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LOTARIO

George Frideric Handel (1685-1759)

Opera seria en trois actes
Livret de Giacomo Rossi
d'après Adelaide d'Antonio Salvi (Venise 1729)

Il Complesso Barocco
Alan Curtis

Adelaide, reine d'Italie : Simone Kermes, soprano
Lotario, roi d'Allemagne : Sara Mingardo, contralto
Berengario, duc de Spolète : Steve Davislim, ténor
Idelberto, le fils de Berengario qui aime Adelaide : Hilary Summers, contralto
Matilde, épouse de Berengario : Sonia Prima, contralto
Clodomiro, capitaine de l'armée de Berengario : Vito Priante, basse

2 CD Deutsche Harmonia Mundi 82876 58797 2
CD 1 : 79 :30, CD 2 : 77 :18

Enregistré du 22 au 28 juin 2004 à Ravello (Italie)


En 1729, Haendel s'acharne envers et contre tout à défendre l'opéra italien tel qu'iI a toujours été pratiqué. Fidèle à son tempérament, le bonhomme fonce. Il récupère l'Academy, mise à mal par la concurrence du Beggar's Opera, se pose non seulement en compositeur mais aussi en entrepreneur, file en Italie assembler une nouvelle troupe, engage notamment un castrat sur le retour, Antonio Maria Bernacchi, et, sans se soucier de l'évolution des modes, revient présenter au public londonien son nouvel ouvrage intitulé Lotario parce que le véritable prénom du héros, Ottone, est déjà porté par l'une de ses oeuvres antérieures. Las, les chanteurs, Bernacchi en tête, déçoivent. Le livret, improbable histoire de reines et de rois aux ambitions et aux amours contrariées, ennuie. La plupart des arias sont jugées insipides. Le spectacle tombe au bout d'une dizaine de représentations.

En mai 2004, soit 275 ans plus tard, Alan Curtis, armé de son Complesso Barocco, en récupère quelques bribes qu'il présente au festival Haendel de Göttingen. Dans la foulée, il enregistre intégralement l'oeuvre pour Deutsche Harmonia Mundi. Intégralement ? Pas tout à fait car Lotario, de manière contrariante, est trop court pour occuper trois CD mais trop long pour tenir sur deux. Il faut donc tailler allégrement dans les récitatifs, ce qui ne chagrinera que les puristes. Plus ennuyeux, quelques da capo passent à la trappe. L'ensemble reste malgré tout cohérent et constitue indubitablement la version de référence. Faute de mieux : il n'existe pas d'autres intégrales sur le marché.

On jettera donc pour le moins une oreille curieuse sur cet enregistrement. La première réaction sera de trouver sévère le jugement de la postérité. Confortablement installé sur une banquette de clavecin, on traversera évidemment plusieurs tunnels, mais les opéras baroques qui n'en comportent pas se comptent sur les doigts de la main. En chemin, on croisera de nombreux paysages dont la beauté incitera à faire ensuite plusieurs fois le voyage. Il serait fastidieux de les énumérer. Mais on ne pourra passer sous silence "D'una torbida sorgente" (CD 2, plage 6) que Renée Fleming n'hésita pas à inscrire au palmarès de son dernier récital et surtout le déchirant "Vi sento, si, vi sento" (CD 2, plage 16) dont les traits de hautbois traduisent à merveille ce remord qui lacère le coeur.

Evidemment, on déplorera que Lotario et ses amis n'aient pas trouvé meilleur avocat qu'Alan Curtis pour plaider leur cause. A serpenter ainsi dans la campagne, le petit train de l'orchestre prend trop souvent des allures de tortillard. Ce ne sont pas les teintes qu'il faut ici remettre en cause, mais le rythme que le chef américain ne parvient jamais à impulser. La machine devrait de temps en temps s'emballer pour donner plus de relief au décor.

