C  R  I  T  I  Q  U  E  S
 
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Carl Maria Von Weber
Der Freischütz

Cappella Coloniensis des WDR
WDR Rundfunkchor KölnÝ
direction Bruno Weil

Christian Gerhaher ( Ottokar )
Friedemann Röhling ( Kuno )
Petra-Maria Schnitzer ( Agathe )
Johanna Stojkovic ( Ännchen )
Georg Zeppenfeld ( Kaspar )
Christoph Prégardien ( Max )
Andreas Hörl ( Ein Eremit )
Christian Gerhaher ( Kilian )

Gabriele Henkel, Anke Lambertz, 
Christiane Rost, Andrea Weigt ( Vier Brautjungfern )
Markus John ( Samiel und Erzähler )
 

Released November 2001
Label DHM deutsche harmonia mundi
05472 77536 2
2 CD's - TT 120:33

Recording/Date Westdeutcher Rundfunk Köln,
Klaus-von-Bismarck-Saal
25. 6. - 1. 7. 2001



Mort d'un franc -tireur
 

Harmonia Mundi a dû se dire dès le départ : voilà, on tient l'Idée. LA Bonne Idée (avec un grand B et un grand I, au moins). Depuis le temps qu'on cherchait. Qu'on cherchait quoi ? Mais la recette des balles magiques, voyons ! Le secret de Kaspar ! L'adresse de Samiel ! Ben oui, quoi, rendez-vous compte, depuis le temps qu'on en mourait d'envie, de faire LE Freischütz, la version du siècle, celle qui allait enfin réhabiliter ce chef d'oeuvre à sa juste valeur (si, si, je vous jure, c'est l'idée qui se dégage du texte d'accompagnement), le rapprocher du public moderne (même remarque), qui allait enfin redonner un coup de jeune forcément devenu indispensable (pensez, l'oeuvre fut créée au Schauspielhaus - actuel Konzerthaus - de Berlin en 1821, c'est sûr que ça date terriblement, la preuve c'est que même la salle a changé de nom depuis ! ) et peut-être même réussir à desserrer un peu le monopole exercé par Carlos Kleiber et Deutsche Grammophon depuis si longtemps (une telle unanimité sur la version de référence c'est sûr que cela doit avoir de quoi agacer les concurrents) ... Pour y parvenir, il fallait frapper un grand coup, faire fort, faire ce que personne n'avait encore jamais fait, mais ce dont on était sûr que c'est ce serait là la clé de la réussite. Il fallait mettre les petits plats dans les grands, tout en surfant sur une vague ayant déjà submergé tout le répertoire classique (souvent avec bonheur, au demeurant, ce n'est pas moi qui jetterais la pierre à ce type d'entreprise, bien au contraire) et léchant depuis quelque temps les rivages du XIX° siècle, avec Berlioz ou encore Verdi; bref, vous m'avez comprise, il fallait sortir le premier enregistrement sur instruments anciens du Freichütz afin de lui permettre de se refaire une jeunesse !

Soit. L'idée, en soi, n'est pas mauvaise - loin de là. Je suis même persuadée que Der Freischütz sur instruments d'époque, avec un orchestre vif, coloré, nerveux, souple, dirigé par un chef inspiré, ça serait absolument génial : quoi de plus excitant, franchement, que la perspective d'entendre le mélodrame de la Gorge-aux-Loups avec timbales en peaux fracassantes, cuivres grimaçants, cordes mordantes et bois affûtés ? Las ! La réalisation, ici, est loin de combler les attentes. Pourquoi, mais pourquoi diable est-on allé chercher, pour cet enregistrement, l'un des chefs les moins excitants, justement, du cercle des prophètes de la pratique historicisante ? Hein, vous pouvez me le dire ? Pourquoi on est allé chercher Bruno Weil ??? Voilà ce que je ne comprendrai jamais.

