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Richard STRAUSS (1864-1949)

Ariane à Naxos


Opéra en un acte précédé d’un prologue
Livret de Hugo von Hofmannsthal

Mise en scène : Claus Guth
Décors et costumes : Christian Schmidt
Dramaturgie : Ronny Dietrich
Lumières : Jürgen Hoffmann

Primadonna/Ariane : Emily Magee
Zerbinetta : Elena Moçuc
Le Ténor/Bacchus : Roberto Saccà
Le Compositeur : Michelle Breedt
Le Maître de Musique : Michael Volle
Le Maître de Danse : Guy de Mey
Le majordome : Alexander Pereira
Arlequin : Gabriel Bermudez
Scaramouche : Martin Zysset
Truffaldino : Reinhard Mayr
Brighella : Blagoj Nacoski
L’officier : Randall Ball
Un perruquier : Andrew Ashwin
Un laquais : Ruben Drole
La Naïade : Eva Liebau
Dyad : Irène Friedli
Echo : Sandra Trattnigg
Association des Figurants de l’Opéra de Zurich

Orchestre de l’Opéra de Zurich
Direction musicale : Christoph von Dohnanyi

1 DVD TDK, 8 24121 00238 1




Ariane au Restaurant

Renouant avec les opéras seria qui avaient le Dramma per musica pour ancêtre direct, Richard Strauss a voulu, avec Ariane à Naxos, faire la part entre le « Prologue », peinture réaliste (et quelque peu cynique) de la création d’un opéra, et l’ « Opéra » en question, tantôt seria tantôt buffa, dont les lieux sont enchantés et les personnages, soit burlesques soit divins. L’œuvre qui en résulte apparaît comme une brillante synthèse de tous les genres ayant jalonné l’histoire de l’art lyrique, mais demeure en conséquence quelque peu décousue, et complexe à cerner.

Est-ce pour cette raison que Claus Guth met « tout à plat » ? Dans son spectacle, tout semble réaliste. Rien ne paraît distinguer l’action du prologue et celle de l’opéra. Dans une coulisse, le Compositeur, amant de la Primadonna, finit par se suicider. Puis l’on retrouve Ariane en train de se morfondre dans une copie conforme d’un célèbre restaurant zurichois, la Kronenhalle ; Zerbinetta essaye de l’égayer un peu, mais toutes ses conquêtes ne sont pas pour consoler la tragique héroïne, qui alterne dangereusement entre le vin et les médicaments ; c’est alors que Bacchus arrive, jumeau ambigu du défunt compositeur, dont le fantôme hante silencieusement la scène. Dans les bras de son nouvel amant, simple réminiscence de la conquête précédente, Ariane se meurt. Arrivent alors le majordome (joué par le maître des lieux, Alexander Pereira), le maître de musique et le maître de danse, qui applaudissent et offrent des fleurs aux deux protagonistes tout en regagnant les coulisses grisâtres du Prologue. En une dernière évocation du « Théâtre dans le théâtre », patent tout au long de l’intrigue, Guth conclut alors royalement un spectacle qui, jusqu’à alors, était sur le point de s’éloigner définitivement du propos de l’œuvre.

On devine que la direction d’acteur n’est pas moins fouillée que l’idée directrice de ce spectacle ; les chanteurs, dont les déplacements sont réglés au millimètre, ont fort à faire, ce qui ne les empêche pas de servir honorablement leurs rôles. On retiendra avant tout Emily Magee, dont le timbre soyeux et le legato de rêve dévoilent une straussienne majuscule, Michelle Breedt, Compositeur exalté au travesti bluffant de réalisme, et le Maître de Musique aveugle de Michael Volle qui dessine un authentique amoureux des arts contraint avec résignation à l’opportunisme. La voix de Roberto Saccà est toujours raide, mais le ténor italien se sort magistralement de la tessiture délirante de Bacchus, tandis que la Zerbinetta d’Elena Moçuc fait oublier grâce à une présence délurée un aigu qui manque parfois d’aisance. Le Maître de Musique insinuant de Guy de Mey réalise un beau numéro, et le laquais de Ruben Drole porte bien son nom,… A leur image, la plupart des rôles secondaires ne manquent pas de truculence… dans le Prologue ! Bizarrement, lors de l’Opéra, Arlequin et tous les autres prétendants de Zerbinetta manqueront de fraîcheur et de drôlerie. Revers de médaille, sans doute, de l’analyse pointue proposée par Guth : seuls les principaux protagonistes s’avèrent marquants.

Mais le plus marquant de tous est sans doute Christoph von Dohnanyi ! Le grand chef allemand fait bien entendu autorité dans ce répertoire dont il connaît les moindres arcanes. Cette science aigue ne cède pourtant jamais la place à la routine, et au contraire Dohnanyi cherche toujours à extraire d’une superbe pâte orchestrale (malgré l’effectif réduit) le détail, tantôt burlesque, tantôt comique ou passionné, qui donnera le ton à la scène toute entière.

Parfois déroutant, ce DVD constitue une approche profondément intelligente d’Ariane à Naxos. Une mise en scène cohérente en dépit de sa froideur, un beau plateau et un grand chef : l’essentiel est (largement) sauf !

Clément Taillia




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