C  R  I  T  I  Q  U  E  S
 
...
[ Historique des critiques CD, DVD]  [ Index des critiques CD, DVD ]
....
......
Maria Callas,
héroïnes de Puccini et de ses contemporains



Airs tirés de Manon Lescaut (2), Madama Butterfly (2), La Bohème (2),
Suor Angelica, Gianni Schicchi et Turandot (3) de Giacomo Puccini ;
de Adriana Lecouvreur (2) de Francesco Cilea ;
de Andrea Chénier d’Umberto Giordano ;
de La Wally d’Alfredo Catalani et de Mefistofele d’Arrigo Boito.

Maria Callas, soprano
Philharmonia Orchestra
Direction musicale : Tullio Serafin

Enregistré au « Watford Town Hall » de Londres,
du 15 au 20 septembre 1954

Durée Totale : 69 mn.13’’ - Notes en anglais

Naxos 8.111275




Ineffable Maria Callas !


L’idée était bonne : compléter les onze airs de Puccini gravés en récital par Maria Callas avec des fragments d’opéras de Cilea, Giordano et même de Boito et Catalani, bien que ces derniers appartiennent plutôt à « la scapigliatura », mouvement artistique précédent. Du reste, leur enregistrement se fit en même temps que les autres.
On notera une curieuse absence, celle de l’héroïne la plus connue de Puccini : Floria Tosca, mais les voies (et peut-être même les voix !) des éditeurs sont impénétrables ! Un an auparavant, Maria Callas en avait enregistré une intégrale aux côtés de Giuseppe Di Stefano, Tito Gobbi et du chef Victor De Sabata, destinée à faire date et faisant toujours référence.

Malgré le surnom italien (qu’il n’est pas besoin de traduire) de « L’Incomparabile », nous sommes tentés par la comparaison… mais la Diva ne sera pas comparée à la première venue, puisqu’il s’agit d’elle-même ! Pour certains de ces airs, nous disposons en effet de l’intégralité du rôle, enregistré en studio ou sur le vif, au cours d’une représentation. Parfois existent même les enregistrements d’un air, capté au hasard d’un récital, comme c’est le cas pour Gianni Schicchi. Cette fois, il s’agit du contre-exemple venant infirmer la règle quasi générale selon laquelle un air d’opéra chanté sur scène est plus vibrant qu’interprété en studio (il est vrai qu’en récital, malgré la présence stimulante du public, le chanteur n’est pas dans les habits du personnage…). Cet air de Lauretta « O mio babbino caro » (O mon cher petit papa), est réellement habité par Maria Callas qui l’interprète ici admirablement. Habituée aux héroïnes tragiques, elle sait faire sienne la tendresse espiègle du morceau, et de manière plus émouvante que dans le bis du récital de Paris en 1963 (où la voix semble curieusement plus jeune, comme si la bande défilait trop vite !), ou encore que dans le studio de la Radio-télévision française en 1965, avec une harpe envahissante.
Il en va de même pour l’air « L’altra notte » tiré du Mefistofele de Boito, car s’il ne nous reste rien des représentations de juillet 1954 aux Arènes de Vérone, on possède l’extrait dans un récital de 1963. Les graves sont plus impressionnants (le temps a passé…) mais la voix moins éclatante que dans le présent récital de 1954 ; l’air, redonné comme une sombre méditation, semble moins vécu en 1963.
Le cas de Manon Lescaut nous prouve que Maria n’avait pas besoin d’être « intégralement » dans le rôle, puisqu’elle vit les doutes et les angoisses (dans le fameux « Sola, perduta, abbandonata ») de Manon, aussi bien que dans l’enregistrement complet de juillet 57. Le cas se reproduit avec les extraits de La Bohème, où la cantatrice dessinait déjà les facettes de Mimì, deux avant une intégrale (1956) pas plus achevée, comme du reste un « Mi chiamano Mimì » de 1959 (à la télévision britannique). Le récital n’apporte qu’une curiosité sympathique, la valse de Musetta « Quando m’en vò », captée à Paris en 1963. Précisons que l’achèvement de l’interprétation n’est pas dû à la fréquentation de ces deux rôles… jamais chantés sur scène par la Diva !
Le cas de Madama Butterfly est similaire, Maria étant déjà une Ciò Ciò San vécue de l’intérieur, dans ce récital de 1954, alors qu’elle n’avait pas réalisé l’intégrale (août 1955), ni chanté le rôle sur scène (novembre 1955) ou en récital (l’air « Tu, tu, tu, piccolo iddio » à Paris en 1963).
En ce qui concerne l’air de la Princesse Turandot « In questa reggia » (aussi redoutable que le personnage !), gravé presque trois ans avant l’intégrale, la Diva semble à peine plus en forme en affrontant les notes terribles voulues par Puccini. D’autre part, le récital offre une chose impossible dans l’intégrale, Maria passant de la terrifiante princesse glacée, à la modeste esclave Liù, dont elle redonne avec sensibilité les deux airs « Signore ascolta » et « Tu che di gel sei cinta ».
Lorsque Maria enregistra le grand air de Maddalena di Coigny de Andrea Chénier, elle devait être loin de se douter qu’elle incarnerait l’héroïne trois mois plus tard. Il était prévu en effet une rencontre magnifique que le destin ne devait pas permettre. Le Teatro alla Scala affichait rien moins que Il Trovatore avec Maria Callas, mais le grand Mario Del Monaco ne se sentant pas suffisamment en forme pour affronter « la pira » (l’expression familière désigne le fameux air final du troisième acte), proposa Andrea Chénier. Maria Callas apprit obligeamment le rôle en quatre jours et fut une éblouissante Maddalena di Coigny. L’enregistrement qui en nous reste est fort électrisant, tous étant éblouissants, le Maestro Votto compris. Dans l’air en question : « La mamma morta », Maddalena fait le récit horrifié de sa mère mourant pour la sauver, alors que leur château était en flammes. Il est évident que, toute intelligence du texte et du chant à part, vivre ce grand moment oblige à une autre vibration, même pour une Grande parmi les grandes. L’air seul, par l’invention mélodique de Giordano, donne déjà le frisson, mais une Callas brûlant les planches enflamme une musique déjà incandescente et fait carrément venir la chair de poule ! Au moins, l’air en ce récital de 1954 possède-t-il un son meilleur et offre une Callas déjà très habitée… sans parler d’une certaine popularité ainsi permise au cinéma. Un jour, en effet, surpris de voir une horde de jeunes gens envahir le rayon opéra d’un important disquaire et demander non pas Andrea Chénier d’Umberto Giordano mais « La mamma morta » par Maria callas, nous découvrîmes que cela était dû à l’utilisation de cet air par le film Philadelphia !