Pas plus que je ne comprendrai la raison profonde qui a poussé les responsables de cette cure de jouvence pour garde-forestier en retraite à lui faire subir le lifting - il est vrai aujourd'hui de rigueur pour toute oeuvre mettant en scène des personnages n'ayant pas le bon goût de s'exprimer en verlan, argot ou gangsta rap -  que constitue, paraît-il, une réécriture judicieuse (?) des dialogues ... Parce que figurez-vous qu'il se trouve que l'on a décidé pour nous que les dialogues originaux du Freischütz nous exaspéraient, nous horripilaient, nous irritaient, enfin bref nous étaient devenus tellement insupportables qu'il fallait absolument les remplacer par quelque chose d'autre, n'importe quoi mais pas ces dialogues débiles, mal écrits, poussiéreux et datés - et on est donc allé chercher un dramaturge qui nous a réécrit tout ça en un tour de main.

Là encore, soit. Personnellement je ne suis vraiment pas persuadée de cette nécessité - j'ai, il y a encore peu, visionné un Freischütz en entier sans démolir mon téléviseur de fureur face à ces fameux dialogues, mais sans doute est-ce parce que je ne me suis pas suffisamment concentrée dessus (non, ce qui m'avait vraiment énervée en la circonstance c'était un hibou mécanique aux yeux lumineux qui, tel Olympia, se déglinguait tout seul au moment où Kaspar fondait la cinquième balle - si mes souvenirs sont bons - , allez savoir pourquoi) - , mais gardons l'esprit ouvert, pourquoi pas, je suis prête à tenter (presque) toutes les expériences du moment qu'elles sont préparées avec les précautions nécessaires et réalisées avec goût. Seulement voilà : par quoi croyez-vous que l'on nous remplace les dialogues originaux si horripilants ? Par des monologues de Samiel. Que des monologues de Samiel. Tout le temps. Entre chaque numéro musical, Samiel prend la parole. Pour nous parler de quoi ? De lui. Que de lui. Rien que de lui, encore et toujours de lui. Un véritable, infernal moulin à paroles, ce Samiel. Samiel le tacite, Samiel le mystérieux, Samiel l'inquiétant ... Le voilà qui vient sur le devant de la scène, prend l'auditeur en otage et se met à nous raconter sa vie, ses pensées, ses pouvoirs. "Samiel, sa vie, son oeuvre", pourrait-on intituler ce nouveau Freischütz, vous savez, comme ces petites cassettes qui racontent la vie des compositeurs aux enfants par la voix d'acteurs célèbres. Et entre nous, vous je ne sais pas ce que vous en pensez, mais moi, franchement, le Samiel, j'en ai ras le chapeau tyrolien. Je veux bien être bon public et écouter ce pauvre Samiel me déverser ses secrets dans le creux de l'oreille, mais il ne faudrait tout de même pas exagérer - je ne vois vraiment pas en quoi la logorrhée samielienne est censée être moins irritante que les dialogues mélodramatiques de Johann Friedrich Kind. D'autant plus qu'il n'y a rien de plus bizarre que de sauter d'un monologue de Samiel à un couplet de Kaspar ou à un duo entre Max et Agathe. Alors, bien sûr, vous pourrez toujours me rétorquer que puisque ça m'agace tant que ça je n'ai qu'à sauter les plages de monologue. Bien sûr. Ce que j'ai fait, d'ailleurs, dès la deuxième écoute. Mais là n'est pas la question - non, pour moi, c'est une question de principe. Pourquoi aller chercher midi à quatorze heures et vouloir perfectionner une oeuvre ? Laissons au Freischütz ses faiblesses, et admirons ses (innombrables) qualités, attachons-nous à les mieux mettre en valeur!

