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Mirella Freni
A celebration

Airs d'opéras

Gioachino Rossini, Giuseppe Verdi, Pyotr Ilyich Tchaïkovsky, Arrigo Boito,
Alfredo Catalani, Ruggero Leoncavallo, Giacomo Puccini, Francesco Cilea

détails

Decca 475 6553 (2 CDs - durée 79'38 & 78'02)
(Compilation d'extraits d'opéras,
tirés d'enregistrements intégraux
ou de récitals, et réalisés de 1963 à 1990)


La ville de Modène, en Émilie-Romagne, n'est pas uniquement connue par ses succulentes spécialités culinaires rappelant la proximité de Bologne, coeur de la gastronomie italienne, comme cet "Aceto balsamico del Duca di Modena", ce vinaigre balsamique du duc de Modène, curieusement sucré et faisant merveille sur les crudités, ou encore le célèbre vin Lambrusco, pétillant mais rouge ! Le splendide "Teatro Comunale" offre une rare décoration de style Empire, splendide de sobriété, pour ainsi dire, et prouvant qu'on peut impressionner autrement que par l'exubérance du rococo. Enfin, la Ville a donné naissance à deux illustres voix d'opéra : Mirella Freni et Luciano Pavarotti, ayant débuté tout proche pour le second (à Reggio Emilia, en 1961) et véritablement au Teatro Comunale de Modène, pour Mirella Freni en 1955.

Sous le titre Mirella Freni, a celebration, Decca célèbre en effet l'anniversaire des cinquante années de carrière de Mirella Freni. Célébration, il faut le préciser, conduite dans le cadre des enregistrements réalisés pour Decca ou son groupe, ignorant donc les prestations de la grande cantatrice pour d'autres firmes, ainsi que ses rôles jamais enregistrés officiellement mais appartenant pourtant pleinement à sa belle carrière.
Prolongeant sa rêveuse écoute du "Selva opaca" de Guglielmo Tell, l'amateur complètera donc l'hommage de lui-même, quant à la facette romantique de l'Art de Mirella, non rendue en cet album : La Figlia del reggimento, L'Elisir d'amore, I Puritani, Beatrice di Tenda...


La salle splendide de ce style Empire à la fois sobre et somptueux du "Teatro Comunale di Modena", où Mirella Freni se produisit souvent et parfois aux côtés de l'autre illustre Enfant de la Ville, Luciano Pavarotti.

Le morceau le plus proche de ses débuts est l'extrait de Falstaff, gravé en 1963. On est frappé d'entendre d'emblée ces caractéristiques propres : épaisseur mais rondeur et pureté de timbre, aigus pleins, lumineux, et ce léger "frémissement" de la voix. Une exquise Nanetta, derrière laquelle se cachent les autres héroïnes comico-sentimentales, voire espiègles, comme La Cecchina de Piccinni, la Suzel de L'Amico Fritz de Pietro Mascagni, sa désinvolte et pourtant élégante Caterina Hubscher dans la sympathique Madame Sans-Gêne d'Umberto Giordano, sans oublier quelques héroïnes mozartiennes (Le Nozze, Don Giovanni).

Le prochain extrait, enregistré au mois d'octobre 1972, est un rôle-fétiche : Mimì de La Bohème. On est aussitôt touché par la simplicité du personnage qu'on ne cherche pas à rendre arictocratique par le chant. Une simplicité élégante mais chaleureuse, faite de passion mesurée. Il est du reste curieux que Decca n'ait proposé que l'air d'entrée de Mimì, d'autant que dans cette Bohème ciselée par Herbert von Karajan, le Rodolfo idéal lui tend la main : son concitoyen Luciano Pavarotti. Peut-être parce que l'on connaît bien "ses" Mimì, tandis que Cio-Cio-san demeure dans l'ombre... et pour cause, elle ne chanta jamais sur scène Madama Butterfly : on entend donc le grand duo final du premier acte (avec les mêmes Pavarotti et von Karajan, enregistré en janvier 1974), l'air "Un bel dì vedremo" et le Finale de l'opéra. On admire le sens de l'équilibre entre précision du chant et expression dramatique car enfin, vibrer, respirer à côté d'une Renata Tebaldi n'était pas chose facile !

Mirella est ensuite (janvier 1877) une magnifique Maria Boccanegra, unissant idéalement son propre "frémissement" vocal à celui de l'onde si magique sous les traits de violons verdiens. C'est aussi l'année de sa sensible Nedda (I Pagliacci) dont les quelques vocalises (imitant les oiseaux) fort bien assumées donnent une idée des Bellini et des Donizetti manquant à ce récital.


Mirella Freni

Voici Floria Tosca (juin 1978), encore avec "le" partenaire idéal, dont on entend le long duo du premier acte et le grand air "Vissi d'arte", propre, intelligent, sensible et presque royal... nous révélant des graves impressionnants.

Une curiosité que ce "Selva opaca" très habité dès le récitatif (et déjà par Riccardo Chailly), tiré de Guglielmo Tell (août 1979). Mirella nous offre une Matilde précise, nuancée, attentive mais jamais au détriment de l'expression... une qualité rare.

Extrait célèbre d'un opéra mal connu, Mefistofele d'Arrigo Boito, "L'altra notte" (janvier 1982) nous fait apprécier tecniquement graves et vocalises, aussi bien que l'angoisse du personnage, vivant là une sorte de délire conscient.