La distribution aussi ne convainc pas totalement. L'ouvrage est exigeant. Il ne comporte que six rôles, mais n'en épargne aucun. Les arie di paragone fleurissent sur la chaussée, comme autant d'occasions pour les chanteurs d'étaler leur virtuosité. Malheureusement, Simone Kermes, à trop vouloir embrasser, mal étreint. Les acrobatiques "Non sempre invendicata" (CD 2, plage 14) et "Scherza in mar la navicella" (CD 1, plage 21) basculent dans la vulgarité et transforment la noble Adelaide en mégère. En faisant assaut d'ornements, la soprano, parfois imprécise, laisse aussi transparaître la verdeur d'une voix qui gagnerait à moins de débordements. "Quel cor che mi donasti" (CD 1, plage 14) et surtout "Menti eterne, che reggete de'mortali le vicende" (CD 1, plage 26), superbement recueilli, le confirment. Au deuxième acte, l'exploit mérite d'être noté, la comparaison avec Fleming joue cependant en sa faveur.

Vito Briante ne sort pas indemne non plus de sa confrontation avec Clodomiro. Il ne dispose que de trois airs pour dresser le portrait du versatile capitaine. Si "Non t'inganni la speranza" (CD 1, plage 28) est conduit avec le mordant qu'il convient, on s'étonne de ne pas trouver la même qualité dans la vocalisation de "Alza al ciel" (CD 2, plage 23). "Se il mar promette calma" (CD 1, plage 12) se positionne entre les deux, avec un timbre d'une belle autorité mais aussi certaines notes bruyamment expectorées qui laissent, au final, une impression mitigée.

L'un des points forts de cette production est de réunir trois voix de contraltos suffisamment différenciés pour qu'il n'existe pas de confusion entre elles.
Sara Mingardo, toutefois, ne parait pas vraiment concernée. Son Lotario, techniquement irréprochable, a beau parcourir superbement la partition, il n'en manque pas moins de tempérament. Est-ce bien là le glorieux roi d'Allemagne, amoureux et vengeur ? "Gia mi sembra al carro avvinto" (CD 1, plage 16) se pare dans la reprise de fioritures guerrières pour essayer, en vain, de le faire croire. L'imploration de "Rammentati, cor moi" (CD 1, plage 10), la concentration de "Non disperi peregrino" (CD 2, plage 11) conviennent mieux à cette voix qui sait alors devenir brûlante.

Dans la famille Berengario, on prendra d'abord le fils. Le rôle de l'amoureux éconduit n'est jamais très valorisant. Haendel devait partager cette opinion, car la musique qu'il réserve à ce brave Idelberto n'est pas des plus inspirées. Seul émerge son dernier air, "S'e delitto trar da' lacci un'innocente" (CD 2, plage 29). Hilary Summers déploie des trésors d'expression pour en dresser, malgré tout, un portrait éloquent.

A Matilde, la mère, échoit le rôle de la méchante de service, ce que sa première intervention, "Vanne a colei che adori" (CD 1, plage 6), ne laisse pas deviner. Elle trouve ensuite heureusement des airs à la mesure de sa cruauté : "Arma lo squardo" (CD 2, plage 2), hérissé de coloratures, ou "Impara cocardo" (CD 2, plage 27) qui sollicite les deux extrêmes de sa tessiture. Emission franche, couleur sombre, accents incisifs, Sonia Prina verse avec bonheur le poison dans la coupe.

Parmi les chanteurs qu'Haendel ramena d'Italie figurait en bonne place Annibale Pio Fabri alors au zénith de sa gloire. Le rôle de Berengario se ressent dans sa longueur et sa complexité de cette prestigieuse filiation. Steve Davislim assure plus qu'honorablement la succession. Il échoue certes à caractériser les impitoyables vocalises de "Regno e grandezza" (CD 1, plage 23) ou "D'instabile fortuna" (CD 2, plage 9) qui tiennent alors plus du gargarisme matinal que du chant. Mais ailleurs, l'intonation fraîche et lyrique, la clarté de la projection font merveille. Par son implication et sa sensibilité, il porte "Vi sento, si, vi sento", déjà mentionné plus haut, au sommet de l'enregistrement.

On prendra congé avec le vibrant duo "Si bel ambiante" (CD 2, plage 32) qui conclut l'opéra. Seul ensemble de la partition, si on ne prend pas en compte les deux interventions sans grand intérêt du choeur, il forme la meilleure des invitations à revenir partager les aventures de Lotario et d'Adelaide. Car même si elles n'offrent pas le meilleur produit du génie haendélien, elles n'en méritent pas moins le détour.
  


Christophe RIZOUD




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