Mais passons. Une fois que l'auditeur, excédé, aura saisi sa télécommande et aura méthodiquement repéré les numéros des plages à sauter (et croyez-moi, ça en fait un certain nombre), que lui reste-t-il ? La musique, pardi ! La musique de Weber (non, rassurez-vous, ça ils n'y ont pas touché). Et une distribution dont le point de mire, fort alléchant, est le Max de Christoph Prégardien, sans aucun doute l'un des chanteurs dont on est en droit d'attendre le meilleur dans ce rôle. Seulement voilà, cela nous ramène au premier paragraphe : cet enregistrement est dirigé par Bruno Weil. Bruno Weil, qui déclare fort ingénument dans l'interview lisible dans le livret d'accompagnement, qu'il espère que ce Freischütz soit tellement nouveau qu'on ne puisse plus le reconnaître. Et bien, le moins que l'on puisse dire, c'est que c'est gagné ! Où sont le souffle dramatique, l'inspiration quasi-gothique, le drame romantique, le mélodrame fantastique, la folie, l'urgence, le romantisme échevelé caractéristiques du Freischütz ? Où sont passés les ricanements à glacer le sang de Samiel, le regard halluciné de Kaspar, les tourments de Max, les angoisses d'Agathe, le franc et espiègle bon sens d'Ännchen (excellente Johanna Stojkovic, signalons-le au passage) ? Samiel seul sait où - c'est bien le diable si je les ai saisis au vol de cet enregistrement. Prenons un exemple concret, le rituel obligé, l'examen de passage pour toute nouvelle version du Freischütz, la scène d'anthologie : le fameux mélodrame de la Gorge-aux-Loups. Je vous passe les commentaires de Herr Weil au sujet de son approche de ce passage, cela serait fort désobligeant au vu du résultat. Là où le livret parle de bruits de chaînes, de fracas de voitures, de galops de chevaux emballés, de hurlements de bêtes immondes , d'orage, de tremblement de terre, bref, de tout ce que le genre du mélodrame fantastico-romantique peut imaginer de plus effroyable, Bruno Weil, avec sa bonne tête de Dupond/t rondouillard (si, c'est fou ce qu'il ressemble aux Dupondt avec sa jolie moustache et son crâne bien lisse) joue à nous faire "bouh", avec son Kaspar coulant des balles en caoutchouc dans ce qui semble être une adaptation de La Nuit du Chasseur en livre d'images ... tendance Bécassine. Manque de chance, ce n'est pas tous les jours Halloween, et ce n'est pas en nous tapotant l'épaule dans la semi-obscurité qu'il va réussir ne serait-ce qu'à nous donner la chair de poule ...

Vient alors un moment, dans l'écoute de cet enregistrement, où l'on se dit "au moins, si cela ne nous fait pas peur, cela va bien finir par nous faire rire", et où l'on s'empresse de passer au choeur des chasseurs en se disant que ça, au moins, ça va sans doute être rigolo ... Et bien même pas. Ce n'est même pas drôle. Au contraire, même : c'est désolant. Déprimant. En un mot : lamentable. Et laisse à la fin un amer constat : une terrible impression de gâchis. On aurait pu tenir un chouette outsider dans la discographie somme toute pas si énorme du Freischütz, et nous voilà avec un naufrage total, dans lequel sombrent corps et biens quelques chanteurs dont on se demande vraiment ce qu'ils sont venus faire dans cette galère, Prégardien en premier lieu. Prégardien qui, poussé par un chef de génie ("Nikolaus! Hilfe!" ...), aurait pu être un Max formidable, et qui, ici, visiblement peu motivé, se contente de bien chanter. Comme c'est triste.

Aussi, pour conclure, ne puis-je m'empêcher de vous adresser un conseil d'amie : ne gaspillez pas vos sous - surtout en cette période de Noël, vous risquez d'en avoir besoin ailleurs -  pour ce Freischütz totalement raté. Si vous voulez vous faire peur, louez plutôt la vidéo de Sleepy Hollow, de Tim Burton, et visionnez-la dans le noir. Si vous voulez une tranche de rire, celle que ne vous aurons même pas servi les joviaux chasseurs bohémiens, lisez donc quelques albums du Génie des Alpages, vous verrez, c'est radical, et en plus si vous prenez les bons numéros vous pourriez même y rencontrer Monsieur Brahms.

Pour ce qui est de la recette des balles magiques, elle est inchangée : Samiel loge toujours chez Deutsche Grammophon, où Kaspar fond ses kugeln sous la houlette attentive de Carlos Kleiber.

Et au fait, j'ai une question au sujet de ces fameuses balles magiques qui atteignent toujours leur cible : dis Samiel, ça marche sur les chefs et les dramaturges ?!
  


Mathilde Bouhon
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