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Anthoine Boësset (1587-1643)
ou Boyesset, Sieur de Villedieu

Je meurs sans mourir

Una musica
Départ que le devoir me fait précipiter
3. Ballet des fous & des estropiés de la cervelle (Instrumental)
(Entrée de líEmbabouinée - Entrée des demy-fous - Entrée des Fantasques)
Ballet des vaillans combattans (Instrumental)
Récit des Syrènes : Quel soleil
Récit díAmphion et des Syrènes : Quels doux supplices
Récit du Dieu des Songes : Quelle merveilleuse advanture
Récit de Mnémosyne : Quelles beautés, Ô mortels
Récit du temps : Bien que je vole toutes choses & Aux voleurs, au secours, accourez tous
Je meurs sans mourir
A la fin cette bergère
Entrée des Laquais (Instrumental)
Dove ne vai, crudele
Frescos ayres del prado
La gran chacona (Luis de Briceño)
La Pacifique (Louis Constantin) (Instrumental) Ô Dieu !
Nos esprits libres et contents (Anonyme)

Le Poème Harmonique
Direction Vincent Dumestre

Claire Lefilliâtre (dessus),
Bruno Le Levreur (haute-contre),
Jean-François Novelli (taille),
Arnaud Marzorati (basse-contre)

Kaori Uemura (dessus de viole), Sylvie Moquet (dessus de viole),
Sylvia Abramowicz (basse de viole), Anne-Marie Lasla (basse de viole),
Françoise Enock (violone), Joël Grare (percussions),
Massimo Moscardo (archiluth, guitare baroque),
Benjamin Perrot (luth, théorbe),
Vincent Dumestre (guitare baroque, théorbe).

1 CD, enregistré en 2003,
Alpha 057 - 60:29



"Nos esprits libres et contents"

Le titre de cet air anonyme résume à lui seul les sentiments éprouvés par l'auditeur devant ce florilège de l'oeuvre du Surintendant des deux Musiques (du Roi et de la Reine) sorti tout droit du règne de Louis XIII. Beau-fils de Pierre Guédron, Boesset s'illustre dans l'air de cour où les soupirs codifiés alliant poésie, chant et accompagnement au luth faisaient les délices des salons. L'époque virait vers la préciosité et la polyphonie perdait petit à petit du terrain alors que la basse continue s'affirmait. Cette réalisation reflète magnifiquement cette époque de bouillonnement artistique et intellectuel. Disons-le tout net, il est des disques que l'on aime sans vraiment chercher à savoir pourquoi : Je meurs sans mourir est de ceux là. Vincent Dumestre, qu'on connaissait surtout pour son remarquable "Nova metamorphosi", a établi un programme surprenant de variété où les musiciens du Poème Harmonique se dépensent sans compter avec une fraîcheur et un enthousiasme rarement égalés.

L'enregistrement s'ouvre avec l'air "una Musica", à l'influence espagnole flagrante avec ses rythmes dansants (une moresque me semble t-il, mais je ne m'avancerais pas en terre habsbourgeoise), ses tambours basques et ses castagnettes. Cette introduction nous rappelle les liens culturels et diplomatiques étroits qu'entretenaient les deux royaumes rivaux et l'admiration française pour cette Espagne encore toute-puissante. De même, les extraits du "Ballet des fous et des estropiés de la cervelle" sont plus proches de Philippe IV que de Louis XIII alors que "Freyscos ayres del prado" est un hommage au "Tonos humanos" de l'Escorial.

En revanche, les autres airs rappellent Guédron et préfigurent Lambert ou Le Camus. Voici l'air de cour en pleine gestation : si "Quelles beautés, ô mortels" ou "A la fin cette bergère" conservent d'envahissantes percussions ou des rythmes hispanisants, "Quelle merveilleuse advanture", "Quel doux supplice" ou "Quel Soleil" possèdent déjà ce côté sensible, intimiste et proche de la déclamation que l'on attend de l'air de cour français.

Les instrumentistes sont excellents de finesse et de naturel. L'orchestration aux combinaisons riches et chamarrées, le geste leste et délié des gambistes, les accords volontaires du luth sont en outre amplifiés par une prise de son chaude et proche. Claire Lefilliâtre rend particulièrement bien l'émotion et le désespoir de "Je meurs sans mourir" aux accents crépusculaires. A ses côtés, Bruno Le Levreur, Jean-François Novelli et Arnaud Marzorati sont absolument parfaits tant ils semblent rompus à ce répertoire. Les trois mousquetaires possèdent de beaux timbres - malgré des échos un peu rocailleux en registre de poitrine pour la basse-contre - aucun ne force jamais sa voix, même dans les mélismes et les ornements. Les passages en choeur frôlent le sublime tant les parties se marient bien, aucune ne dominant les autres.

Il doit être cependant noté que les airs sont interprétés en français restitué, c'est-à-dire avec la prononciation supposée de l'époque. J'avoue être personnellement plutôt opposé à ces hypothétiques reconstitutions. D'une part, les experts restent divisés sur les options à adopter (par exemple sous Louis XIV, ils se disputent sur les "-oué" pour "-oi", qui auraient été abandonnés par la Cour, n'en déplaise à Hugo Reyne). D'autre part, cela rend la compréhension du texte difficile et confine parfois les pièces au ridicule d'un intermède bouffon de foire. Par exemple, comment garder son sérieux devant "Et sa foué jadissss légèreuuuuuuuu" (Et sa foi jadis légère) ? Vincent Dumestre ayant pris le parti de la vocalité plus que de la fidélité au texte, le français restitué se fait plus discret et moins gênant que dans d'autres enregistrements. Il s'agit là du seul point discutable de cet extraordinaire voyage à l'orée du grand Siècle, avant l'arrivée de Lully et la fixation d'un style musical propre au royaume des lys...
 
 

Viêt-Linh NGUYEN

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