C  R  I  T  I  Q  U  E  S
 
...
[ Historique des critiques CD, DVD]  [ Index des critiques CD, DVD ]
....
......
Georg Friedrich HAENDEL (1685-1759)

ARIODANTE

Opéra en trois actes sur un livret anonyme
adapté de Ginevra, Principessa di Scozia d'Antonio Salvi (1708)
et inspiré de l'Orlando Furioso (Chants 4 à 6) de Lodovico Ariosto

Ariodante : Dame Janet Baker
Ginevra : Edith Mathis
Dalinda : Norma Burrowes
Polinesso : James Bowman
Lurcanio : David Rendall
Il Re di Scozia : Samuel Ramey
Odoardo : Alexander Oliver

London Voices 
Chef de choeur : Terry Edwards

English Chamber Orchestra
Direction : Raymond Leppard

Coffret de 3 CD
dans la série "Trios" de Philips N° 473 955-2
Septembre 2004
(réédition d'un enregistrement réalisé à Londres en décembre 1978)
Durée totale : 201 minutes


LA PASSION JANET...

Il y aura bientôt huit ans, le 16 janvier 1997, une mémorable version de concert d'Ariodante, dirigée à Poissy par Marc Minkowski, avec Anne-Sofie von Otter dans le rôle-titre, créa l'événement. Quasiment un an plus tard, en janvier 1998, la sortie de l'enregistrement de cette soirée, publié par DG (Archiv Produktion) en fut un autre , sans doute l'un des plus importants succès du disque baroque de ces dernières années, qui acheva de propulser Marc Minkowski et son orchestre sur le devant de la scène internationale, et consacra Anne-Sofie von Otter comme diva assoluta de tout premier plan.

En revanche, en 2001, lorsque l'Opéra de Paris monta cette oeuvre avec la même von Otter dirigée par le même Minkowski, à la tête du même orchestre (le reste de la distribution étant différent), la presse se déchaîna contre le spectacle, la mise en scène de Jorge Lavelli en particulier (ce qui, aujourd'hui nous semble bien surprenant compte tenu de tout ce que nous pouvons voir sur les scènes d'opéra), mais aussi contre les prestations du chef et de son interprète principale, allant jusqu'à remettre en cause ceux-là même que, quelques années auparavant, elle avait encensés.

Il n'empêche qu'indiscutablement, cet enregistrement de Poissy constitue aujourd'hui une référence, même si, avec le recul du temps, souvent indispensable à toute évaluation des choses, on peut pointer que deux versions d'une qualité non négligeable avaient été publiées auparavant.

Aujourd'hui, la réédition à prix "super éco" de l'Ariodante gravé en 1978 par Raymond Leppard avec l'English Chamber Orchestra, avec Janet Baker en tête d'affiche, risque bien, sans toutefois changer totalement la donne, de remettre quelque peu les pendules à l'heure, surtout lorsqu'on le compare également à celui, paru en 1995, sous la direction de Nicolas Mc Gegan, plutôt fraîchement accueilli par la critique, malgré la présence dans le rôle-titre d'une chanteuse aussi exceptionnelle que Lorraine Hunt.

On ne dira jamais assez à quel point l'inlassable travail de pionnier effectué par Raymond Leppard a contribué à la renaissance de la musique baroque, et a tiré bien des oeuvres de l'oubli, même si, par la suite, son approche a pu paraître "démodée" à ceux qui, prenant sa succession, ont fini par le renier.

Force est de constater que ce disque bénéficie d'un plateau vocal exceptionnel, qui tient encore largement la route aujourd'hui, et que les tempi, globalement assez lents et somme toute peu contrastés, choisis par le chef, ne compromettent en rien la valeur de l'interprétation des protagonistes, en particulier de la plus divine de tous, Dame Janet.

Car le travail qu'effectua Leppard pour les oeuvres baroques en général et l'orchestre en particulier, Baker le fit pour le chant. Qui ne se souvient de ses bouleversantes incarnations de la Didon de Purcell, de la Pénélope du Retour d'Ulysse de Monteverdi, de l'Orphée de Gluck, (un DVD de Glyndebourne vient de paraître...) de son Jules César, à ce jour inégalé, de sa Cantate "Lucrezia", et j'en passe...La splendeur, la puissance, l'étendue et la chaleur de sa voix, sa musicalité, son impeccable technique et son investissement dramatique, constant et généreux, firent également d'elle une artiste exceptionnelle, qui marqua de manière indélébile tout ce qu'elle interpréta et enregistra. 

Cet Ariodante en fait partie, même si l'on peut déplorer aujourd'hui que la lenteur de certains tempi a pour effet direct de moins valoriser la virtuosité, pourtant réelle, des interprètes, surtout en ce qui concerne le rôle-titre, créé par le célèbre castrat Giovanni Carestini. Ceci est flagrant, notamment pour les arie "Con l'ali di costanza" (acte I) et "Tu, preparati a morire" (acte II), pris à un rythme de croisière paisible par Leppard et à une rapidité vertigineuse par Minkowski. Paradoxalement, le célébrissime "Scherza infida", étiré à l'infini par ce dernier : 11' 52, est plus rapide chez Leppard : 7'48 et chez Mc Gegan : 8'48. En revanche le solaire "Dopo Notte" est à peine plus lent chez Leppard et Mc Gegan que chez Minkowski.

