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Leoš JANÁČEK (1854-1928)


Les Excursions de M. Brouček

Opéra en 4 actes (2 parties), terminé en 1917
Première partie : livret de Janáček et d’autres d’après Svatopluk Čech
Deuxième partie : livret du compositeur
et de F.S. Procházka, d’après Svatopluk Čech

Matěj Brouček : Jan Vacík
Le peintre/ Azuré/Petřik : Peter Straka
Le Sacristain de la cathédrale St.Guy/ Luniare/ Domšik de la Cloche : Roman Janál
Málinka/ Ethera/ Kunka : Maria Haan
Patron de l’auberge/ Sublime/ l’échevin : Zdeněk Plech
L’apparition du poète Svatopluk Čech/ second Taborite : Ivan Kusnjer
Jeune garçon de café/ l’enfant prodige/ l’étudiant : Martina Bauerová
Kedruta : Lenka Šmídová
Un peintre/ Lapalette/ Vojta des Paons/ voix du professeur : Jaroslav Březina
Un compositeur/ Harpicole/ Miroslav l’orfèvre : Aleš Brischen
Un poète/ Nébuleux/ vacek Bradatý : Václav Sibera
Un poète : Edward Goater
Un autre poète : Christopher Bowen
Premier Taborite : Charles Gibbs

BBC Singers
BBC Symphony Orchestra
Jiří Bělohlávek (direction)

Deutsche Grammophon (477 7287)
123’ 00’’- textes de présentation et textes chantés en anglais,
allemand et français.



Irrésistibles excursions


Il n’est pas toujours facile de pénétrer dans le monde de l’opéra tchèque. La langue est moins directement chantante et/ou accessible que l’italien, l’allemand ou l’anglais et l’univers poético-dramatique de certains compositeurs (Janáček et Martinů en tête) demande parfois d’être familiarisé avec les particularités de l’imaginaire  slave, tantôt farouchement réaliste, tantôt complètement « surréaliste ». Une fois ces barrières dépassées, le bonheur musical est sans fin et l’effort fourni pour apprivoiser cette musique est très largement récompensé.   

Surréaliste, burlesque, voire complètement déjanté (pour utiliser un terme très à la mode), « M. Brouček » l’est sans conteste. En plus de ses qualités purement musicales, l’action irréelle et l’humour, assez spécial mais très savoureux,  achèvent la réussite de cette œuvre.
On peut chaleureusement remercier Deutsche Grammophon de nous proposer l’enregistrement (live) d’un opéra peu connu de Janáček. La maison à l’étiquette jaune, qui n’est pourtant pas réputée pour sa politique éditoriale particulièrement audacieuse, frappe ici un grand coup. (Pour les amateurs, La Maison des Morts, mise en scène par Patrice Chéreau et dirigée par Pierre Boulez sortira bientôt en DVD chez DG. Cette production devrait également être diffusée sur ARTE en mars 2008. A bon entendeur…).

Le plateau vocal, majoritairement constitué de chanteurs tchèques, gagne à être considéré comme un tout. On saluera les prestations individuelles de Roman Janál, de Zdeněk Plech et de Peter Straka mais on ne déplorera pas, comme d’autres critiques moins slavophiles pourront le faire, l’absence de charisme wagnérien de Vacík (Brouček) ou de Maria Haan (Málinka/ Etherea/ Kunka). Car Matěj Brouček et Málinka n’ont rien des héros du Ring ou même des Meistersinger mais sont, au contraire, des personnages « de la rue » avec leurs imperfections typiquement humaines, ici transposées sur la lune 
(1) (Acte 1 et 2 de la première partie (2)). Ce sont souvent ces « failles » qui font le charme de l’opéra tchèque.

Outre cette distribution séduisante et particulièrement pertinente, c’est la direction du chef tchèque Jiří Bělohlávek qui est l’atout majeur de cette version. Si ses enregistrements récents consacrés à des compositeurs « non-slaves» sont aujourd’hui encensés par la critique française et anglo-saxonne (un magnifique  Premier concerto pour piano de Brahms chez Harmonia Mundi - avec Alexandre Tharaud - entre autres), il ne faut pas oublier que sa discographie est dominée par d’excellents disques Dvořak, Janáček et Martinů édités chez Supraphon.

Sa lecture des Excursions de M. Brouček est tellement réussie qu’on en perd presque son latin (et son tchèque par la même occasion). Car le chef propose un travail orchestral extrêmement soigné. Il parvient à atteindre l’essence de cette musique sans la diluer dans d’inutiles fioritures. Là où d’autres chefs en profiteraient pour briller et faire rutiler leurs troupes,  Bělohlávek va à l’essentiel avec une efficacité typiquement slave. Le travail accompli ici est comparable à la recherche d’ «authenticité » des chefs issus du monde baroque lorsqu’ils jouent avec des orchestres composés d’instruments modernes (Harnoncourt, Gardiner ou plus récemment Herreweghe). Et le BBC Symphony Orchestra d’en être complètement transfiguré. 123 minutes de pur plaisir. Irrésistible, incontournable, indispensable et bien plus encore !

Nicolas Derny


Notes

(1) De la même manière, les Chants populaires moraves du même Janáček gagnent à être chantés par des chanteurs ne faisant pas étalage de qualités typiquement lyriques (Ecoutez l’enregistrement d’Iva Bittová (Supraphon), assez mal capté mais qui, une fois la surprise passée, donne le frisson …) Pour prendre un exemple issu d’une autre culture, Leonard Bernstein n’a-t-il pas gâché son West Side Story en l’enregistrant avec des chanteurs d’opéra ?

(2) Pour la deuxième partie, les deux actes sont numérotés 1 et 2 !




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