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Wolfgang Amadeus MOZART (1756-1791)

La Clémence de Titus

Tito : Eric Tappy
Vitellia : Carol Neblett
Sesto : Tatiana Troyanos
Annio : Anne Howells
Servilia : Catherine Malfitano
Publio : Kurt Rydl

Wiener Philharmoniker
Wiener Staatsopernchor

James Levine

Mise en scène : Jean-Pierre Ponnelle
Décors : Giovanni Agostinucci
Costumes : Pet Halmen
Directeur de la photographie : Carlo di Palma.

Réalisé en 1980
Durée : 135 minutes

DVD Deutsche Grammophon
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Jean-Pierre est sans pitié

Le marbre. L’eau calme des bassins. La nuit romaine. Les herbes folles parmi les ruines. Le feu. La musique de Mozart. Ne tenons-nous pas là quelques ingrédients du bonheur ?

C’est ceux que Jean-Pierre Ponnelle a assemblés en 1980 pour cette Clémence de Titus, film-opéra et non simple captation, s’offrant la villa hadrienne et les Thermes de Caracalla pour décors, les Wiener Philharmoniker et quelques grandes voix pour le reste.

Comment ce qui aurait dû provoquer une série historique d’orgasmes successifs chez n’importe quel esthète moyen (toi, par exemple, cher lecteur) a-t-il pu se solder par une déconfiture aussi cosmi-comique ?

La faute d’abord à une caméra qui filme cela comme la plus indigne des telenovelas, opposant systématiquement à une fixité arthritique et soporifique de brusques zooms, fréquemment dirigés vers les yeux des chanteurs – ceux, révulsés ou furibonds, d’Eric Tappy, ceux, immenses, bleus et vides de Carol Neblett. Il faut se demander si le directeur de la photographie, Carlo di Palma (qui a travaillé pour Antonioni, entre autres) n’a pas tenté là un hommage aux séries Z de son enfance, par exemple Antonio contre les Mangeurs d’Ectoplasmes (film d’Alfredo Zenobio, 1951), ou s’il a simplement cherché à imiter les réalisateurs mémorables de la série Sankukai, rois incontestés du zoom sauvage et du travelling écoeurant.

La faute également à des costumes qui durent être rachetés d’occasion au Rondo Veneziano après une tournée d’adieux. En prime : des perruques délirantes comme seul en oserait Elton John un soir de déprime post-coïtale. Les cheveux de la Neblett sont d’une Princesse Leia sous acide, qui verrait des Ewoks partout. Kurt Rydl ressemble à Chewbacca. Marions-les !

La faute aussi à des chanteurs qui semblent ériger la grimace en passe-temps. Vous n’ignorerez plus rien des moindres linéaments du visage de la grande Troyanos (ah, ces plissures au front !), ni des molaires du fond à gauche d’Eric Tappy, sans parler des narines ultra-dilatables de Madame Neblett, et des nerfs qui soutiennent la nuque grassouillette de Madame Malfitano. Ils sont tellement concentrés sur la distorsion maximale de leur physionomie qu’ils en oublient les paroles. Heureusement, elles continuent sans eux. Le play-back est une belle invention. Mais le plus étourdissant, c’est que ces simagrées se font en rythme même lorsqu’ils ne chantent pas ! Un bon coup de percussion ? Le chanteur accuse un coup à l’estomac. Une mélopée attendrie ? Voici la bouche qui se tord, enamourée, et les yeux roulent, roulent, roulent. Une reprise allegro ? Une onde électrique à effet convulsif fait de notre chanteur ou chanteuse une grenouille d’expérience élémentaire, et le visage se fronce comme celui d’un sharpeï anorexique.

La faute surtout à un metteur en scène qui multiplie les effets de redondance et se vautre dans le kitsch le plus sirupeux avec les délices d’un ourson dans une mare de miel des Alpes. Témoin, l’espèce de ballet toutes voiles dehors qu’il impose à Carol Neblett pendant le Non più di Fiori. Il faut voir cette belle chanteuse filmée à cinq cents mètres, au fond du jardin de la villa, agitant les bras en sémaphore, puis se rapprochant peu à peu de la caméra, mais trop lentement pour qu’on distingue son visage (pas de problème de play back ici) ; finalement elle n’arrive dans notre champ de vision qu’à la toute fin et l’envahit jusqu’à ce qu’on distingue son moindre poil de nez (cela dure quelques secondes). On se croirait dans Vidéo Gag. Les duos sont transformés en ballets de gesticulations, la solennité se confond avec la pompe la plus pompeuse et pompière et l’usage de l’espace est plus qu’hasardeux. L’on croirait parfois assister à l’errance d’un groupe de Bavarois ayant fabriqué soi-même ses costumes pour le carnaval de Vérone, mais ayant par erreur échoué dans la proche banlieue du parc Astérix.

Finalement, de ce DVD on fera un cadeau utile à l’oncle Tatave, celui qui collectionne les poupées russes en verre de Murano et les papillons en velours de Syldavie.

Avant de lui faire ce don précieux, on aura gardé trace sonore de la chose. Car, avouons-le, Levine dirige à merveille les Wiener Philharmoniker, éloquents et chatoyants. Tappy est un acteur désastreux (du moins ici) mais un Titus admirable. Troyanos, malgré un vibrato marqué, est un Sesto saisissant et même Carol Neblett, un peu décalée certes, fait valoir un lyrisme intéressant. Anne Howells et Catherine Malfitano sont délicieusement mozartiennes.

Seulement, on est tellement sidéré par ces images que l’on oublierait presque de remarquer ces vertus musicales.

C’est Tatave qui va être content.


   Sylvain FORT

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