L'intelligence du texte se retrouve aussi dans Manon Lescaut (janvier 1984), avec d'abord l'air "In quelle trine morbide... Dans ces dentelles délicates... / dans l'alcôve dorée il y a un silence / glacé, mortel !...", dans lequel "Mirella Lescaut" résume si bien sa pauvre nouvelle vie de richesses ! L'air célèbre "Sola... perduta... abbandonata", ne basculant jamais dans un "vérisme" outrancier, demeure incroyablement équilibré dans l'expression de la révolte intensément désespérée comme l'a voulue Puccini, serrant la gorge de l'auditeur, et avec laquelle la grande Magda Olivero nous arrachait des larmes, soeurs des siennes.

Eugène Onéguine (juin 1987) nous rappelle que Mirella Freni chanta également l'opéra d'autres pays comme cette Micaela (le rôle de ses débuts) dont la splendeur fit à Salzbourg de l'ombre, paraît-il, aux personnages plus importants de Carmen et de Don José (1) !  La cantatrice nous offre une superbe Tatjana (Scène de la lettre), vibrante d'intensité, comme si Mirella lui prêtait la passion, la délicatesse aussi, et donc l'humanité de sa Manon Lescaut ! La scène, approchant le quart d'heure, et pouvant ennuyer lorsqu'elle tombe aux mains d'interprètes précieux, trop attentifs ou réservés, passe ici comme un air d'opéra italien.

L'incontournable "Ritorna vincitor !" ouvre une série de morceaux enregistrés au mois d'août de l'année 1988, sous la direction de Giuseppe Sinopoli. Son Aida vibrante, mais ne manquant pas d'élégance - comme tout personnage abordé par elle - nous réserve la splendeur d'une belle note finale piano mais sonore. Mirella Freni apporte aussi une vigueur inaccoutumée à l'Amelia de Un Ballo in maschera, passant de l'hallucination à la prière résignée dans son air ouvrant l'acte II. Dans cet air multiforme voulu par Verdi, décrivant ainsi spontanément les étapes successives des sentiments de son personnage, on apprécie encore et toujours l'art de Mirella, unissant à merveille, on ne se lasse pas de le rappeler, vie et style, passion et mesure !

Le même équilibre caractérise son Elisabetta di Valois de Don Carlo. On est déjà surpris par le prélude de l'acte (précédant immédiatement l'air) dont les grandes phrases des violons si souvent brûlantes sont ici plaintives, douloureuses. Mirella commence l'air dans le ton, si l'on peut dire : plus de recueillement que d'exaltation, plus d'individualité douloureuse que de reine souffrante.

D'un autre rôle-fétiche, Desdemona d'Otello, nous entendons une vingtaine de minutes avec la "Canzone del salice", (l'air du saule) et la prière "Ave Maria ". Dans le premier morceau, la cantatrice évoque prodigieusement ce curieux sentiment mêlé de crainte, d'angoisse indéfinie et d'appel lointain, saveur difficilement explicable de Moyen Age survolant les siècles et colorant étrangement la musique de Verdi. Là, le frémissement naturel de la voix fait merveille, la ligne de chant est magnifique, contrôlée de bout en bout... jusqu'au "Buona notte." final que l'on attend parce qu'il est suivi d'une grande envolée verdienne - ici amenée avec une progression superbe d'intensité ! - concluant l'air et comme renouant avec l'ancien et glorieux Verdi, abandonné ou plutôt transcendé dans Otello. Au recueillement évident du morceau suivant, Mirella insuffle cette expressivité, toujours... et malgré, pour ainsi dire, la délicatesse, le quasi-murmure !

Le dernier morceau gravé en 1988 nous offre un autre grand rôle, unaniment salué, la pudique Liù de Turandot. Mirella y déploie, certes, sa délicatesse coutumière mais l'anime d'une tendresse désespérée vraiment poignante.

Les deux derniers extraits furent enregistrés au mois de décembre 1990. On a d'abord le fameux air de La Wally, "Ebben ? Ne andrò lontana", ayant atteint une curieuse renommée, peut-être à cause du mystère que dégage cette rêverie sortie de l'imagination de l'infortuné Alfredo Catalani. Il nous décrit le désarroi de son héroïne chassée du toit familial par son père et qui ne sait où aller... ou soupçonne peut-être sa fin presque fantastique...Attentive mais vibrante, précise mais chaleureuse, Mirella devient Wally...

"Poveri fiori" est l'un des airs poignants du personnage-titre d'Adriana Lecouvreur et "exister", comme l'on dit, auprès de Magda Olivero est vraiment difficile, tant elle s'est identifiée au personnage de Cilea qui la préférait dans ce rôle (et qui seul, réussit à faire remonter la grande cantatrice sur scène après son retrait !). Mirella rend bien la détresse du personnage passant avec art du sombre désespoir murmuré, au cri de l'inutile révolte.
...Non inutile en revanche, ce double album enrichi d'un texte conséquent, traduit en français et comblant, en quelque sorte, les moments d'une grande carrière que ces disques ne montrent pas.
 

Yonel Buldrini
Notes
 

(1)   Rapporté par Angelo Sguerzi in : Le stirpi canore, Bongiovanni Editore, Bologna 1978.



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