Certes, la direction du chef français, à l'évidence plus contrastée, dramatique, vivante, sent le "live" et la scène, celles de Leppard et de Mc Gegan fleurant bon le studio, bien que la version du dernier ait été enregistrée dans la foulée des représentations du Festival Haendel de Göttingen.

Pour ce qui est de la voix, riche, chaude et puissante, la supériorité de Baker est incontestable. Son implication dramatique est comme toujours exceptionnelle, et son incarnation du preux et amoureux chevalier, véhémente et passionnée. Cependant, ses consoeurs, von Otter en tête, ne sont pas en reste au royaume du chant baroque, et si Baker triomphe dans un "Dopo Notte" éblouissant, von Otter et Hunt font leur miel d'un "Scherza infida" très différent, mais profondément bouleversant. A un tel niveau d'interprétation, on ne sait qui préférer : von Otter vocalise avec un style, une musicalité et une virtuosité proprement hallucinants, Hunt se situe dans la lignée de Baker pour ce qui est du déchirement et de l'engagement, sans en avoir, certes, les moyens vocaux. Dire qu'on préfère l'une ou l'autre relève du goût personnel de chacun, car artistiquement, ces trois dames sont irréprochables.

C'est certainement le reste de la distribution qui peut départager les avis, quoique, encore une fois, avec Leppard, la concurrence s'avère difficile. Malgré les qualités de Denis Sedov dans le rôle du Roi chez Minkowski, il faut bien avouer que Ramey est sensationnel. Lynne Dawson est magnifique en Ginevra, Edith Mathis l'est également. Veronica Cangemi est parfaite en Dalinda, Norma Burrowes ne l'est pas moins. On peut certes préférer Ewa Podles, somptueux Polinesso, à James Bowman, le rôle ayant été de toute façon écrit pour un contralto, mais le contre-ténor britannique est quand même un artiste inestimable. Quant au rôle de Lurcanio, il convient d'y réécouter le formidable David Rendall qui dame quasiment le pion au ténor pourtant superbe qu'est Richard Croft.

Il est certain que, Lorraine Hunt exceptée, le reste du plateau convoqué par Mc Gegan est plus modeste mais non dépourvu d'intérêt. On retiendra le Roi de Nicolas Cavallier, qui a fait, ô combien, ses preuves depuis, et la Dalinda de Lisa Saffer. Juliana Gondek en Ginevra n'est pas mal non plus, quoiqu'un peu compassée. Le point faible de la distribution est incontestablement le Polinesso de Jennifer Lane, qui, malgré un timbre plutôt intéressant, a des vocalises souvent difficiles. Moins brillant, certes, que Rendall et Croft, Rufus Müller ne démérite pas pour autant en Lurcanio. Chez tous ces artistes, on entend de toute façon beaucoup d'ardeur et de ferveur, et un engagement qui est sans doute le fruit des représentations de Göttingen.(1)

Par conséquent, je serais tentée de dire que si l'on n'a pas d'Ariodante dans sa discothèque, la gravure de Minkowski demeure incontournable, pour au moins trois raisons : son homogénéité,  son équilibre entre la fosse et la scène et l'alchimie électrisante l'unissant à son interprète principale - à savoir von Otter - particulièrement flagrante dans cet enregistrement. Si l'on possède déjà cette version très plébiscitée, l'acquisition de celle de Leppard est indispensable, pour Baker, Ramey, Rendall et les autres, et même si la direction est un peu "popote", la "théâtralité" qui manque parfois au chef britannique est largement compensée par l'engagement artistique et dramatique de ses fabuleux chanteurs. 

Enfin, si on a les deux, ce qui est le cas de pas mal de mélomanes, celle de Mc Gegan mérite qu'on s'y arrête, pour Lorraine Hunt principalement, bien sûr. Ajoutons que des trois versions en question, c'est la seule où figurent quelques arie et ballets alternatifs. La présentation du coffret est belle, la plaquette richement illustrée, alors que la réédition de la version Leppard fait l'économie du livret, dommage...

Pour les "accros" de ce chef-d'oeuvre, car c'en est un, il n'est pas inutile également de jeter un coup d' oeil sur la seule version parue en DVD, hélas chantée en anglais, puisque filmée à l'English National Opera, avec une Ann Murray incandescente en Ariodante et une Joan Rodgers très en voix en Ginevra. De plus, la production scénique est superbe et fort astucieuse, ce qui ne gâche rien (2).

En conclusion , on ne peut que saluer cette réédition qui, en resituant cet opéra dans son parcours à la fois historique et artistique, accorde aux deux versions qui lui font suite la place qui leur revient de droit.
  


Juliette BUCH
(1) Paru chez Harmonia Mundi,
actuellement disponible en extraits : HMN 90 72 77

(2) Paru en 2001 - Editons de L'ENO



Commander ce CD sur  Amazon.fr
Handel:%20Ariodante<" target="_blank">
[ Sommaire de la Revue ] [ haut de page ]