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Antonio Vivaldi (1678-1741)

GRISELDA

Dramma per musica en trois actes
Livret d’Apostolo Zeno, revu par Carlo Goldoni
Création Venise,Teatro San Samuele, 1735

Gualtiero : Giles Tomkins
Griselda : Marion Newman
Costanza : Carla Huhtanen
Roberto : Lynne McMurtry
Corrado : Jason Nedecky
Ottone: Colin Ainsworth

Opera in Concert/ Aradia Ensemble
Direction musicale, Kevin Mallon

Triple CD Naxos 8.660211- 13
Sortie janvier 2008




On reste perplexe, pas désenchanté


Les sujets de Gualtiero, roi de Thessalie, refusent la légitimité de l’héritier mâle qui vient de naître sous prétexte que son épouse Griselda n’a pas de sang royal. Pour les apaiser, le souverain feint de répudier sa femme et d’en choisir une autre. Il s’agit de Costanza, sa propre fille et celle de Griselda qui a maintenant quinze ans. Enlevée à ses parents dès sa naissance, la jeune fille a été élevée en secret.

Autour de ces personnages, trois hommes gravitent : Ottone, noble du royaume, qui veut profiter de la situation car il est amoureux de Griselda ; Corrado qui cherche à protéger le nouveau-né et à apaiser la reine ; son frère Roberto qui aime Costanza d’un amour partagé.

La mère et la fille sont des femmes de devoir. La première, en dépit de tout, reste fidèle à son époux et repousse obstinément les avances d’Ottone. La seconde renonce à son amour pour obéir au roi — ignorant bien sûr qu’il est son père. In extremis, tout rentre dans l’ordre. Griselda prouve sa fidélité à son mari en choisissant la mort plutôt que d’appartenir à un autre. Le roi la réhabilite aux yeux de son peuple et bénit l’union de leur fille retrouvée avec Roberto, son bien-aimé, tandis qu’il accorde son pardon à Ottone.

À partir de cette trame complexe, le poète et dramaturge Carlo Goldoni, sollicité alors qu’il n’avait que vingt-sept ans pour rajeunir le livret de Zeno, a laissé un témoignage fort vivant de sa première rencontre avec le prêtre roux.(1) Il avoue honnêtement avoir « assassiné » le texte en pratiquant de nombreuses coupures et substitutions de passages d’autres livrets pour se conformer à toutes les exigences du compositeur. Ce qui suffit à expliquer le manque d’unité de cette œuvre.

Ainsi que le soulignaient ici deux précédentes chroniques - celle du concert au Théâtre des Champs-Élysées en septembre 2005 et celle de l’enregistrement Spinosi Naïve de 2006 - cette Griselda, dont la musique et les mots peinent souvent à s’accorder, déçoit lorsqu’on la mesure aux grandes réussites lyriques de Vivaldi comme Orlando furioso ou Farnace.

À titre de comparaison, la version réalisée à Toronto sous la baguette de Kevin Mallon n’est cependant pas sans intérêt. On y trouve en particulier une différence d’importance : le choix des voix. Gualtiero, écrit pour alto castrato, tenu par un ténor dans la version Spinosi, est ici chanté par une basse ; Ottone, également alto castrato à l’origine, soprano chez Naïve, est ténor chez Naxos ; Roberto, soprano castrato, contre ténor (Philippe Jaroussky) avec Spinosi, est confié ici à une mezzo soprano ; Corrado, contre ténor avec Spinosi, devient baryton avec Mellon.

Le rôle titre reste dévolu à un mezzo soprano dans les deux cas. Il fut créé par La Girò, chanteuse attitrée et aussi secrétaire de Vivaldi. Comme on le sait, celle-ci possédait un grand talent comme actrice mais des moyens vocaux fort limités.

Cet assombrissement des tessitures, ajoutée à une exécution instrumentale assez pesante - qu’une prise de son peu soignée aggrave sans doute - alourdit encore l’ensemble. Et, en dehors des quelques airs brillants bien chantés, l’écoute s’avère assez fastidieuse. Même le fameux « Alle minacce di fiera belva » avec cors de chasse - réintroduit a posteriori dans Farnace en produisant un tout autre impact sonore - chanté mollement par un baryton quelque peu chevrotant, avec un accompagnement incertain, sonne bien plat.

Dès son air d’entrée « Se ria procella », la basse Giles Tomkins ne semble pas vraiment à son affaire. La voix est large et pourrait dégager une certaine autorité mais elle est trop instable pour capter et surtout retenir l’attention.

Le ténor Colins Ainsworth (Ottone) est doté d’une bonne diction. Sa ligne de chant bien tenue rend son interprétation assez convaincante.
 
Marion Newman, dont Ia partie est peu valorisante, chante Griselda avec une certaine vaillance mais reste en deçà de ce que l’on attend, en particulier dans le déchirant « No, non tanta crudeltà ».

Dès son premier air « Ritorna a lusingarmi » la soprano canadienne Carla Huhtanen (Costanza) s’impose comme la star de cette distribution.
Dans le fameux « Agita da due venti », elle a peu à envier à Cecilia Bartoli. Sa présence vocale, sa technique sans faille, le charme de son timbre rond forcent l’admiration.

Dans Roberto, la mezzo Lynne McMurtry est une autre voix canadienne à découvrir. Avec ses graves puissants et rageurs, elle est expressive, elle a de la présence et de la personnalité. Sans nul doute, les scènes entre Roberto et Costanza sont, grâce à ces deux excellentes chanteuses, les meilleurs moments de cet enregistrement inégal d’une œuvre qui ne l’est pas moins.

Brigitte CORMIER

(1) – Roland Candé – Vivaldi – Seuil, 1967 et 1994


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