelle Indie ?

De Giovanni Pacini, précisément, on connaît suffisamment de ses œuvres de maturité, pour ainsi dire, comme la superbe Saffo ou les électrisantes Medea et Maria regina d’Inghilterra, datant des années 1840, pour rêver à découvrir plutôt La Fidanzata corsa (1842), ou trois opéras créés en cette fabuleuse année 1845 : Lorenzino de’ Medici, Bondelmonte et Stella di Napoli (dont des extraits prometteurs furent ressuscités en décembre dernier à Catane). Il serait également intéressant de connaître ce que produisait le « vieux » Pacini, confronté à l’ombre gigantesque du Verdi de la maturité, de même que l’on sait aujourd’hui ce que « pouvait » Mercadante dans la même confrontation improbable, grâce à la reprise en Espagne de son Pelagio, dernier opéra achevé du compositeur et datant de 1853, c’est-à-dire de La Traviata !
Cette observation posée, on trouve néanmoins dans cet Alessandro, un élan, une flamme, une manière plus débridée et romantique, tandis que le style de Rossini est certes imprégné de Romantisme, mais « frémit » de cette écriture mousseuse, champagnisante, de cette patte bien dans son style. Pacini, quant à lui, fermente de cet asti spumante sucré et au goût de raisin, que lui-même, les grands Bellini et Donizetti, et même le laborieux Mercadante verseront pour le bonheur des passionnés les redécouvrant aujourd’hui.
Citons quelques particularités notables : les impressionnants accords initiaux, inhabituels pour l’époque, suivis d’un chœur de lamentations à la sensible et touchante écriture. Dès l’exposition du motif de la cabalette de Cleofide, qui frappa tellement l’auditoire (et dont le compositeur parle dans ses mémoires), on reconnaît la signature de Pacini : un allant presque espiègle dans la partie de la flûte, corrigé d’une bouffée de nostalgie des violoncelles. On remarque d’autre part un signe distinctif d’évolution dans le fait que les morceaux, au lieu d’une habituelle conclusion orchestrale, en possèdent une qui fait transition et les relie au morceau suivant, trait de modernisme pas si courant en 1824, aussi bien chez Rossini que chez Donizetti ou Mercadante. L’ensemble concertant du Finale I° est plus construit, plus complexe que celui du grand Finale I° de Saffo par exemple, et offrira plus d’intérêt aux oreilles des techniciens de la musique. Cependant l’amateur lui reconnaîtra certes une belle habilité dans l’art d’assembler l’expression de sentiments contrastés, mais sentira qu’il ne dégage pas la même vibration, la même séduction poignante donnant la chair de poule. En revanche, comme motif de la Stretta du même Finale, Pacini trouve une mélodie prenante car reflétant bien l’amertume et l’anxiété ressenties – pour des raisons diverses - par chacun des personnages.

L’interprétation

Laura Claycomb, en « Cleofide, Reine d’une autre partie des Indes », de son timbre uniformément rond et agile, se joue des vocalises et embellissements de la ligne vocale, encore abondantes à l’époque, et propose dans les da capi des cabalettes une belle maîtrise de la colorature.
Jennifer Larmore, dans le rôle travesti de « Poro, Roi d’une partie des Indes », offre d’emblée un contraste avec sa « collègue », déjà par sa prononciation laborieuse de l’italien, et par ses aigus coupants ou forcés (au point parfois de frôler l’approximation), sans parler de l’extrême aigu « coincé » et peu agréable. La colorature, surtout rapide, à la Rossini (seulement voilà, nous ne sommes pas chez Rossini…), lui convient plus que le chant « spianato » c’est-à-dire offrant une ligne mélodique épurée. Néanmoins, elle se tire bien de l’air final, confié à son personnage, central dans l’intrigue.
Bruce Ford (Alessandro) est toujours aussi à l’aise dans l’opéra romantique italien. L’intelligence du texte, la sensibilité de l’interprète et une belle générosité d‘émission, viennent compenser la chaleur que son timbre particulier ne semble pas posséder.
Les rôles secondaires sont efficacement tenus par Mark Wilde et Dean Robinson, dont on sent les efforts (parfois laborieux) dans la prononciation de l’italien.
L’excellence et la précision du Geoffrey Mitchell Choir ne méritent que des éloges. David Parry, avec le prestigieux London Philharmonic Orchestra ne donne plus, comme autrefois, l’impression « de vouloir tout casser », selon l’expression consacrée. Certes, on sent toujours la froide réverbération du son consécutive à l’exécution dans un studio sans public, mais bien moins qu’à l’époque où Opera Rara utilisait des églises comme studio d’enregistrement. On peut toutefois regretter qu’il ne s’agisse pas au moins d’un concert, à une époque où bien des firmes ont accepté le principe (et du reste Opera Rara a fini par s’y mettre, avec Roberto Devereux, Il Diluvio universale et Dom Sébastien). On demeure évidemment conscient des problèmes que pose le fait d’enregistrer en une seule « prise », l’exécution d’une œuvre et d‘un compositeur peu fréquentés et nécessitant des reprises, précisément, et des recommencements.
David Parry, faisant montre d’une nouvelle souplesse, pour ainsi dire, a d‘autant plus de mérite, le bon et fébrile Pacini n’étant pas le dernier à utiliser la fameuse « banda in scena » ou fanfare sur la scène, aujourd’hui si encombrante et problématique aux exécutions modernes.

Jusqu’ici on savait comment Donizetti et Bellini se dégageaient peu à peu, en ces années 1820, du rossinisme, mais cet enregistrement d’Alessandro nelle Indie nous fait constater avec plaisir que le « collègue » Giovanni Pacini faisait de même, et marchait vers son style si chaleureusement fluide et séduisant.
En conclusion, si l’auditeur curieux de découvrir Pacini devrait plutôt se tourner vers l’envoûtante Saffo, le passionné de Pacini (oui, cela existe !), ou d’opéra romantique italien, se précipitera sur ce beau coffret.



Yonel BULDRINI


(1) l’auditeur se révélant touché par le style de Giovanni Pacini, on ne peut que recommander la promenade dans l’intéressant site dédié au plus illustre et inspiré collègue de Donizetti, passionnément tenu et enrichi par son créateur Daniel Foley : www.giovannipacini.com



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