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Jean-Baptiste Moliere (1622-1673) & Jean-Baptiste Lully (1632-1687)
 

Le Bourgeois Gentilhomme
Comédie-ballet dans sa version originale et intégrale de 1670

Vincent Dumestre, directeur artistique
Benjamin Lazar, metteur en scène
Cécile Roussat, chorégraphe des intermèdes et ballets
Adeline Caron, scénographe
Alain Blanchot, costumier
Christophe Naillet, éclairagiste
Mathilde Benmoussa, maquilleuse
Louise Moaty, assistante metteur en scène

Comédiens

Olivier Martin, Monsieur Jourdain
Nicolas Vial, Madame Jourdain
Louise Moaty, Lucile
Benjamin Lazar, Cléonte, le maître de philosophie
Anne-Guersande Ledoux, Dorimène
Lorenzo Charoy, Dorante, le maître d’armes
Alexandra Rübner, Nicole, le maître de musique
Jean-Denis Monory, Covielle, le maître tailleur
Julien Lubek, le maître à danser

Chanteurs

Arnaud Marzorati, le Muphti, le vieux bourgeois babillard, l’élève
Claire Lefilliâtre, la musicienne, la femme du bel-air, l’Italienne
François-Nicolas Geslot, le 1er musicien, la vieille bourgeoise babillarde, un Espagnol, un Poitevin
Serge Goubioud, un Gascon, un Poitevin, un chanteur
Lisandro Nesis, un Espagnol, un Gascon, un chanteur
Bernard Arrieta, un Espagnol, l’homme du bel-air, un chanteur
Arnaud Richard, l’Italien, le Suisse

Danseurs

Caroline Ducrest, un Espagnol, un Poitevin, un laquais
Julien Lubek, Arlequin, le donneur de livre, un garçon tailleur
Cécile Roussat, un garçon tailleur, un Espagnol, la siamoise de la vieille bourgeoise babillarde
Flora Sans, un Trivelin, un garçon tailleur
Gudrun Skamletz, Scaramouche, un garçon tailleur, un importun
Akiko Veaux, un Trivelin, un importun, un laquais

Musiciens

Le Poème Harmonique
Musiciens de Musica Florea (Marek Stryncl, directeur artistique)
Vincent Dumestre, direction

DVD 1 (1 h 49')
Le Bourgeois Gentilhomme

DVD 2 (2 h 33')
Le Bourgeois Gentilhomme (suite et fin)
Les enfants de Molière & de Lully, documentaire de Martin Fraudreau (52')

Sous-titres : français, anglais, allemand, néerlandais, espagnol.

2 DVD, toutes zones, 16/9, Dolby Digital 5.1, PCM Stereo, Alpha 700

 


MONSIEUR JOURDAIN : Hé bien, Messieurs? Qu'est-ce? Me ferez-vous voir votre petite drôlerie? (Acte I, scène 2)

Créé à Chambord le 14 octobre 1670, avec les deux Baptistes eux-mêmes incarnant Monsieur Jourdain et le Grand Muphti, le Bourgeois Gentilhomme a été bien malmené depuis le Grand Siècle. L’œuvre a fréquemment été représentée au théâtre amputée de ses parties musicales, plus récemment enregistrée au disque par Gustav Leonhardt (DHM) ou encore Hugo Reyne (Accord). Mais nul n’avait encore eu l’audace de ressusciter la subtile alchimie originelle du tandem Molière-Lully. Combinant des éléments de la commedia dell’arte et une sublime partition - dont on ne retient trop souvent que la « Marche des Turcs » - le Bourgeois Gentilhomme est en effet l’un des fleurons de la comédie-ballet, chant du cygne d’un genre qui ne survivra pas à la mort de Molière.

Et c’est avec des yeux d’enfant émerveillés, les yeux d’un Monsieur Jourdain accueillant le Grand Turc enturbanné, que nous abordons ce dialogue intime entre théâtre et musique. Plus de 300 bougies illuminent une sorte d’écrin où le décor représente de grand panneaux blancs et ors aux motifs baroques, oscillant entre une grille ou une boiserie. La lumière chaude et chancelante joue sur les ombres, accentue les plis des costumes, enveloppe la scène de son manteau pastel.

Tiens, voilà du baroque !

Vous vouliez de « l’authentique » ? Vincent Dumestre n’a pas lésiné sur les moyens : prononciation restituée, orchestre baroque, danse baroque, décors et costumes baroques. Passée la surprise de la diction chantante, un rien québécoise et diablement amusante, on se surprend à redécouvrir chaque scène, des petits maîtres à l’incroyable cérémonie turque : la meilleure preuve de la réussite de ce Bourgeois, c’est que l’on rit, d’un rire honnête et un peu gras, assis devant son téléviseur à contempler la robe de chambre de monsieur Jourdain ou ses exploits de bretteur…

Olivier Martin campe un Monsieur Jourdain touchant, poursuivi par Nicolas Vial en insupportable Madame Jourdain. Si ce bourgeois est plus vulnérable que ridicule, c’est bien grâce sa prestation alternant bouffonnerie et candeur. Le jeu précieux (prononcez « prrréci-eussss ») des acteurs retient d’emblée l’attention : Benjamin Lazar a particulièrement soigné la gestuelle baroque où chaque mouvement est porteur de sens, et les acteurs, engoncés dans leurs chatoyants atours, font sans cesse face à l’auditoire, même lorsqu’ils se parlent entre eux. Les intermèdes musicaux sont excellemment interprétés, et l’ingénieur du son a fidèlement rendu le timbre grainé des cordes aussi bien que le continuo. Chez les solistes, on reprochera seulement une tendance au sur-ornement de la ligne de chant (l’excellente Claire Lefilliâtre s’en donne un peu trop à cœur joie) et l’on déplorera que François-Nicolas Geslot chante tant en voix de fausset, se rapprochant plus du contre-ténor angloys brumeux que du noble haute-contre de nos charmants bocages. Le Ballet des Nations qui conclut la pièce est un vrai régal : on louera sans réserve les alertes chorégraphies de Cécile Roussat, qui a su être originale sans excès, créative sans anachronismes.

Molière caméraman ?

Enfin, la caméra de Martin Flandreau est un rien trop proche des acteurs, multipliant les gros plans en champ et contre-champ. Il aurait été plus agréable de bénéficier de davantage de vues d’ensemble, surtout lors des ballets. Son savoureux documentaire sur les répétitions à l’Abbaye de Royaumont est extrêmement dense, puisque l’on suit les artistes pas à pas dans leurs expérimentations : en particulier, une scène irrésistible montre les chanteurs à quatre pattes en train de préparer leurs déplacements scéniques à l’aide de petits soldats en plastique, qui n’arrivent d’ailleurs pas à tenir debout sur le plancher.

Vous l’aurez donc compris, ce Bourgeois gentilhomme, fruit d’un travail d’équipe sans faille, constitue une petite merveille raffinée, drôle, émouvante, exotique (n’en jetez plus la cour est pleine !), que l’on retrouve enfin dans son intégrale splendeur. Et l’on attend avec impatience la prochaine tournée de tous nos joyeux baladins en mars prochain à Paris.

Viet-Linh Nguyen



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