Le fait de ne pas posséder de points de comparaison pour certains morceaux, nous conduit à écouter d’une oreille unique, pour ainsi dire, et l’on s’aperçoit une fois de plus que l’art de Maria Callas fait merveille. Elle est une Suor Angelica très vibrante de l’angoisse désespérée du personnage, comme si elle chantait le rôle sur scène. De même, dans l’air célèbre de La Wally de Catalani « Ebben ? Ne andrò lontana », elle exprime délicatement mais intensément la douce tristesse de l’héroïne rejetée par son père.
La grande Cantatrice apporte le même soin et la même sensibilité aux airs admirables de Adriana Lecouvreur « Io son l’umile ancella » et « Poveri fiori », mais l’oreille unique ne nous est pas possible ! Il est en effet une dame que Francesco Cilea lui-même considérait comme son Adriana et qui, sur la prière du Maestro, revint l’interpréter après son retrait de la scène. Dans ce rôle, la Signora Magda Olivero est vraiment bouleversante d’intensité, de vérité, stupéfiante d’adéquation avec les paroles et l’esprit de la musique, à un point inouï et rendant toute comparaison difficile. Avec Maria Callas on entend néanmoins du grand Art, approfondi comme toujours, digne d’éloges même s’il n’atteint pas au poignant déchirant de « L’ » Adriana de Cilea.

Techniquement parlant, on sait que le son peut parfois être bien inférieur à celui des microsillons originaux. Il n’en est rien ici, à part un peu de souffle, les vieux Columbia originaux d’époque, épais et lourds et portant alors la mention de Maria Meneghini Callas, n’apportent rien de meilleur.

Sans s’offrir le luxe de pouvoir comparer ainsi Marias Callas à elle-même, l’auditeur ne peut que se réjouir de posséder un tel témoignage… même si l’écoute intégrale de ces airs si poignants et servis par une interprétation tellement particulière et achevée, oblige à un grand investissement émotionnel !
A lui de compléter ce récital principalement consacré à Puccini, par la grande absente : Floria Tosca… mais également par les interprétations que la Diva nous a laissées d’autres grands maîtres de la « Jeune Ecole », Pietro Mascagni et Ruggero Leoncavallo.


Yonel BULDRINI


Commander ce CD sur abeillemusique.fr

Sur Amazon.fr

[ Sommaire de la Revue ] [ haut de page ]